Respect du prix de cession de droits sociaux fixé dans un pacte extra-statutaire. La Cour de cassation revire sa jurisprudence

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

 

SOURCE : Cass. com., 11 mars 2014, n° 11-26.915, n° 263, FS-P + B + R + I

 

Lors de la constitution d’une société par actions, ses fondateurs signent un pacte d’actionnaire stipulant que la démission ou la révocation de l’un des dirigeants, intervenue dans les trois ans de la signature de cette convention, entraînera, de plein droit, « promesse ferme et irrévocable » de sa part, de céder à la société la moitié de ses actions pour un prix égal à leur valeur nominale.

 

L’un des dirigeants ayant ainsi été révoqué, la société lève cette promesse de vente. Le dirigeant révoqué conteste que la cession puisse se faire au prix convenu dans le pacte d’actionnaires. Il demande l’application de l’article 1843-4 du code civil.qui dispose en substance :

 

« Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible ».

 

La Cour d’appel de Grenoble saisi en second degré de la difficulté, fait droit à la demande de l’actionnaire évincé aux motifs qu’il est de principe constant que l’article 1843-4 du Code civil :

 

« est d’application générale en cas de cession ou de rachat forcé prévu par la loi ou par les statuts, mais également par des pactes extrastatutaires ; qu’il a donc vocation à régir la situation créée par l’article 3 de la convention d’actionnaires conclue par l’ensemble des associés le jour même de l’adoption des statuts, avec lesquels elle fait corps ; qu’en vertu de la règle impérative posée par l’article 1843-4 susvisé, nul associé ne peut être contraint de céder ses droits sociaux sans une juste indemnisation arbitrée à dire d’expert ; qu’il en résulte que la clause des statuts ou d’un pacte extrastatutaire, qui fixe par avance la valeur des parts ou des actions rachetées, ne peut prévaloir sur la règle légale lorsque, comme en l’espèce, l’associé évincé en conteste l’application ; qu’il est donc soutenu à tort par la société CROCUS TECHNOLOGY que l’article 1843-4 du Code civil n’aurait vocation à s’appliquer qu’en cas de contestation sur le prix des actions à défaut de clause fixant irrévocablement la valeur de rachat ; que l’article 3 de la convention d’actionnaires du 7 avril 2004, selon lequel le prix unitaire est fixé à la valeur nominale, ne saurait par conséquent recevoir application ; que, comme le soutient M. Christian X…, la société CROCUS TECHNOLOGY devait donc mettre en œuvre la procédure d’évaluation prévue par l’article 1843-4 du Code civil avant de s’approprier les actions(…) »

 

En droit la Cour d’Appel n’avait pourtant fait que suivre la jurisprudence de la cour de cassation. Ainsi, pour ne citer que les décisions les plus récentes la chambre commerciale a-t-elle jugée en 2007[1] :

 

-« Attendu qu’aux termes de ce texte(1843-4), dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible ;

 

Attendu que pour rejeter la demande de M. Y… tendant à voir juger que l’article 12 des statuts prévoyant la fixation du prix du rachat des parts de l’associé retrayant lui soit déclaré inopposable et que la société Arues soit condamnée à lui racheter ses parts au prix fixé par un expert, l’arrêt retient que dès lors que M. Y… est exclu en application des dispositions statutaires et que les statuts comportent une clause d’évaluation des droits sociaux, ces règles statutaires l’emportent sur l’article 1843-4 du code civil ;

 

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé »

 

L’arrêt de 2007 censurait un arrêt rendu par la Cour d Appel de Versailles rendu en 2005[2] .La Cour d’Appel ne ce rangera pas à cette à cette analyse puisqu’en 2009, alors qu’elle était saisie sur les conditions de valorisation des titres qu’un dirigeant de société c’était engagé à céder à la fin de son dernier mandat , elle récidivait en jugeant [3] : que l’article 1843-4 du code civil n’était applicable que lorsque la cession des parts n’est pas spontanément voulue par les parties, mais se trouve imposée par des règles législatives, statutaires ou extra-statutaires de sorte que l’article 1843-4 du Code civil n’était pas applicable en cas de promesse de vente consentie pour un prix déterminable selon les résultats comptables de la société. Cette dernière décision qui n’avait pas fait l’objet d’un pourvoi avait curieusement fait les honneurs de la publication par le Service de documentation et d’études de la Cour de Cassation.

 

Une telle attitude était annonciatrice d’un possible revirement que la Haute Cour à initié avec la décision commentée. Ainsi pour censurer la Cour d’Appel de Grenoble l’arrêt énonce que les dispositions de ce texte ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant.de sorte qu’elles ne sont pas applicables à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé.

 

Ce revirement prend peut être en considération les dernières modifications législatives qui ont donnés une plus grande valeur à la volonté des parties.

 

Ainsi, pour les SAS l’article L227-18 du code de commerce dispose que « Si les statuts ne précisent pas les modalités du prix de cession des actions lorsque la société met en œuvre une clause introduite en application des articles L. 227-14, L. 227-16 et L. 227-17, ce prix est fixé par accord entre les parties ou, à défaut, déterminé dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du code civil »

 

De même les associés d’une société civile professionnelle (SCP)[4] ou d’une société d’exercice libéral (SEL)[5] peuvent, à l’unanimité, fixer dans les statuts les principes et les modalités applicables à la détermination de la valeur des parts sociales.

 

Plus récemment encore, la loi n ° 2014-1, du 2 janvier 2014 (art. 3, 8°) a autorisé le Gouvernement à « modifier l’article 1843-4 du code civil pour assurer le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties ».

 

Est-ce la fin d’un débat ? Ce n’est pas certain .Si l’on admet la possibilité de fixer par avance un tel prix, celui pour être opposable au vendeur ne doit pas être vil ou faire obstacle aux droits fondamentaux des associés et notamment celui de participer aux bénéfices et aux pertes. Que dire ainsi d’un mode de valorisation des titres qui s’affranchirait totalement des réserves non distribuées ?

 

Affaire à suivre…

 

Eric DELFLY

Vivaldi -Avocats


[1] Cass Com 4 décembre 2007 RG : 06-13912 Bull 2007, IV, N° 258

[2] CA Versailles,21 avril 2005

[3] CA Versailles 10 septembre 2009 RG: 08/06170

[4] L. n° 66-879, 29 nov. 1966 art. 10 ;

[5] (L. n° 90-1258, 31 déc. 1990, art. 10).

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