Preuve du harcèlement moral : le Juge doit prendre en compte les éléments de preuve fournis par le salarié et par l’employeur…

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

 

SOURCE : Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 08 juin 2016, Arrêt n°14-13.418, n° 1039 FS+B+R+I.

 

Une salariée avait été engagée le 06 janvier 2004 en qualité de responsable de secteur par une société ayant pour activité la recherche, la fabrication et la commercialisation de matériel médical, la salariée étant affectée dans la région sud-est à la division « implant dentaire ».

 

Après avoir adressé un courrier de doléances le 12 novembre 2008 à la direction de l’entreprise, elle faisait l’objet d’un avertissement notifié par courrier du 16 décembre 2008, lui reprochant de ne pas s’être adressée à sa hiérarchie directe, outre le ton de la lettre jugée inacceptable par l’employeur. La salariée était placée en arrêt de travail à compter du 11 décembre 2008. Puis à l’issue de la seconde visite de reprise du 23 mars 2009, elle était déclarée par le médecin du travail apte à la reprise à condition de travailler sur un autre secteur.

 

Par suite, l’employeur lui notifiait une proposition de reclassement sur le secteur nord-est, proposition à laquelle la salariée ne va pas répondre, de sorte que l’employeur engageait une procédure de licenciement, mesure notifiée par un courrier du 21 avril 2009.

 

Contestant son licenciement et formulant divers griefs à l’encontre de son employeur, la salariée va saisir le Conseil des Prud’hommes de TOULON qui va la débouter de l’ensemble de ses demandes.

 

Sur appel de la salariée, la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE, par un Arrêt du 18 octobre 2011, va considérer le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et condamner l’employeur à payer diverses sommes à la salariée.

 

Ensuite de cette décision, l’employeur se pourvoit en Cassation.

 

La Cour de Cassation, par un Arrêt du 13 février 2013, va casser et annuler l’Arrêt d’Appel, lui faisant grief d’avoir procédé à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par la salariée, alors qu’il lui appartenait de dire, si pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur.

 

Par suite, cette affaire revient après Cassation par-devant la Cour d’Appel de NIMES, laquelle dans un Arrêt du 07 janvier 2014, suivant la méthodologie précisée par la Chambre Sociale, va examiner les éléments soulevés par la salariée pris dans leur ensemble.

 

La Cour relève qu’au soutien de ses accusations de harcèlement moral, la salariée fait valoir que les modifications excessives de ses secteurs ont été opérées par l’employeur pour lui nuire, l’affectant tout spécialement, que la demande faite par l’employeur à la salariée d’assister son successeur lors de ses premières visites était inutile et constituait une brimade, que des instructions contradictoires lui avaient été adressées dans le but de la dérouter, qu’elle avait été convoquée à un entretien préalable qui ne devait déboucher sur aucune sanction, la dégradation de son état de santé étant attestée par des certificats médicaux, des arrêts de travail et une déclaration d’inaptitude en conséquence de ces agissements dénoncés.

 

Par suite, la Cour considère que ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.

 

La Cour va alors examiner les éléments invoqués par l’employeur.

 

Relevant que l’employeur réplique :

 

– que les deux modifications sur 5 années des secteurs confiés à la salariée avait été opérées dans l’exercice normal du pouvoir de direction dès lors qu’elles avaient pour objet d’équilibrer les différents secteurs en fonction de l’évolution des chiffres d’affaires et qu’elles ont concerné l’ensemble de l’équipe commerciale,

 

– qu’il n’est nullement établi que la salariée ait subi à quatre reprises des modifications intempestives comme elle le déclare, mais que seules deux modifications lui avaient été proposées,

 

– qu’il avait été demandé à la salariée d’accompagner son remplaçant sans que cette demande ne justifie d’aucun manque de considération, ni d’une quelconque répercussion sur son activité,

 

– que les instructions contradictoires ne sont nullement démontrées,

 

– que d’une part, l’existence de difficultés relationnelles entre la salariée et sa supérieure hiérarchique et d’autre part, le caractère constructif des échanges ayant portés sur toutes les doléances exprimées par la salariée comme les reproches qui pouvaient être formulés à son encontre, mettaient en exergue les difficultés de la salariée à se positionner sans affect dans le fonctionnement de l’entreprise,

 

– que les certificats médicaux produits se font l’écho de doléances exprimées par la salariée, le médecin traitant n’étant en rien témoin direct des faits de harcèlement de la salariée et l’allégation d’un conflit professionnel évoqué par le médecin du travail recouvrant, en réalité, les difficultés relationnelles rencontrées par la salariée portées à un niveau d’exacerbation,

 

La Cour relève qu’aucun agissement constitutif d’un acte de harcèlement n’était caractérisé à l’endroit de la salariée, de sorte qu’elle en conclut qu’aucun harcèlement moral ne pouvait être retenu en l’espèce et que la salariée avait été justement déboutée de ses prétentions à ce titre.

 

Ensuite de ce nouveau débouté, la salariée forme un pourvoi en Cassation.

 

Mais la Chambre Sociale ne va pas suivre la salariée dans les griefs formulés à l’encontre de l’Arrêt d’Appel.

 

Enonçant, au contraire, qu’aux termes des articles L.1152-1 et 1154-1 du Code du Travail, qu’il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au Juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d’apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article 1152-1 du Code du Travail.

 

Que dans l’affirmative, il revient au Juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

Que sous réserve d’exercer son office dans les conditions précèdes, le Juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

 

Par suite, la Cour d’Appel qui, sans se contredire, a souverainement retenu que la salariée établissait des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral, mais que l’employeur justifiait, au soutien de ses décisions, d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, a décidé dans l’exercice des pouvoirs qu’elle tient de l’article 1154-1 du Code du Travail, qu’aucun harcèlement moral ne pouvait être retenu.

 

Par suite, la Chambre Sociale rejette le pourvoi.

 

Par cette décision, la Chambre Sociale opère un revirement sur les modalités du contrôle qu’elle opérera désormais en matière de qualification de harcèlement.

 

Restituant aux Juges du fond leur pouvoir souverain d’appréciation de l’existence d’un harcèlement moral, elle vérifiera si la méthodologie qu’elle impose désormais a bien été respectée d’examiner, dans un premier temps, l’ensemble des faits invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d’apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, examiner si les éléments de preuve fournis par l’employeur sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

Ce repli devrait permettre de désengorger la Chambre Sociale du flux des pourvois liés à la qualification de harcèlement moral.

 

Christine MARTIN

Associée

Vivaldi-Avocats

 

 

 

 

 

 

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