Dualité de dates et validité d’un commandement de payer visant la clause résolutoire : la Cour d’appel de Douai entre-t-elle en résistance par rapport à la position adoptée par la cour de cassation en la matière ?

Delphine VISSOL
Delphine VISSOL

 

 

Source : CA DOUAI – 3ème Chambre – 5 septembre 2013 – n°13/765 et 12/06289 – Dafri/Partenord Habitat OPAC – Jurisdata 2013-018785

 

I – L’espèce commenté : un acte irrégulier dans la forme mais validé à raison de l’absence de grief.

 

En l’espèce, un commandement visant la clause résolutoire a été délivré au preneur le 23 juin 2010 pour une somme de 2 538.77 € en principal.

 

Pour le voir dire et juger nul, le preneur a soutenu par devant le Tribunal d’instance que ce commandement de payer faisait mention de deux délais distincts pour s’acquitter de sa dette en sorte que cette irrégularité aurait créée une confusion dans son esprit ne lui permettant pas d’y donner suite utilement.

 

En effet, le commandement mentionnait, en sa page 1 : « je vous ordonne de payer sous vingt-quatre heures » puis, en bas de cette même page, « Je vous déclare qu’à défaut de règlement dans le délai de deux mois, le requérant entend se prévaloir de la clause résolutoire contenue au contrat de location… ».

 

Le Tribunal ne fera pas droit à cette demande de nullité du commandement, jugement dont a interjeté appel le preneur.

 

Par arrêt en date du 5 septembre 2013, la Cour d’appel a confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a dit ce commandement valable et, en conséquence, constaté la résiliation du bail à la date du 24 août 2010.

 

Tout en relevant que le commandement comportait en effet deux délais distincts, la Cour a cependant considéré que cela ne constituait « qu’une irrégularité formelle n’entrainant la nullité de l’acte que s’il est rapporté la preuve d’un grief », cette preuve n’étant en l’espèce pas rapportée au regard de la rédaction de ce commandement lequel comportait des mentions relatives au délai « claires et exemptes de toute interprétation ».

 

La Cour a effet relevé que, si ce commandement portait mention, en sa page 1, d’un délai de 24 heures pour s’acquitter du paiement, celui-ci faisait par trois fois mention du délai de deux mois, dès lors qu’il :

 

Indiquait, en bas de cette première page, le délai de deux mois à l’issu duquel, à défaut de règlement, le requérant entendait se prévaloir de la clause résolutoire contenue au contrat de location,

 

Reprenait, en sa page 2, les six premiers alinéas de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 lesquels, d’ordre public, précisent ce délai de deux mois dont dispose le locataire pour régler les causes du commandement à peine de voir le bail résilié,

 

Reproduisait, en sa page 3, la clause 4/4 du contrat de bail rappelant que le bail pourra être résilié de plein droit « après commandement de payer demeuré infructueux dans un délai de deux mois ».

 

« Que ces mentions relatives au délai sont claires et exemptes de toute interprétation ; que l’énoncé à plusieurs reprises dans l’acte critiqué du délai de deux mois, ainsi que le loi l’exige, enlève toute possibilité de confusion et a ainsi permis au locataire de prendre la mesure exacte de l’injonction de régler l’arriéré de loyers et pouvoir prendre toute disposition pour y parvenir dans le délai requise » en sorte que l’appelant « n’est pas fondé à prétendre que les mentions de l’acte auraient pu créer une confusion dans son esprit ».

 

Il sera précisé qu’en l’espèce le preneur, tout en critiquant la validité du commandement, n’a pas jugé utile de s’acquitter, que ce soit dans un délai de 24 heures ou de deux mois, des causes du commandement…ni même de s’acquitter, dans le temps de la procédure, des loyers et charges courants laissant ainsi sa dette locative croitre de 2 538.77 € à 7 769.58 € en sorte que la Cour l’a également débouté de sa demande en délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire.

 

II – La Cour d’appel de Douai entre-t-elle en résistance avec la Cour de cassation ?

 

Ce n’est pas la première fois que la Cour d’appel de Douai valide des commandements qui intègrent deux dates distinctes, ce qui crée, à l’évidence, une confusion dans la compréhension des règles, que le bailleur tente d’imposer au preneur. En se retranchant derrière la notion de grief la Cour d’appel de Douai cherche à garder une marge d’appréciation qu’elle utilisera en fonction de l’appréciation personnelle de la bonne ou mauvaise foi du preneur à bail. Une autre vision consiste à considérer que l’indication de deux délais distincts est objectivement une source de confusion de sorte que l’acte est sans autre appréciation externe, susceptible d’être annulé.

 

Pour autant, censurant un arrêt de la chambre commerciale de la Cour d’appel de Douai [1] qui avait jugé que la dualité de dates dans un commandement n’était pas, sauf grief, source d’annulation du commandement, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler [2] :

 

« Attendu que pour écarter les moyens de nullité de commandement invoqués par la Société (…) l’Arrêt retient que, par motif adopté, le commandement du 05 avril 2006 faisait injonction à la locataire de payer une certaine somme dans les 8 jours de la délivrance de cet acte, que toutefois ce commandement rappelle en page 2 les dispositions de l’article L 145-41 du Code de Commerce et que la circonstance que le Bailleur a délivré cet acte en vue d’un paiement sous huitaine, n’est pas de nature à caractériser de sa part, la volonté de voir anticiper les effets du commandement, l’absence de tout paiement sous huitaine n’étant pas de nature à faire jouer la clause résolutoire avant l’expiration du délai d’un mois comme l’exige la loi ;

 

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la mention de 2 délais différents dans le commandement n’étaient pas de nature à créer une confusion dans l’esprit du locataire destinataire de cet acte, l’empêchant de prendre la mesure exacte des injonctions qui lui étaient faites et d’y apporter la réponse appropriée dans le délai requis, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à cette décision.

 

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le premier moyen de pourvoi en principal et sur le moyen unique du pourvoi incident, casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’Arrêt rendu le 18 novembre 2008 entre les parties par la Cour d’Appel de DOUAI ».

 

Toute la difficulté pour la Cour d’appel de Douai est que la 3ème chambre civile de la Cour de cassation est également la chambre qui examine les pourvois formés contre les décisions rendues en baux d’habitation, de sorte que l’on peut se demander si par la décision commentée, la Cour d’appel de Douai n’entre pas en résistance par rapport à la position adoptée par la Haute cour… sauf à imaginer que la Cour de cassation exprime une position différente en fonction de la nature du bail (habitation ou commercial) … ce qui est peu probable. 

Delphine VISSOL

Vivaldi-Avocats

 


[1] Cour d’appel de Douai. 2ème Chambre 18/11/2008 n° : 07/06640

[2] 3ème civ, 29 juin 2010, n° 09-10394 

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