Groupe fiscalement intégré et CVAE

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Source : Cons Constit n° 2017-629 QPC du 19 mai 2017

I – La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dans les groupes fiscalement intégrés [1]

I-1

La cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) est, avec la contribution foncière des entreprises (CFE), l’un des deux éléments de la contribution économique territoriale (CET), qui s’est substituée à la taxe professionnelle depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

En instituant ce nouveau dispositif d’imposition, le législateur entendait répartir plus équitablement son poids entre les différents secteurs d’activité et améliorer la compétitivité des entreprises. La CVAE est régie par les articles 1586 ter à 1586 nonies du CGI.

La CVAE a pour assiette la valeur ajoutée produite par l’entreprise au cours de l’année au titre de laquelle l’imposition est établie (II de l’article 1586 ter du CGI). La valeur ajoutée ici prise en compte ne se confond pas avec la valeur ajoutée sur laquelle est assise la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Elle correspond, de manière schématique, au chiffre d’affaires de l’entreprise, déduction faite de certaines charges, selon l’approche dite « différentielle » En effet, si le montant légal d’assujettissement est en droit fixé à 152 500 euros (I de l’article 1586 ter du CGI), il est en réalité porté à 500 000 euros par l’effet du dégrèvement « barémique » présenté ci-après.(I-2)

En principe, la CVAE s’applique uniformément au taux de 1,5 %[2]Cette contribution est en réalité un impôt progressif, dont le taux effectif varie en fonction du chiffre d’affaires. Cette progressivité est assurée par un dégrèvement « barémique ».

Le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution le premier alinéa du de l’article 1586 quater du CGI-I bis du CGI, dans sa rédaction résultant de la loi de finances pour 2011.

            I-2

En vertu de l’article 1586 quater-I du CGI, les entreprises redevables de la CVAE bénéficient d’un dégrèvement dont le montant est égal à une fraction de cette cotisation. Cette fraction décroît en fonction de leur chiffre d’affaires.

Aux termes du premier alinéa du I bis de cet article :

 

« Lorsqu’une société est membre d’un groupe mentionné à l’article 223 A ou à l’article 223 A bis, le chiffre d’ affaires à retenir pour l’application du 1 s’entend de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres du groupe. ».

Autrement dit le taux de la CVAE applicable aux sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré n’est pas déterminé d’après leur chiffre d’affaires individuel mais d’après le chiffre d’affaires consolidé du groupe intégré.

Cette disposition n’est pas applicable aux sociétés membres d’un groupe dont la société mère au sens de l’article 223 A bénéficie des dispositions du l’article 219-I-b du CGI (taux réduit de l’impôt sur les sociétés).

Le paragraphe I bis de l’article 1586 quater du CGI, objet de la QPC, prévoit que le dégrèvement barémique s’applique selon des modalités spécifiques pour les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré dont la société mère ne bénéficie pas du taux réduit d’impôt sur les sociétés (IS) prévu à l’article 219 du CGI [3]

Dans ce cas, le chiffre d’affaires à retenir « s’entend de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres du groupe » – et non du chiffre d’affaires de la seule société redevable.

Ainsi, à l’exception des sociétés dont le chiffre d’affaires excède 50 000 000 d’euros, les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré sont, à chiffre d’affaires égal, plus lourdement imposées que les entreprises n’appartenant pas à un tel groupe.

Cette consolidation s’applique uniquement pour le calcul du dégrèvement barémique. Elle ne s’applique pas pour le montant de chiffre d’affaires déterminant le champ d’application (152 500 euros), qui s’apprécie au niveau de chaque société.

II-Le litige

La société FB Finance est la mère d’un groupe fiscalement intégré.

À la suite d’un contrôle, l’administration a remis en cause le taux d’imposition effectif à la CVAE auquel cette société a été soumise au motif que, pour le calcul du dégrèvement barémique, elle avait pris en compte son chiffre d’affaires et non la somme des chiffres d’affaires de toutes les sociétés du groupe dont elle est membre, en méconnaissance des dispositions du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du CGI.

L’administration a notifié des suppléments de CVAE au titre des années 2011, 2012 et 2013. Après le rejet de sa réclamation, la société requérante a demandé au tribunal administratif de Lille la décharge de ces suppléments d’imposition. À l’appui de ce recours, elle a présenté une QPC portant sur les dispositions du paragraphe I

bis de l’article 1586 quater du CGI.

Le président de la 4e chambre du tribunal Administratif de Lille a transmis cette question au Conseil d’État.

Par la décision du 1er mars 2017, après l’avoir restreinte au seul premier alinéa du paragraphe I bis de l’article 1586 quater du CGI, le Conseil d’État a renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel, au motif que « Le moyen tiré de ce qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au principe d’égalité devant la loi soulève une question présentant un caractère sérieux »

 

La société requérante et les parties admises à intervenir soutenaient qu’en traitant différemment, pour la détermination du taux effectif de la CVAE due par les sociétés membres d’un groupe, selon que celui-ci relève ou non du régime de l’intégration fiscale, les dispositions contestées méconnaîtraient les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.

Elles reprochaient également aux dispositions contestées de méconnaître la garantie des droits, protégée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 à un double titre. Elles estimaient, d’une part, que les dispositions contestées s’appliquaient de manière rétroactive aux sociétés ayant déjà opté pour le régime de l’intégration fiscale et, d’autre part, qu’elles privaient les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré des effets qu’elles pouvaient attendre du mécanisme de dégrèvement transitoire pour la contribution économique territoriale.

En défense, le Premier ministre, qui admettait l’existence d’une différence de traitement, invoquait le motif d’intérêt général tiré de la volonté de faire échec à des stratégies d’optimisation fiscale consistant à « filialiser » l’activité, afin de bénéficier des tranches les plus basses du barème de la CVAE.

III-La décision d’inconstitutionnalité

Après avoir rappelé sa formulation de principe en matière d’égalité devant la loi (paragr. 4), le Conseil constitutionnel a également rappelé l’objet du régime des groupes fiscalement intégrés :

 

« L’article 223 A du code général des impôts permet à une société, sur option, de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et par les sociétés dont elle détient, directement ou indirectement, au moins 95 % du capital » ( § 6).

Il a, enfin, rappelé le mode de calcul spécifique du dégrèvement « barémique » prévu par les dispositions contestées :

« Les dispositions contestées prévoient que, pour les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré au sens de cet article 223 A et dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur ou égal à 7 630 000 euros, le dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est calculé selon des modalités spécifiques. Dans ce cas, même si l’imposition est assise sur la valeur ajoutée de chaque société, le chiffre d’affaires à retenir pour déterminer le taux s’entend de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres du groupe » (§. 7).

Il a ensuite procédé à l’analyse constitutionnelle des dispositions contestées. :

Il a, tout d’abord été constaté l’existence d’une différence de traitement :

 

« Ainsi, les sociétés appartenant à un groupe dans lequel la condition de détention de 95 % fixée par l’article 223 A est remplie font l’objet d’un traitement différent, selon que ce groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale »(§ 8).

Puis recherché si cette différence de traitement était justifiée par une différence de situation ou un motif d’intérêt général. Il a considéré que cette différence de traitement n’est pas justifiée par une différence de situation :

 

« Or, en premier lieu, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est une imposition distincte de l’impôt sur les sociétés. Les modalités spécifiques de calcul du dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée instituées par les dispositions contestées sont donc sans lien avec le régime de l’intégration fiscale, qui a pour objet, en matière d’impôt sur les sociétés, de compenser, au titre d’un même exercice, les résultats bénéficiaires et déficitaires des sociétés membres du groupe. Par conséquent, lorsque la condition de détention mentionnée ci-dessus est satisfaite, les sociétés appartenant à un groupe sont placées, au regard de l’objet de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, dans la même situation, que ce groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale » (§9).

Ce faisant, le conseil a implicitement écarté l’un des deux motifs, autre que celui de rendement, évoqués dans les travaux parlementaires pour justifier la mesure, tiré de la volonté de tenir compte « de la réalité économique des sociétés concernées, qui bénéficient pour l’IS du régime d’intégration ».

Il a, en revanche, considéré que la différence de traitement était justifiée par le motif d’intérêt général consistant à faire obstacle à des comportements* d’optimisation de la part des sociétés membres de groupes fiscalement intégrés :

« En second lieu, en instituant des modalités spécifiques de calcul du dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d’opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de cette cotisation dû par l’ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d’affaires en son sein. Le législateur a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général » (§ 10).

C’est l’application du dernier critère posé par la formulation de principe en matière d’égalité devant la loi, c’est-à-dire le critère du « rapport direct entre la différence de traitement et l’objet de la loi », qui a conduit le Conseil constitutionnel à censurer les dispositions contestées.

Il a en effet considéré qu’en l’espèce le critère retenu par le législateur pour fonder la différence de traitement n’était pas en adéquation avec l’objet de la loi :

« Toutefois, s’il pouvait, à cet effet, prévoir des modalités de calcul du dégrèvement spécifiques aux sociétés appartenant à un groupe, lorsque la condition de détention mentionnée ci-dessus est satisfaite, il ne pouvait distinguer entre ces groupes selon qu’ils relèvent ou non du régime de l’intégration fiscale, dès lors qu’ils peuvent tous réaliser de telles opérations de restructuration. Le critère de l’option en faveur du régime de l’intégration fiscale n’est donc pas en adéquation avec l’objet de la loi. Par suite, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées méconnaît le principe d’égalité devant la loi » (même §

La déclaration d’inconstitutionnalité intervient à compter de la date de publication de la décision commentée Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date, sous réserve du respect des délais et conditions prévus par le livre des procédures fiscales.

Eric DELFLY

Vivaldi-Avocats



[1] Le régime de l’intégration fiscale a pour objet la réduction de la charge d’IS globale pesant sur un groupe d’entreprise grâce à la compensation des bénéfices et des déficits des différentes sociétés membres de ce groupe.

À cet effet, la société tête de groupe se constitue seule redevable de l’IS dû sur le résultat d’ensemble du groupe, qui résulte de l’agrégation des résultats individuels de chacune des sociétés membres du groupe.

Le bénéfice du régime de l’intégration fiscale, ouvert sur option, est régi par les articles 223 A à 223 U du CGI. Il ne s’applique qu’en matière d’impôt sur les sociétés.

Il est subordonné au respect de conditions contraignantes. En particulier :

– le capital des sociétés membres du groupe doit être détenu, directement ou indirectement, à hauteur d’au moins 95 % par la société tête de groupe ;

– toutes les sociétés membres du groupe doivent être soumises à l’IS ;

– la société tête de groupe ne doit pas être détenue, directement ou indirectement, par une autre société française soumise à l’IS ;

[2] Al 2 du*paragraphe II de l’article 1586 ter du CGI.

[3] Groupes dont le chiffre d’affaires consolidé du groupe n’excède pas 7 630 000 euros.

 

 

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