Source :Cass. Com., 29 novembre 2016, pourvoi n° 15-13.396 F+P+B+I.
La notion de « dirigeant de fait » est le plus souvent utilisée dans le contexte des sanctions commerciales à l’encontre des dirigeants d’une société en liquidation judiciaire. Dans une telle hypothèse, et devant une gestion manifestement fautive, il appartient aux organes de la procédure et au Tribunal de rechercher les responsabilités des fautes qui ont conduit la société à sa déconfiture. Les fautes peuvent ainsi émaner de personnes autres que les dirigeants de droit, et notamment de dirigeants de fait, c’est-à-dire de personnes qui ne sont pas les représentants légaux de la société, mais qui effectuent habituellement des actes positifs de gestion dans une mesure telle qu’ils peuvent être qualifiés de dirigeants, non de droit, mais de fait.
Dans le cadre des sanctions leur responsabilité peut ainsi être recherchée.
Mais il existe un autre texte du Livre VI du Code de Commerce qui fait référence à la notion de dirigeant de fait. Il s’agit de l’article L. 631-10 du Code de Commerce, qui dispose :
« A compter du jugement d’ouverture, les parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital de la personne morale qui a fait l’objet du jugement d’ouverture et qui sont détenus, directement ou indirectement, par les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, ne peuvent être cédés, à peine de nullité, que dans les conditions fixées par le Tribunal.
[…] »
Il s’agit d’un texte visant à permettre le contrôle, par le Tribunal, de la détention capitalistique de la société et éviter notamment une moditification de cette détention, à l’initiative du dirigeant et en connaissance de cause du déroulement et voire de l’issue de la procédure collective.
Toutefois, cette interdiction, au visa de cet article L. 631-10, ne concerne que les parts détenues par les dirigeants, qu’ils soient de droit ou de fait, et pas les autres associés.
Dans le cas d’espèce, examiné par la Cour de cassation, une société faisait l’objet d’un redressement judiciaire, et son capital (non précisément connu à la simple lecture de l’arrêt) était constitué de parts détenues par le dirigeant, mais également, de façon majoritaire, de parts détenues par une autre société.
Ce sont les parts détenues par cette société associée qui ont fait l’objet d’une cession en cours de procédure collective. Classiquement, la société cessionnaire des parts dépose un dossier de formalités au Greffe pour faire enregistrer la cession, dossier qui est cependant rejeté. La société cessionnaire forme alors un recours devant le Juge chargé de la surveillance du Registre du Commerce et des Sociétés, recours qui est à son tour rejeté et dont le rejet est confirmé à hauteur d’appel.
Il ressort de l’exposé des faits de l’arrêt que les juridictions chargées de l’analyse du dossier ont eu la conviction qu’une tierce personne physique, représentant les sociétés cédantes et cessionnaires dans le cadre de la cession, contrôlait dans les faits la société débitrice par l’intermédiaire de la cédante, majoritaire.
De sorte que le Juge chargé de la surveillance du Registre du Commerce et des Sociétés, dont la décision est confirmée par la Cour d’Appel, a jugé que la cession dont il était demandé l’enregistrement était une cession interdite par les dispositions de l’article L. 631-10 précité. La société cédante se pourvoit alors en cassation.
L’argumentation développée devant la Cour de cassation est intéressante, dans la mesure où la société cédante soutient que la simple détention majoritaire n’est pas un critère habituel suffisant pour caractériser une direction de fait. C’est-à-dire que le Juge chargé de la surveillance du Registre du Commerce et des Sociétés ne s’est pas contenté de constater une direction de fait, et corrélativement a rejeté l’enregistrement de la cession, mais a qualifié la direction comme étant une direction de fait.
Or, le Juge chargé de la surveillance du Registre du Commerce et des Sociétés ne serait pas compétent pour qualifier ainsi une direction de fait.
L’arrêt est cassé, mais au visa de l’article 455 du Code de procédure civile, c’est-à-dire le visa relatif à l’absence de réponse de la Cour d’Appel aux conclusions de l’une des parties. Cela signifie que l’argumentation de la société cessionnaire, soutenant que le Juge chargé de la surveillance du Registre du Commerce et des Sociétés n’a pas le pouvoir de qualifier la direction de fait, n’avait pas fait l’objet d’une réponse dans l’arrêt d’appel. Il s’agit d’une cassation strictement procédurale, à charge pour la Cour d’Appel de renvoi de trancher la question sur le fond : le Juge chargé de la surveillance du Registre du Commerce et des Sociétés a-t-il ce pouvoir ?
Selon nous, tel n’est pas le cas, puisque cela reviendrait pour lui à se saisir d’office d’une question dont il n’est jamais saisi lorsqu’il s’agit simplement de vérifier qu’un dossier de formalités est bien conforme.
Affaire à suivre.
Etienne CHARBONNEL
Vivaldi-Avocats