Droit de rétractation et estoppel en droit des baux commerciaux

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : 3ème civ, 3 novembre 2016, n°15-25427

 

Si le congé à un caractère définitif et ne peut être rétracté qu’avec l’accord de son destinataire, il est de jurisprudence constante que l’offre de renouvellement ou de paiement d’une indemnité d’éviction contenue dans l’acte n’a qu’un caractère provisoire, et n’interdit pas au bailleur de rétracter son offre lorsque le bail n’entre pas dans le champ d’application des dispositions statuaires.

 

Tel sera le cas par exemple lorsque le preneur a une activité civile[1], n’est pas immatriculé au RCS[2], ou cesse d’exploiter son fonds[3]. De plus, la rétractation du congé reste possible, même s’il est démontré que ces situations étaient connues du bailleur lors de la délivrance de l’acte[4] qui ne vaut pas, en lui-même, reconnaissance du droit au Statut.

 

Un preneur a toutefois tenté de s’opposer à la perte de son fonds de commerce en s’appuyant sur le principe de l’estoppel, également appelé principe de cohérence, notion emprunté au droit anglo-saxon selon lequel une partie ne peut se contredire au détriment d’autrui.

 

Cette notion, évoquée en jurisprudence depuis un arrêt d’assemblée plénière du 27 février 2009[5] qui ne donnera toutefois pas de suite favorable aux moyens développés par le demandeur, est cependant accueillie très restrictivement par la Cour de cassation.

 

Un preneur à bail d’un terrain nu sur lequel était exploitée une activité de terrains de camping et parcs pour caravanes ou véhicules de loisirs, avait toutefois tenté de fonder son argumentation sur ce moyen.

 

Plus précisément, le preneur avait reçu de la commune de LA RONDE un congé « sans offre de renouvellement de bail commercial en application de l’article L. 145-14 du code de commerce ». L’acte contenait également les termes du dernier alinéa de l’article L. 145-9 du même code relatif à l’exercice du droit du locataire de contester le congé ou de demander une indemnité d’éviction.

 

Le preneur a donc saisi le tribunal de grande instance en paiement d’une indemnité d’éviction, demande à laquelle s’est opposée la commune en déniant le statut des baux commerciaux, le bail portant sur un terrain nu sur lequel aucune construction n’a été édifiée (art L145-1 I 2° du Code de commerce).

 

Invoquant l’estoppel, le preneur dénonçait le comportement de la commune et affirmait que le bailleur ne pouvait, sans se contredire, et à la fois délivrer congé dans les formes et délais du statut des baux commerciaux, et prétendre que le bail se situait hors champ des dispositions du statut des baux commerciaux.

 

La Cour d’appel de POITIER accueil favorablement ses prétentions, et considère que la Commune ne pouvait pas se contredire au détriment du preneur.

 

L’arrêt est cependant cassé sur le fondement de l’article 72 du Code de procédure civil, la Haute Juridiction rappelant que les défenses au fond peuvent être invoquées en tout état de cause, y compris au cours d’une instance en fixation de l’indemnité d’éviction.

 

Il n’y a en effet là pas lieu d’évoquer l’estoppel, qui est limitée aux seules prétentions objet du litige et non leur qualification juridique. La conception restrictive de la notion d’estoppel par la Cour de cassation ne permettait donc aucun espoir au preneur.

 

Le Bailleur pourra-t-il toutefois s’en sortir à si bon compte devant la Cour de renvoi ? En effet, la Cour de cassation est demeurée taisante sur les effets du congé délivré par le bailleur, malgré une branche du moyen unique consacré à la question : en d’autres termes, la délivrance d’un congé dans les formes de l’article L145-9 du Code de commerce par le bailleur, alors que le bail ne relevait manifestement pas des dispositions du statut des baux commerciaux, ne vaut-elle pas extension conventionnelle du statut qui, selon la jurisprudence[6], empêche le bailleur de se prévaloir de la cause de dénégation évoquée ?

 

Un obstacle se dresserait cependant sur le chemin du preneur. Le bailleur avait conclu devant la Cour de cassation que la seule délivrance du congé ne suffit pas à caractériser la volonté non équivoque du bailleur à renoncer à se prévaloir des conditions auxquelles était subordonnée l’application du statut des baux commerciaux, pour faire échec à la demande de paiement d’une indemnité d’éviction. En effet, rappelons que « la renonciation à un droit ou une action ne peut se présumer et que, pour être utilement opposée par celui qui s’en prévaut, elle doit être certaine, expresse et non équivoque »[7].

 

Autrement dit, la seule délivrance d’un congé reprenant les formes et exigences du statut des baux commerciaux vaut-elle reconnaissance « expresse et non équivoque » du statut des baux commerciaux par le bailleur ?

 

Il appartiendra à la Cour d’appel de Bordeaux de trancher.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats


[1] 3ème civ, 28 janvier 2016, n°14-18628

[2] 3ème civ, 19 novembre 2015, n°14-22000 ; 3ème civ, 17 mars 2016, n°14-25088

[3] Cass com., 16 mai 1962, n°58-10643,

[4] 3ème civ, 19 novembre 2015, 28 janvier et 17 mars 2016 préc.

[5] Assemblée plénière, 27 février 2009, 07-19.841, Publié au bulletin

[6] Cf notre article du 23 février 2016 : Défaut d’exploitation d’une activité commerciale dans les lieux : l’application du statut des baux commerciaux sur le fil du rasoir.

[7] 3ème civ, 18 janvier 2012, 11-10.389, Publié au bulletin

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