Juger la régulation, c’est encore réguler

Harald MIQUET
Harald MIQUET

 

Source : CE, 20 mars 2017, Région aquitaine-Limousin-Poitou Charente, n°401751

 

Les décisions qui offrent plus de sécurité juridique aux opérateurs économiques ayant à composer avec la pratique des AAI sont fortes appréciables en l’attente que le statut général des AAI et API[1], réduit dans sa forme actuelle au plus stricte dénominateur commun, ne se saisisse de la question de la portée des lignes directrices des autorités de régulation.

 

Plus précisément, la décision émise par une autorité administrative indépendante peut-elle sous le crible d’un contrôle en excès de pouvoir être annulée au motif qu’une autorité indépendante ait méconnu ses propres lignes directrices ?

 

Un bref rappel des faits et du contexte normatif (1) apportera une meilleure lisibilité aux principes dégagés par la juridiction notamment sur le degré d’interprétation que la plus haute juridiction administrative en chambres réunies à conféré aux autorités de régulation (2).

 

1) Rappel des faits et contexte normatif de la décision

 

Depuis la loi n°2015-990, du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, les bus « Macron » sont en marche avec à la clef une libéralisation partielle ou à tout le moins régulée du transport public. L’idée est de prévenir un effet d’écrémage du service public local/interrégional en créant les conditions d’une concurrence frontale entre les services de transport subventionnés par des autorités organisatrices de transport et des opérateurs économiques nouveaux entrants.

 

En ce sens, l’article 3111-18 du code des transports dispose :

 

« Tout service assurant une liaison dont deux arrêts sont distants de 100 kilomètres ou moins fait l’objet d’une déclaration auprès de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, préalablement à son ouverture. L’autorité publie sans délai cette déclaration.

 

Une autorité organisatrice de transport peut, après avis conforme de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, dans les conditions définies à l’article L. 3111-19, interdire ou limiter les services mentionnés au premier alinéa du présent article lorsqu’ils sont exécutés entre des arrêts dont la liaison est assurée sans correspondance par un service régulier de transport qu’elle organise et qu’ils portent, seuls ou dans leur ensemble, une atteinte substantielle à l’équilibre économique de la ligne ou des lignes de service public de transport susceptibles d’être concurrencées ou à l’équilibre économique du contrat de service public de transport concerné. »

 

C’est dans ce contexte normatif que la société Starshipper, société indépendante de transport de voyageurs, a déposé auprès de l’autorité de régulation des activités ferroviaires et routières une déclaration portant sur un service régulier interurbain de transport par autocar entre Brive-la-Gaillarde et Périgueux visant à réaliser depuis chacune de ces villes plusieurs dessertes journalières.

 

Par un avis n° 2016-070 du 18 mai 2016[2], l’Autorité de régulation a estimé que le service envisagé ne portait pas une atteinte substantielle à l’équilibre économique de la ligne de transports express régionaux.

 

C’est à l’encontre de cet avis que la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes a formé un recours en excès de pouvoir.

 

2) Sur le degré de liberté d’interprétation conféré aux régulateurs de leurs lignes directrices

 

Plusieurs moyens aux fins de l’annulation ont été soulevés par la partie requérante dont celui de la prise en compte des subventions publiques dans le calcul de l’atteinte à l’équilibre économique de la ligne nouvellement créée.

 

L’apport jurisprudentiel de la décision est développé en son troisième considérant. Le requérant fait notamment grief à l’ARAFER d’avoir dans l’avis émis dérogé à ses propres lignes directrices. Plus spécifiquement, afin de mener son analyse de substituabilité des offres, l’ARAFER a eu recours à l’ensemble des critères énumérés au sein de ses lignes directrices à savoir : « la comparaison des horaires, les fréquences journalières et hebdomadaires proposées et les temps de parcours », mais a également pris en compte un critère non prévu dans les lignes à savoir la « localisation des arrêts du service ». C’est ce critère du point de vue de l’autorité qui a cristallisé la non substituabilité des offres.

 

D’où la question juridique qui en découle, une autorité de régulation peut-elle s’écarter des règles qu’elle a elle-même déterminées ?

 

L’enjeu est d’importance car la réponse donnée à cette question a une incidence sur la sécurité juridique des opérateurs économiques publics et privés.

 

Le Conseil d’Etat tranche par la positive en estimant qu’ « il incomberait à l’Autorité, eu égard au projet qui lui était soumis, de prendre en compte également, pour apprécier de façon pertinente la substituabilité, la localisation des arrêts du service proposé par la société Starshipper ».

 

En d’autres termes, le Conseil d’Etat a reconnu une marge d’appréciation aux autorités de régulation quant aux règles souples qu’elles édictent. La soft law, droit souple appelle la souplesse, et La Palice n’en n’aurait pas déconvenu.

 

L’ajout d’un critère dans l’analyse conduite par une autorité peut ainsi se comprendre comme un approfondissement de la régulation, où l’évolution prime l’intangibilité de la norme.

 

Cette décision qui a mis en scène l’ajout d’un critère d’appréciation au vademecum des lignes directrices ouvre néanmoins la voie à une autre question, quid de la légalité d’un avis d’une autorité faisant l’économie d’un ou plusieurs critères des lignes directrices ? Réponse au prochain arrêt, où juger la régulation, c’est encore réguler.

 

Harald MIQUET

Vivaldi-avocats

 


[1] LOI organique n° 2017-54 du 20 janvier 2017 relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes, JORF n°0018 du 21 janvier 2017

[2]  Décision n° 2016-137 du 12 juillet 2016, portant adoption des lignes directrices relatives à la déclaration des services routiers sur les liaisons régulières interurbaines par autocar inférieures ou égales à 100 kilomètres et à l’instruction des demandes d’interdiction ou de limitation formées par les autorités organisatrices de transport.

 

 

 

 

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