L’état de cessation des paiements d’une filiale doit être caractérisé indépendamment de la situation de sa mère.

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

Source : Cass. Com., 15 novembre 2017, pourvoi n° 16-19.690 F-P+B+I.

 

La question de la stratégie de la société holding, ou des associés, a déjà été traitée par la Cour de cassation dans deux arrêts extrêmement connus, les arrêts CŒUR DE DEFENSE[1] et SODIMEDICAL[2].

 

Dans ces deux précédentes affaires, il avait été reproché aux associés/sociétés holding l’instrumentalisation de la procédure de sauvegarde, s’agissant de l’affaire CŒUR DE DEFENSE, ou le « sacrifice » de la filiale portant les contrats de travail dans l’affaire SODIMEDICAL. Mais dans les deux cas, la Cour de cassation était venue juger que les conditions d’ouverture de la procédure collective devaient être appréciées indépendamment d’une stratégie plus globale, ou stratégie de groupe.

 

L’arrêt ici commenté va dans le même sens.

 

En l’espèce, une société était titulaire d’une délégation de services publics passée avec la commune d’ANTIBES JUAN-LES-PINS, pour l’exploitation d’une salle omnisports. Cette société avait alors constitué une société filiale, dont elle était l’associée unique, pour les besoins de l’exécution du contrat de délégation de service public. Dans le cadre de ce contrat, la société mère s’était notamment engagée à « apporter à la société dédiée tous les moyens humains, financiers et techniques nécessaires à la continuité du service public ».

 

Pourtant, au terme d’une série d’évènements qui ne sont pas tous relatés dans l’arrêt de cassation, la filiale fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, au passif de laquelle la commune déclare alors une créance de plus de 4 800 000 euros.

 

Postérieurement à la déclaration, l’Administrateur judiciaire requiert alors du Tribunal la conversion de la sauvegarde en liquidation judiciaire. Et dès la liquidation prononcée, le Liquidateur résilie le contrat de délégation de services publics.

 

La commune forme alors tierce-opposition au jugement ayant prononcé la liquidation et assigne la société mère en intervention forcée. La commune fait ainsi valoir la fraude dans l’utilisation des procédures collectives, en reprochant à la société mère d’avoir isolé le contrat de délégation de services publics sur une société dédiée et d’avoir fait en sorte d’en obtenir la liquidation, pour être dégagée des obligations du contrat, et obtenir sa résiliation sans en payer le coût.

 

Elle soutient notamment que « l’état de cessation des paiements de la filiale et l’impossibilité de son redressement avaient été intentionnellement organisés en vue d’obtenir la résiliation du contrat de délégation de services publics, afin de permettre à la société mère d’échapper à ses obligations résultant de ce contrat ».

 

Les Juges du fond refusent de rétracter le jugement de conversion et la commune se pourvoit en cassation. Dans le cadre de son pourvoi, la commune reproche en outre aux Juges du fond de n’avoir pas retenu de collusion frauduleuse de la part de la société mère, alors même que cette dernière avait refusé d’exécuter son engagement d’apporter son soutien financier à sa filiale, et alors même qu’aucune action en vue de l’exécution forcée de cette obligation n’avait été intentée.

 

La Cour de cassation balaie l’argumentation et s’en tient à une vision à la fois très restrictive mais très orthodoxe de l’examen des conditions de conversion de la sauvegarde en liquidation judiciaire.

 

Elle renvoie en effet aux conditions de l’article L. 640-1 du Code de commerce, qui prévoit que lorsque sont caractérisés un état de cessation des paiements et une impossibilité de redressement, le Tribunal doit convertir la procédure en liquidation.

 

Tel était bien le cas, indépendamment de la question de la stratégie ou des manœuvres de la société mère.

 

La Cour de cassation précise à ce titre que « l’état de cessation des paiements de la filiale doit être caractérisé objectivement et de manière autonome, sans prendre en considération les capacités financières de la société mère. […] en l’état de refus de la société mère de poursuivre son soutien financier, la société débitrice ne dispose d’aucune réserve de crédits lui permettant de faire face à son passif exigible et se trouve en état de cessation des paiements ».

 

Elle ajoute que lorsque les conditions sont réunies, l’administrateur est alors légalement tenu de déclarer la cessation des paiements.

 

Enfin, elle ne retient pas les griefs relatifs à une supposée collusion frauduleuse, estimant que « il n’appartenait pas à la juridiction saisie de la tierce-opposition au jugement de liquidation judiciaire de se prononcer sur la décision ultérieure du Liquidateur de résilier le contrat de délégation de service public, ni d’obliger la société mère à exécuter les engagements pris aux termes du contrat de délégation ».

 

La Cour de cassation confirme ainsi ses jurisprudences antérieures : seules comptent les conditions d’ouverture de la liquidation, indépendamment de la stratégie plus globale du groupe.

 

La Doctrine rappelle à ce titre régulièrement que la procédure collective doit être considérée comme « neutre juridiquement ». Elle n’est ni sanction, ni échappatoire et doit être appréhendée objectivement, c’est-à-dire comme une technique de redressement et/ou d’apurement du passif d’une société, en dépit du potentiel d’instrumentalisation de cette procédure[3].

 

Très clairement, la contestation du jugement de procédure collective en lui-même (ouverture, conversion, issue de la procédure, etc.) semble ainsi, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, de peu d’intérêt, la Haute juridiction rappelant régulièrement le caractère très technique de ces décisions.

 

Dans ces conditions, il convient manifestement d’agir sur d’autres fondements et dans d’autres conditions, par exemple contre l’associé, sur le terrain de la responsabilité. A ce titre, et pour se rattacher à l’arrêt ici commenté, il conviendra de rappeler que la Cour de cassation a déjà pu admettre la faute détachable de l’associé envers les tiers[4]. C’est très exactement le cas ici : la société mère, c’est-à-dire associée de la débitrice, pourrait bel et bien avoir engagé sa responsabilité à l’égard d’un tiers, la commune.

 

L’arrêt est donc à la fois frustrant (très clairement, la stratégie procédurale semble cousue de fil blanc), mais logique : la Cour de cassation ne retient que la technique de la procédure collective, de laquelle est nécessairement exclue la manœuvre ou la stratégie de groupe. L’arrêt nous semble donc devoir être approuvé.

 

Etienne CHARBONNEL

Associé

Vivaldi-Avocats


[1] Cass. Com., 8 mars 2011, pourvoi n° 10-13.988.

[2] Cass. Com., 3 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.026.

[3] voir notamment Eva MOUIAL-BASSILANA, IN BJS, février 2018, n° 117 h6 page 115.

[4] Cass. Com., 18 février 2014, pourvoi n° 12-29.752.

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