SOURCE : Cour de cassation, Chambre commerciale, 9 mars 2022 – N°20.11.845, Publiée au Bulletin.
I – Le taux d’intérêt légal permet principalement le calcul des indemnités de retard dans les procédures civiles et commerciales.
L’article 313-2 du Code monétaire et financier prévoit en son deuxième alinéa, une stricte distinction entre d’une part, le taux applicable aux créanciers personnes physiques n’agissant pas pour les besoins professionnels, c’est-à-dire aux particuliers, et d’autre part, le taux applicable aux autres, c’est-à-dire aux professionnels.
L’enjeu de cette distinction se fonde sur la différence d’intérêt légal appliqué, qui peut s’avérer colossale, le plus élevé étant en moyenne celui applicable au bénéfice des particuliers.
La Banque de France procède chaque semestre au calcul de ces taux et en communique les résultats à la direction générale du Trésor. Les taux ainsi définis servent de référence le semestre suivant.
Ils peuvent être identiques comme cela a été le cas entre 2011 et 2014, mais peuvent être largement éloignés l’un de l’autre. Par exemple ; au 1er janvier 2022 : 3,13% pour les premiers, et 0,76% pour les seconds.
Conscient de cet enjeu financier non négligeable, la distinction entre les deux a fait l’objet de précisions jurisprudentielles.
II – En l’espèce, une société est condamnée au paiement de plus de 400.000 € au titre d’une cession de parts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement.
L’héritière venant aux droits de l’associé cédant décédé, n’ayant pas obtenu paiement, délivre un commandement de payer valant saisie vente à la société pour une somme calculée avec des intérêts de retard suivant le taux légal applicable aux créanciers personnes physiques n’agissant pas pour les besoins professionnels, c’est-à-dire aux particuliers.
Contestant l’application de ce taux, la société élève un contentieux.
En première instance, les juges appliquent le taux d’intérêt relatif aux professionnels.
A contrario, en cause d’appel les juges appliquent le taux d’intérêt des particuliers.
Un point partout la balle au centre, mais qui a raison ?
Il faut en réalité admettre que le texte n’apporte pas de précision quant à la distinction entre les deux régimes.
Ainsi, les juges ont eu à prendre en compte d’une part, qu’il s’agissait d’une société commerciale, et que l’intéressé en était le gérant, et d’autre part, qu’il justifiait de la perception d’une retraite pouvant finalement permettre d’écarter les besoins professionnels.
Grace à la société, nous avons dorénavant plus d’éclairage.
En effet, la société se pourvoit en cassation au motif que, selon elle, une personne physique associée et gérante d’une société commerciale, qui déciderait de céder ses parts du capital, agirait nécessairement pour des besoins professionnels au sens du texte précité, de sorte que le taux appliqué ne serait manifestement pas le bon.
C’est pourtant à tort, puisque la Cour de cassation confirme la décision de ses collègues de Cour d’appel, et déboute la société de son pourvoi.
Pour ce faire, elle considère que :
« 3. N’agit pas pour des besoins professionnels, au sens de l’article L. 313-2 du code monétaire et financier, le créancier personne physique qui poursuit le recouvrement d’une créance qui n’est pas née dans l’exercice de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole et ne se trouve pas en rapport direct avec cette activité. Tel est le cas du créancier personne physique qui, ayant cédé des parts lui appartenant dans le capital d’une société commerciale dont il est le gérant, agit en paiement du prix de cession ».
Dans cet arrêt, qui reçoit l’honneur de la publication au Bulletin, la Cour de cassation pose deux conditions permettant d’apprécier le potentiel ralliement d’une personne physique agissant ou non pour des besoins professionnels.
1. Le créancier personne physique doit poursuivre le recouvrement d’une créance née dans l’exercice de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, ou agricole.
2. Le créancier personne physique doit se trouver en rapport direct avec cette activité.
Considérant les éléments comme non réunis, les juges suprêmes confirment qu’au cas d’espèce, le taux des particuliers doit s’appliquer.
III – Rapprochement avec le droit de la consommation
C’est dans un sens semblable à celui du droit de la consommation que les juges du Quai de l’Horloge se sont positionnés ici.
En effet, l’article liminaire du Code de la consommation définit justement une notion qui nous intéresse particulièrement, celle de professionnel :
« 3° Professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel ».
Ainsi donc, le professionnel est défini dans les deux cas, comme une personne agissant à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, ou agricole.
A contrario, celle n’agissant pas dans ce cadre ne peut donc être considérée comme un professionnel.
En conclusion, l’ancien associé qui entend obtenir paiement de ses parts sociales cédées peut ne pas être considéré, aux yeux des juges du Quai de l’Horloge, comme agissant pour des besoins professionnels, quand bien même il était gérant d’une société commerciale.