Source : Cour Administrative d’Appel de DOUAI, 23 février 2017, Commune de Rouen, n°15 DA01287.
Le principe d’une autorisation administrative préalable à l’implantation ou à l’extension de grandes surfaces en France est inscrit dans notre droit positif depuis plus de 40 ans.
Les modalités de délivrance et de contrôle des autorisations d’aménagement commercial ont évolué à la faveur des grandes réformes de l’urbanisme commercial. L’arrêt commenté offre l’opportunité d’apprécier l’évolution du contentieux d’urbanisme commercial avec en toile de fond la loi de modernisation et de l’économie du 4 août 2008 et la loi ACTPE du 18 juin 2014 dont on rappellera à titre liminaire les principaux objectifs (I.)
La décision d’annulation de la Cour Administrative d’Appel de DOUAI du 23 février 2017 présente un intérêt certain en ce qu’elle illustre les modalités du contrôle du juge administratif quant à la délivrance des autorisations d’aménagement commercial. (II)
I – Evolutions normatives récentes de l’urbanisme commercial
La loi de modernisation de l’économie a constitué une réforme très importante en matière d’urbanisme commercial à la fois en ce qui concerne le seuil des autorisations d’exploitations commerciales relevées de 300m² à 1000m² qu’en matière de composition des commissions départementales et nationales d’aménagement commercial.
La loi LME introduit également des critères d’appréciation des projets fondés sur des critères de développement durable, protection des consommateurs et aménagement du territoire.
Successivement, loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises[1] a constitué une réforme très importante du régime d’autorisation en fusionnant permis de construire et autorisations d’exploitation commerciale avec notamment, l’instauration d’un guichet unique qui permet désormais aux porteurs du projet de déposer un seul dossier comprenant à la fois la demande de permis de construire et la demande d’autorisation d’exploitation commerciale.
La loi ACTPE[2] innove également en renforçant la représentation des élus au sein des commissions départementales et nationales d’aménagement commercial et instaure un droit d’auto-saisine au profit de la Commission Nationale.
La loi ALUR[3] soumet également à autorisation d’exploitation commerciale les « drives » et emporte également une limitation de l’étendue des aires de stationnement.
La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques[4] autorise désormais la cessibilité et la transmission de l’autorisation d’exploitation commerciale.
C’est dans ce contexte normatif que la Cour Administrative d’Appel a été amenée à se prononcer sur la demande d’annulation formulée à la requête de la commune de Mante la Jolie, les chambres de commerce et de l’Industrie de Rouen, d’Eure et Loire et du pays d’Auge.
II – Le contrôle juridictionnel des critères d’autorisation d’aménagement commercial
Avant d’examiner la kyrielle de vices qui ont affecté la légalité externe et interne de l’autorisation et qui ont justifié son annulation, on rappellera l’intérêt de cette décision en exposant quelques données statistiques issues de la jurisprudence administrative relative aux autorisations rendues par la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC).
Il convient à titre liminaire de préciser que le recours contentieux exercé à l’encontre des décisions de la CNAC est très fréquent puisqu’il concerne environ plus de 50% des décisions rendues par la CNAC.
Ainsi en 2015, sur les 240 décisions rendues par la CNAC, 124 d’entre elles ont été déférées au juge administratif[5].
Il est encore utile de préciser que le taux d’annulation des décisions de la CNAC par la juridiction administrative est de l’ordre de 17 à 20% et que 80% des recours exercés concernent les décisions de refus de délivrance d’autorisation.
De ces prémices statistiques, le lecteur pourra donc apprécier la configuration assez rare d’une décision d’annulation portant sur la délivrance d’une autorisation d’exploitation commerciale.
Avant d’aborder les moyens de légalité qui ont été invoqués aux fins de l’annulation de la décision, on relèvera également avec intérêt que ce recours est porté par des autorités publiques soucieuses de défendre les intérêts économiques et commerciaux des centres villes ayant pour conséquence l’augmentation de la vacance commerciale des centres villes en constante progression depuis les années 2000.
Conséquence de la neutralisation du principe d’économie des moyens en matière d’urbanisme, le juge administratif a été amené à retenir plusieurs motifs de légalité interne et externe justifiant l’annulation de la décision.
II-1. Sur les moyens de la légalité externe et vice de procédure : l’irrégularité des convocations
La convocation des parties devant la CNAC implique l’exigence d’un formalisme spécifique notamment en matière de production de pièces qui doit advenir 10 jours avant la réunion.
Ainsi, la convocation doit être adressée a minima dans les 15 jours qui précèdent la réunion de la CNAC et doit avertir les parties du fait que les pièces qui seraient présentées en deçà du délai de 10 jours avant la réunion seront déclarées irrecevables.
Le premier moyen de légalité externe pointe donc la carence de la CNAC dans la régularité de sa convocation. Le considérant 9 de l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel traite la violation des obligations procédurales sous l’égide de la jurisprudence DANTHONY[6] rappelant qu’un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.
En l’espèce, la Cour Administrative d’Appel relève que les « conditions irrégulières de la convocation » ont été aux auteurs du recours la possibilité de présenter des pièces et contributions ainsi que le recours à des auditions de personnes extérieures.
En ce sens, la Cour estime que ces manquements ont privé les auteurs du recours d’une garantie qui entache la régularité de la procédure et la légalité de la décision.
II-2. L’illégalité interne de l’autorisation
Sur le plan de la légalité interne, la Cour Administrative analyse les critères de l’autorisation en examinant le critère de localisation du projet ; le critère de l’effet du projet sur l’animation de la vie urbaine et rurale et sa contribution à la revitalisation du tissu commercial, sur l’effet du projet sur les transports.
II-21. Sur la localisation et l’intégration urbaine des projets de création de magasins
On sait que la question de la bonne intégration urbaine des projets de création de magasins est de celles auxquelles la CNAC accorde une grande importance, plus précisément l’autorité administrative indépendante s’attache à vérifier l’implantation des magasins en continuité du tissu urbain, la proximité de l’habitat et la bonne accessibilité de l’espace commercial par différents moyens et modes de transport.
L’idée directrice est pour la CNAC d’éviter que le projet ne contribue au mitage de l’espace naturel et ce malgré l’implantation du projet dans une zone d’aménagement concertée qui constitue pour le juge administratif une présomption de bonne intégration urbaine[7].
Ainsi, le Juge administratif se livre à une véritable analyse in concreto du critère de localisation en évaluant le périmètre et la zone de chalandise du projet de construction d’implantation commerciale.
II-22. Critère de l’effet du projet sur l’animation de la vie urbaine et rurale et de sa contribution à la revitalisation du tissu commercial
Sur ce point, la Cour apporte une contribution jurisprudentielle intéressante en ce qu’elle livre une analyse sur les incidences qu’aurait eu le projet d’implantation sur les enseignes existantes dans les centres urbains de la zone de chalandise.
Elle relève que la majorité des marques adossées au projet d’implantation sont positionnées sur un secteur « haut de gamme et moyenne gamme » qui est également celui des magasins implantés dans les centres villes de la zone de chalandise.
Ainsi, on comprend que, sans se livrer à une analyse purement concurrentielle, qui est interdite par le droit européen[8], la Cour prend en considération les externalités négatives du projet en termes économiques et notamment les conséquences négatives sur le développement des commerces du centre ville, des communes avoisinant la zone de marchandise.
II-23. Critère de l’effet du projet sur les transports
Le juge focalise son attention sur le sous-dimensionnement du stationnement affecté au projet, en relevant que le parc de stationnement est destiné à accueillir au maximum 1 200 véhicules alors que le village projeté implique le déplacement de 600 employés sur leur lieu de travail, que le dossier de fréquentation provisionnelle escompte des déplacements de plus de 2 000 à 4 000 véhicules en fin de semaine, qu’ainsi ce sous-dimensionnement du parking est de nature à créer des difficultés de stationnement susceptibles de provoquer des encombrements à l’approche du village et de créer un effet négatif sur les flux de transport des voies menant au village.
Harald MIQUET
Vivaldi-Avocats
[1] Loi n°2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises
[2] LOI n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, JORF n°0140 du 19 juin 2014 page 10105
[3] Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et à l’urbanisme rénové
[4] Loi n° 2015-990 du 6 août 2015
[5] Rapport d’activité CNAC 2015, page 45.
[6] CE, ass., 23/12/2011, Mr. Danthony
[7] Conseil d’Etat, 3 avril 2015 n° 372435
[8] Articles 14-5 et 14-6 de la Directive 2006/123/CE du Parlement Européen et du Conseil en date du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur