Divorce du conjoint collaborateur et sort des dettes liées à la gestion d’une entreprise : première application de l’article 1387-1 du Code civil

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

Source : Cass. civ. 1ère, 5 septembre 2018, n°17-23.120, FS-P+B

 

I – Rappel du texte en question

 

La Loi n°2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises prévoyait notamment des mesures d’incitation fiscale ayant pour objectif de renforcer les fonds propres des entreprises, la simplification des formalités de création et de transmission d’entreprise, un accès facilité au financement bancaire, mais aussi la clarification du statut des conjoints d’entrepreneur et la protection de leur patrimoine personnel.

 

Sur ce point, un article 1387-1 avait été inséré dans le Code civil, pour disposer que :

 

« Lorsque le divorce est prononcé, si des dettes ou sûretés ont été consenties par les époux, solidairement ou séparément, dans le cadre de la gestion d’une entreprise, le tribunal de grande instance peut décider d’en faire supporter la charge exclusive au conjoint qui conserve le patrimoine professionnel ou, à défaut, la qualification professionnelle ayant servi de fondement à l’entreprise »

 

Cette disposition est issue d’un amendement parlementaire, destiné à protéger le conjoint du chef d’entreprise qui s’est porté caution. Elle donne pouvoir au juge, lors d’une procédure de divorce et donc en dehors de toute procédure collective, et en dehors de toute faute ou excès du créancier, de libérer l’un des époux du poids d’une dette professionnelle, ou de la charge d’une sûreté, en le faisant supporter à celui qui demeure propriétaire de l’entreprise. Le divorce deviendrait ainsi une nouvelle cause d’extinction des créances et des sûretés.

 

Ce texte aurait pu figurer dans la section 2 du chapitre 1er du livre 1er du Code de commerce intitulé « du conjoint du chef d’entreprise travaillant dans l’entreprise familiale », mais le Législateur lui a préféré les dispositions générales du titre 5ème du livre 3ème du Code civil intitulé « du contrat de mariage et des régimes matrimoniaux ». Il a vocation à s’appliquer à tous les conjoints pour toutes les dettes, et toutes les sûretés liées à l’activité de l’entreprise. Les termes mêmes de cette disposition « dettes ou sûretés consenties par les époux,…, dans le cadre de la gestion d’une entreprise » souligne cette volonté universaliste.

 

L’effacement pourra intervenir sans qu’aucun manquement ne puisse être imputé au créancier. Rien dans le libellé du texte n’interdirait d’en faire application au conjoint qui n’a aucune activité dans l’entreprise mais qui est débiteur solidaire d’une dette professionnelle.

 

La dette peut êtes solidaire ou non, la seule condition requise est qu’elle soit liée à l’activité professionnelle de l’ex-conjoint. Ainsi les créanciers professionnels, et en premier lieu les établissements de crédit, comme les créanciers non professionnels sont concernés. Le terme d’entreprise est suffisamment imprécis pour englober nombre de situations. Des difficultés de délimitation risquent d’apparaître pour les crédits consentis pour le financement de biens à usage mixte. Sont concernées aussi bien les sûretés réelles que les sûretés personnelles.

 

II – L’espèce

 

Le 14 octobre 2005, des époux, mariés en 1985 sans contrat préalable, avaient acquis un fonds de commerce pour l’exploiter sous la forme d’une entreprise individuelle au nom de l’époux, son épouse ayant le statut de conjoint collaborateur. Après leur divorce, prononcé le 3 octobre 2008, des difficultés se sont élevées pour le partage de leurs intérêts patrimoniaux. L’ex-époux faisait grief aux juges du fond de lui faire supporter toutes les dettes de l’entreprise, en ce compris le prêt de trésorerie de 40.000 euros.

 

III – Le pourvoi

 

L’ex-poux faisait valoir à l’appui de son recours que l’application de l’article 1387-1 du Code civil, faisant dérogation au droit commun, devait faire l’objet d’une décision motivée, lui refusant ici toute automaticité. La cour d’appel aurait donc privé sa décision de base légale.

 

La Haute Cour rejette le pourvoi, au motif que le patrimoine professionnel de l’entreprise était attribué à l’ex-époux selon l’accord des parties, et retient, d’une part, que la valeur patrimoniale de l’entreprise traduisait un état de dettes largement supérieur à ses actifs et que les prélèvements annuels personnels de ce dernier jusqu’en 2007 étaient disproportionnés au regard de la situation financière de l’entreprise, d’autre part, que l’ex-époux avait souscrit à titre personnel, le 15 janvier 2009, un prêt de trésorerie de 40.000 euros, la cour d’appel a souverainement déduit de ces énonciations et constatations qu’il devait supporter seul l’entier passif de l’entreprise.

 

IIII – Portée

 

C’est à notre connaissance la première application par la Cour de cassation de l’article 1387-1 du Code civil.

 

Cette nouvelle disposition a été jugée source d’insécurité juridique dès sa promulgation, du fait de la disparition de la charge de remboursement du crédit professionnel par l’ex-conjoint et/ou de la suppression des garanties de paiement, fermant un peu plus le robinet du crédit. Ajoutée avec la possibilité de créer des sociétés pratiquement sans capital social, outre l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur, cette fragilisation des sûretés consenties par le conjoint du chef d’entreprise était vue comme de trop.

 

Il faut désormais dissocier les garanties données par les personnes physiques de celles données par les personnes morales ou celles octroyées par un consommateur de celles octroyées par un professionnel, mais aussi celles fournies par le conjoint de chef d’entreprise de celles fournies par une personne non mariée.

 

Les travaux préparatoires montrent que le Législateur voulait protéger le conjoint divorcé ayant eu un statut de collaborateur, de salarié ou d’associé qui s’était porté caution des dettes de l’entreprise. Il s’agissait de contrecarrer la jurisprudence LEMPEREUR[1], qui avait sensiblement dilué l’interférence de la cause dans le contrat de cautionnement. La disparition de la cause était fréquemment alléguée en cours d’exécution du contrat, notamment par un époux divorcé qui s’était porté caution des dettes de son conjoint au cours du mariage. La jurisprudence avait toujours refusé de suivre cette argumentation.

 

L’article 1387-1 du Code civil remet en cause ces principes et, avec sa portée très large, donne un pouvoir discrétionnaire au juge, avec un risque accru de fraudes, au travers de divorces sollicités dans le seul but d’anéantir les droits de certains créanciers.

 

Faut-il y voir une contrariété aux principes juridiques les mieux établis que sont la force obligatoire des contrats (article 1104 du Code civil) ou le droit de propriété de créance (article 17 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et article 1er protocole additionnel de la Conventions Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme) ? Ou faut-il plutôt distinguer entre l’obligation et la contribution à la dette, l’article 1387-1 du Code civil ne concernant que la contribution à la dette, et donc les seules relations pécuniaires des époux entre eux (ce que faisait déjà la pratique judiciaire) ? L’obligation à la dette n’étant nullement affectée, le créancier garderait le droit de poursuivre les deux époux, selon la nature et les termes des engagements souscrits ?

 

L’arrêt ci-commenté ne répond pas à ces questions, les époux n’étant manifestement pas poursuivis par un quelconque créancier au cas d’espèce. Notons cependant que les juges fond semblent pencher vers la seconde acception[2].

 

Notons également que la Cour de cassation prend soin de relever d’autres éléments traduisant le comportement inconséquent de l’ex-conjoint, au vu de la situation financière de l’entreprise. Une faute de l’époux doit-elle être démontrée pour que l’article 1387-1 du Code civil reçoive application ? La Cour régulatrice devra le confirmer.

 

Enfin, une ultime précision : l’article 1387-1 du Code civil n’est pas applicable aux dettes contractées avant son entrée en vigueur[3].

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats


[1] Cass. com. 8 nov. 1972, n°71-11.879, publié au bulletin

[2] TGI Évreux, 17 nov. 2006 : Defrénois 2008. 316, obs. Champenois ; LPA 15-16 août 2007, note Edel ; Bourges, 24 janv. 2008 : RJPF 2009-6/25, note Casey.

[3] Douai, 20 oct. 2008 : Dr. fam. 2009, no 52, obs. Larribau-Terneyre ; RJPF 2009-6/25, note Casey.

 

 

 

 

 

 

 

 

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