Valorisation des parts sociales d’une associé de SARL décédé : Attention à l’erreur grossière d’évaluation.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

L’erreur grossière appréciée au cas d’espèce, est celle relative à la date de la valorisation des titres : L’expertise peut-elle se fonder sur des données en partie postérieures au décès de l’associé?

CA Nîmes, 4e ch. com., 17 mai 2023, n° 21/02058.

I –

Une SARL est constituée de deux associés égalitaires. L’un décède, l’associée survivante souhaite acquérir de ses parts pour devenir associée unique.

Pour ce faire, elle refuse expressément l’agrément des héritiers du défunt, et s’oblige alors à payer le prix des parts sociales aux héritiers… encore faut-il trouver un consensus sur celui-ci.

Evidemment, les parties sont en désaccord, lequel persistant, amène à la saisine de la juridiction consulaire, laquelle désigne un expert judiciaire, chargé de déterminer la valeur des parts sociales de l’associé décédé, conformément à la procédure prévue par l’article 1843-4 du Code Civil, constitutive du droit commun en matière de société.

La valorisation donnée par l’expert ainsi désigné est censée faire loi entre les parties, elle a nécessairement force obligatoire, alors, il n’appartient pas au juge de remettre en cause le montant retenu par celui-ci. Des exceptions sont toutefois posées, et notamment en cas d’erreur grossière.

C’est l’objet de cet arrêt.

II –

De nouveau, les parties s’opposent, puisque l’une d’entre elle reproche à l’expert d’avoir valorisé les parts sociales en se fondant sur des données telles que chiffre d’affaires, marge brute, qui sont en elles-mêmes pour partie, postérieures au décès de l’associé.

En effet, le législateur a encadré strictement, par un article spécifiquement dédié aux SARL, le cas de l’évaluation des parts sociales par un tiers expert.

Le dernier alinéa de l’article L223-13 du Code de commerce est sans équivoque dans la mesure ou il indique que la valeur des droits sociaux est déterminée au jour du décès conformément à l’article 1843-4 du Code civil.

Les juges du second degré ont relevé que :

  • Les statuts de la société n’ont pas prévu de règles spécifiques, ou de modalités différentes de détermination de la valeur des parts sociales,
  • Au contraire, ils se sont contentés de renvoyer les associés vers les dispositions de l’article 1843-4 du Code civil susmentionné, pour la fixation du prix d’acquisition en cas de refus d’agrément,
  • La jurisprudence constante en la matière indique que les associés qui s’en remettent à un expert judiciaire pour fixer le prix des parts sociales, « font de la décision de celui leur loi »,
  • Ainsi, seule quelques exceptions peuvent permettre de remettre en cause les conclusions du tiers expert, et notamment une erreur grossière.

Dès lors, la définition de celle-ci est reprise dans l’arrêt directement :

« L’erreur grossière est traditionnellement définie comme celle qu’un technicien normalement soucieux de ses fonctions ne saurait commettre, l’erreur étant appréciée par rapport au ‘comportement d’un appréciateur avisé et consciencieux’ ».

III –

La prise en compte de données postérieures au décès de l’associé, constitue-t-elle une erreur grossière ?

En l’occurrence, l’expert avait pour la rédaction de son rapport, collationné des données établies à partir de l’activité postérieure, de deux années après la disparition du défunt.

Les juges du second degré considèrent :

« (…) il ne s’est pas comporté en appréciateur avisé et consciencieux, en procédant à la détermination de la valeur vénale du fonds de commerce et à des projections de résultats pour les dix prochaines années, à partir d’informations qui n’étaient pas connues, ni même prévisibles, au moment du décès de l’associé ».

Le rapport, entaché d’une erreur grossière commise par l’expert judiciaire est donc totalement écarté.

IV –

Les juges n’ont pas d’autre choix que de l’écarter intégralement, puisqu’en adopter partiellement les conclusions reviendrait à porter une appréciation sur le prix de cession en se substituant à l’expert judiciaire précédemment désigné par leur collègue Président du tribunal de commerce, en violation du droit prétorien.

La Cour ne peut pas davantage nommé un nouvel expert judiciaire, puisque cette compétence est attribuée uniquement au Président du tribunal judiciaire (pour les sociétés civiles) ou celui du tribunal de commerce, selon une procédure spécifique celle « accélérée au fond ».

En conclusion, soit les parties tentent une nouvelle fois de négocier, soit elles recommencent la procédure et demandent la désignation d’un nouvel expert.

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