Limite entre phase précontractuelle et conclusion du contrat

Antoine DUMONT

Lorsque deux sociétés négocient les modalités de leur future association et se mettent d’accord sur les éléments essentiels du contrat envisagé, l’écrit n’est pas nécessaire pour considérer le contrat comme formé et la phase de négociations précontractuelles terminée.

Source : Cass. Com., 27 novembre 2024, 23-15.361

I – Faits et procédure

Deux sociétés A et B établissent un acte le 1er septembre 2017 par lequel elles projettent de s’associer au sein d’une société à constituer, la société C. Cet acte prévoyait en outre que :

  • La société A cédera les actions qu’elle possède dans une société tierce, la société D, en qualité d’associé unique, au bénéfice de la société C à constituer ;
  • La société B sera nommée Directeur Général de la société dont il était prévu la cession des actions, mandat prenant fin au 30 novembre 2017 en l’absence d’accord sur les modalités définitives de la future association.

Les deux futurs associés prolongent par plusieurs avenants la date limite de finalisation de leur future association, jusqu’au 31 mars 2019.

Les deux sociétés ne parviennent finalement pas à se mettre d’accord et les négociations relatives à un protocole d’association échouent à la date du 31 mars 2019.

En conséquence, la société B nommée Directeur Général est révoquée de son mandat par la société A.

Elle assigne la société A avec laquelle elle envisageait de s’associer en paiement de dommages et intérêts.

Les sociétés A et D forment un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble en date du 9 mars 2023, arrêt qui a constaté que les parties avaient bien consenti un protocole d’accord le 8 mars 2019, qui a constaté que ce protocole n’était pas caduc et que la société B avait subi un préjudice constitué par la perte de chance d’obtenir les bénéfices issus de l’association avec la société A au sein de la société D.

II – Consensualisme contractuel et accord sur les conditions essentiels du contrat

Les demandeurs au pourvoi, les sociétés A et D, arguent que :

  • L’existence d’un affectio societatis est une condition de validité de la promesse de société, affectio societatis qui n’aurait pas été recherché par la cour d’appel ;
  • Le protocole daté du 8 mars 2019 avait été conclu sous condition suspensive de formalisation au sein d’un protocole d’association écrit et signé par les parties au plus tard le 31 mars 2019.

La Haute Cour ne suit pas le raisonnement des demandeurs et rejette le pourvoi.

En premier lieu, selon cette dernière, les parties étaient parvenues à un accord concernant les éléments essentiels du futur contrat d’association, le protocole du 8 mars 2019 détaillait à la fois :

  • Les caractéristiques de la société C à constituer :
    • La forme sociale ;
    • Les apports des associés ;
    • Le montant du capital social et sa répartition initiale ;
    • Le siège social ;
    • La désignation du dirigeant ;
  • Et les modalités de la promesse de cession des titres de la société D à la société C :
    • Le nombre de titres cédés et leur valorisation ;
    • La date limite pour le transfert des titres au profit de la société C.

La Cour d’appel, ayant également constaté que les demandeurs ne demandaient pas l’annulation du contrat pour dol malgré l’argument d’une dissimulation d’informations déterminantes de son consentement par son cocontractant, a bel et bien recherché et établi l’affectio societatis. Les parties n’étaient plus en phase de pourparlers et l’accord du 8 mars 2019 portait sur les éléments essentiels du contrat.

De plus, la Cour de cassation valide la position de la cour d’appel qui fait d’un protocole d’association un contrat consensuel formé par le seul échange des consentements[1] ; ni l’accord initial du 1er septembre 2017, ni les différents avenants ne prévoyaient la formalisation par un écrit signé par les parties de l’accord entre les parties.

En conséquence, la société B peut tout à fait demander des dommages et intérêts sur le fondement de la perte de chance d’obtenir les avantages issus du contrat conclu.

III – Pour aller plus loin

La phase de pourparlers, ou négociation précontractuelle, est celle qui précède celle de la conclusion du contrat et est régie par le principe de la liberté contractuelle[2]. Cette liberté trouve toutefois certaines limites telles que la responsabilité extracontractuelle (obligation de bonne foi et de loyauté) ou l’obligation précontractuelle d’information (dont est débitrice la partie qui sait et créancière la partie qui ignore).

Cette phase de pourparlers se termine de facto lorsqu’intervient l’échange des volontés sur les conditions essentielles du contrat[3]. En droit, le principe est celui du consensualisme contractuel et l’exception celui de « l’observation de formes déterminées par la loi à défaut de laquelle le contrat est nul, sauf possible régularisation »[4].

Ainsi, dès l’échange des volontés, et sans dispositions légales particulières de forme requises relatives au contrat envisagé, les parties sont engagées et le contrat formé.

A la différence de la réparation du préjudice lors de la phase de négociations précontractuelles qui porte sur l’indemnisation des frais engagés et ne peut « avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages »[5], la réparation du préjudice lorsque le contrat est conclu est tout autre et peut porter sur la perte de chance d’obtenir les avantages issus du contrat conclu.

En l’espèce, la situation à l’étude peut faire penser à celle, bien connue du monde des affaires, de la joint-venture (entreprise commune) par laquelle deux sociétés décident de s’associer avec la volonté de mettre en commun leurs compétences et leurs ressources afin de réaliser un objectif défini, elle peut être présentée « comme l’entreprise contrôlée par au moins deux autres entreprises économiquement et juridiquement indépendantes »[6].

Dans le cadre de négociations précontractuelles en vue de former une joint-venture, ou de toute négociation précontractuelle, il peut être utile de subordonner la formation du contrat à une réitération écrite, au sein d’un avant-contrat.


[1] Article 1109 du Code civil

[2] Article 1112 du Code civil

[3] Cass. Civ., 5 avril 2018, n°17-14-688

[4] Article 1172 du Code civil

[5] Article 1112, al. 2 du Code civil

[6] Répertoire de droit européen – Entreprise communes, janvier 2015, Catherine Grynfogel, Maître de conférences à l’Université Toulouse 1 Capitole

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