Source : 3ème civ, 29 novembre 2018, n°17-23.058, FS – P+B+R+I
L’abondant contentieux qu’il véhicule depuis plusieurs années fait de l’article L112-1 du Code monétaire et financier (CMF) l’un des textes les plus connus des praticiens des baux commerciaux et des preneurs à bail, et des plus craints des propriétaire d’immeubles. Aux termes de cet article :
« Est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment de baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision. »
C’est sur la base d’une interprétation stricte de ce texte d’ordre public que des preneurs à bail ont entendu obtenir la remise en cause de la validité de clauses d’indexations :
– A indice de base fixe ;
– Dans le cadre d’une révision du loyer au titre de l’article L145-39 du Code de commerce[1] ;
– Lors du renouvellement du bail[2].
La Cour de cassation s’est ainsi rapidement positionnée sur la validité de principe de la clause d’indexation à indice de base fixe[3], et sur l’absence d’effet de l’application des dispositions du Code de commerce sur la validité de la clause d’indexation.
En revanche, la Troisième chambre civile considérait que la distorsion, aussi minime que soit son effet sur les obligations du preneur, entraine l’anéantissement de la clause d’indexation[4] : elle censurait ainsi une Cour d’appel qui se refusait, compte tenu du caractère négligeable de la somme objet de la « défaillance », à anéantir la clause d’indexation dans son ensemble.
Par un arrêt du 29 novembre 2018, la Cour de cassation semble revenir partiellement sur cette jurisprudence particulièrement sévère à l’égard du bailleur, en distinguant les défaillances ponctuelles de clauses d’indexation, des stipulations créant une véritable distorsion indiciaire « dans l’entier déroulement du contrat ».
En l’espèce, un bail prend effet le 1er juin 2000. Il contient une clause d’indexation prévoyant une indexation le 1er janvier de chaque année selon la variation sur un an de l’indice ICC.
Pour le preneur, la première indexation est réalisée 7 mois après la date d’effet du bail, selon la variation de l’indice ICC sur un an : il y aurait ainsi distorsion au sens de l’article L112-1 du CMF. La Cour d’appel de VERSAILLES constate cette distorsion et répute non écrite la clause d’indexation, conduisant le bailleur à saisir la Cour de cassation de la difficulté.
Dans un attendu de principe, la Cour de cassation précise :
« qu’en application de [l’article L112-1 du CMF], est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, tel que le bail commercial, prévoyant la prise en compte, dans l’entier déroulement du contrat, d’une période de variation indiciaire supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision ; »
Pour en déduire que :
« seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée est réputée non écrite et que la clause prévoyait un premier ajustement, illicite mais ponctuel, tenant à la prise d’effet du bail en cours d’année civile, tandis que les périodes de référence suivantes avaient la même durée, la cour d’appel a violé le texte susvisé »
Cet arrêt apporte vraisemblablement deux enseignements :
1. Seules les distorsions dont l’effet se poursuit d’année en année sont illicites, de sorte que la défaillance ponctuelle n’entraine pas l’anéantissement d’une clause d’indexation. Ainsi, la distorsion initiale, lorsque la clause d’indexation ne contient pas d’indice de base fixe, ne remet pas en cause la clause d’indexation. Se posera de la même manière la question de l’anéantissement des clauses d’indexation évoluant « uniquement à la hausse » ou « ne pouvant conduire à une indexation sous un montant plancher » lorsque la clause est à indice de base fixe : En effet, l’absence de réciprocité ne conduira qu’à des défaillances ponctuelles de la clause d’indexation, laquelle reprend son cours normal dès que l’indice de référence évolue à la hausse.
2. « Seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée est réputée non écrite » : La Cour ne semble ainsi plus admettre[5] que « la clause d’indexation du bail constitue un ensemble indivisible », ce que retenait, par exemple la Cour d’appel de PARIS[6]. Se posera dès lors la question de l’anéantissement d’une clause d’indexation évoluant « uniquement à la hausse » ou « ne pouvant conduire à une indexation sous un montant plancher » dans un paragraphe distinct de celui abordant les modalités de fonctionnement de la clause d’indexation ? Une lecture stricte de l’arrêt conduit en effet à retenir que seule la stipulation est réputée non écrite, à l’exclusion de la clause d’indexation en son entier.
Le rapport annuel de la Cour de cassation, dans lequel figurera l’arrêt du 29 novembre, sera donc particulièrement attendu des bailleurs, comme des preneurs, pour déterminer les effets précis de ce revirement de jurisprudence.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] Commentaire Vivaldi-chronos du 8 juin 2018 : « La révision légale du loyer ne saurait organiser l’illicéité d’une clause d’indexation »
[2] 3ème civ, 13 septembre 2018, n°17-19525, FS-P+B+I et notre commentaire du 8 novembre 2018 : « Le renouvellement du bail, pas plus que la révision légale du loyer, ne saurait entrainer l’anéantissement d’une clause d’indexation »
[3] 3ème civ, 3 décembre 2014, n°13-25034, FS-P+B+R et notre commentaire vivaldi-chronos : Validité de la clause d’indexation à indice de base fixe
[4] 3ème civ, 17 mai 2018, n°17-11.635, Inédit
[5] 3ème civ, 14 septembre 2017, n°16-20048
[6] CA PARIS, 20 janvier 2016, n°13/21626 et 14/06301