Contrefaçon de logiciel par un licencié : action contractuelle ou délictuelle ?

Virginie PERDRIEUX
Virginie PERDRIEUX

 

Source : Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 1, arrêt du 16 octobre 2018, aff. IT Development / Free Mobile

 

Depuis le XIXème siècle, le droit français de la responsabilité civile repose sur le principe cardinal du non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, lequel implique :

 

– qu’une personne ne peut voir sa responsabilité contractuelle et sa responsabilité délictuelle engagées par une autre personne pour les mêmes faits ;

 

– que la responsabilité délictuelle est écartée au profit de la responsabilité contractuelle dès lors que, d’une part, les parties sont liées par un contrat valable et que, d’autre part, le dommage subi par l’une des parties résulte de l’inexécution ou de la mauvaise exécution de l’une des obligations du contrat.

 

Par ailleurs, le droit français considère de manière traditionnelle que la contrefaçon, laquelle est à l’origine un délit pénal, ressort de la responsabilité délictuelle et non de l’inexécution d’un contrat.

 

Qu’en est-il lorsque le présumé contrefacteur est par ailleurs lié par un contrat de licence avec le titulaire des droits de propriété intellectuelle ?

 

La société FREE MOBILE, opérateur de téléphonie mobile, a signé avec la société IT Development une licence et un contrat de maintenance sur un progiciel « ClickOnSite » de gestion de projet centralisé, destiné à lui permettre de suivre en temps réel l’évolution du déploiement de l’ensemble de ses antennes de radiotéléphonie par ses équipes.

 

L’éditeur du logiciel a prétendu que la société FREE MOBILE avait apporté des modifications au logiciel, en violation du contrat de licence, notamment en créant de nouveaux formulaires, de sorte qu’il l’a poursuivi en contrefaçon et indemnisation de son préjudice.

 

En première instance, les Juges ont estimé que la demanderesse ne pouvait invoquer un fondement délictuelle, en présence d’un contrat de licence liant les parties et l’a donc déclarée irrecevable à agir. Plus précisément, les premiers juges ont considéré que la combinaison des articles 122-6 et 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle conduisait à reconnaître deux régimes distincts de responsabilité en la matière, l’un délictuel en cas d’atteinte aux droits d’exploitation de l’auteur du logiciel, tels que désignés par la loi, l’autre contractuel, en cas d’atteinte à un droit de l’auteur réservé par contrat.

 

Le Tribunal a retenu en l’espèce, alors que les parties sont liées par un contrat et qu’il est allégué que le dommage résulte de l’inexécution des clauses de ce contrat, que la responsabilité délictuelle devait être écartée au profit de la responsabilité contractuelle, et par voie de conséquence que l’action en contrefaçon, assimilée à l’action délictuelle, devait être déclarée irrecevable.

 

En cause d’appel, la société IT Development sollicite à titre préliminaire la soumission d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, afin de déterminer le fondement juridique susceptible d’être recevable en la matière.

 

Si la Cour observe que les précédents jurisprudentiels correspondent à la décision des premiers juges, elle estime pertinente la remarque selon laquelle la contrefaçon ne serait pas par essence une action délictuelle, mais pourrait aussi résulter de l’inexécution d’un contrat.

 

Il est vrai en effet que la contrefaçon se définit dans son acception la plus large comme une atteinte à un droit de propriété intellectuelle et, dans le cas particulier de l’article L.335-3, comme la violation de l’un des droits de l’auteur d’un logiciel. Aucun de ces textes non plus qu’aucun autre texte français relatifs à la contrefaçon ne dispose expressément que celle-ci ne s’applique que lorsque les parties ne sont pas liées par un contrat.

 

Au cas d’espèce, les articles L 122-6 et L 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle, s’ils prévoient notamment que les modalités particulières d’une modification d’un logiciel peuvent être déterminées par contrat, ne disposent nullement que dans ces cas une action en contrefaçon serait exclue. Il en est de même des articles 4 et 5 de la directive 2009/24/CE dont ils sont la transposition. Enfin, il est vrai que l’article 2 “champ d’application” de la directive 48/2004/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle dispose d’une manière générale que les mesures, procédures et réparations s’appliquent (…) à toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle, sans distinguer selon que cette atteinte résulte ou non de l’inexécution d’un contrat.

 

La Cour a donc estimé dans ces conditions qu’une question préjudicielle devait être soumise dans les termes proposés à la Cour de Justice de l’Union Européenne, soit :

 

« Le fait pour un licencié de logiciel de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence de logiciel (par expiration d’une période d’essai, dépassement du nombre d’utilisateurs autorisés ou d’une autre unité de mesure, comme les processeurs pouvant être utilisés pour faire exécuter les instructions du logiciel, ou par modification du code-source du logiciel lorsque la licence réserve ce droit au titulaire initial) constitue-t-il :

 

– une contrefaçon (au sens de la directive 2004/48 du 29 avril 2004) subie par le titulaire du droit d’auteur du logiciel réservé par l’article 4 de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur

 

– ou bien peut-il obéir à un régime juridique distinct, comme le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun ?  »

 

La réponse à cette question préjudicielle pourrait également être transposable au droit des brevets et au droit des marques, pour lesquels la même interrogation subsiste lorsque le litige intervient entre deux parties à un contrat de licence.

 

 Virginie PERDRIEUX

Vivaldi-Avocats

 

 

 

 

 

Print Friendly, PDF & Email
Partager cet article