L’indemnité d’occupation sans titre de locaux accordée au bailleur par le juge n’est pas assujettie à la TVA

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

 

SOURCE : Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 30 mai 2018, n° 402447, SCI Armor Immo

 

Pour être imposées à la TVA, les indemnités doivent constituer la contrepartie d’une prestation de services individualisée rendue à celui qui la verse[1].

 

A l’inverse, une indemnité qui a pour objet exclusif de réparer un préjudice commercial, fût-il courant, n’a pas à être soumise à cet impôt, dès lors qu’elle ne constitue pas la contrepartie d’une prestation de services.

 

Pour déterminer les règles de TVA applicables à une indemnité, il convient donc, dans chaque situation de fait, d’analyser les conditions de son versement. Si la somme représente, pour la personne qui la verse, la contrepartie d’un service qui lui est rendu, il convient de conclure au caractère taxable de cette somme indépendamment du fait qu’elle résulte de l’application du contrat ou de la loi ou qu’elle est fixée par le juge. A cet égard, pour la détermination du régime applicable, il est rappelé que l’administration n’est pas liée par la qualification juridique donnée à l’indemnité par les parties.

 

Le Conseil d’Etat a du se pencher sur le cas particulier d’une indemnité d’occupation accordée au bailleur par le juge dont le montant a été fixé par référence au loyer mensuel prévu dans le bail.

 

Rappel des faits et de la procédure

 

La SCI ARMOR IMMO donnait en location des locaux industriels à la SARL SERPAL, le bail commercial a été résilié avec effet au 26 avril 2006 par le preneur sans toutefois que celui-ci quitte les lieux.

 

Le bailleur a alors engagé une procédure d’expulsion pour occupation sans droit ni titre devant le juge des référés du TGI de Dole. Par une ordonnance du 3 août 2006, confirmée par un arrêt de la Cour d’appel de Besançon, le juge des référés a constaté le défaut de titre de la SARL SERPAL pour occuper les lieux mais lui a, « en raison du contexte commercial et salarial », laissé un délai de 8 mois pour quitter les lieux et a fixé l’indemnité d’occupation due par mois à 9 435,94 €, soit le montant du loyer mensuel prévu dans le contrat de bail. L’occupation des locaux sans titre par la SARL SERPAL a finalement duré plus de 19 mois.

 

Le bailleur a estimé que l’indemnité perçue durant la période d’occupation constituait la réparation du préjudice subi du fait de cette occupation.

 

A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a considéré que cette indemnité rémunérait une prestation de services et l’a assujettie à TVA.

 

Les rappels de TVA correspondants ont été contestés par la SCI ARMOR IMMO. Le TA de Rennes puis la CAA de Nantes ont rejeté sa demande. La Cour a jugé que le versement de l’indemnité litigieuse avait eu pour contrepartie l’utilisation du bâtiment industriel ayant fait l’objet du contrat de bail et en a déduit que l’indemnité devait être regardé, non pas comme la réparation par des dommages et intérêts du préjudice subi par le bailleur par l’occupation sans titre des locaux, mais comme rémunérant une prestation de services rendue à titre onéreux.

 

La jurisprudence du Conseil d’Etat

 

Le Conseil d’Etat retient une approche casuistique en matière d’assujettissement d’indemnités à la TVA comme le préconise la doctrine administrative.

 

A titre d’exemple, la jurisprudence a considéré que devaient être considérés comme la contrepartie d’un service, et donc être soumis à la TVA :

 

– le dépôt de garantie conservé par un promoteur immobilier en cas de désistement du candidat acquéreur d’un logement, cette somme constituant la rémunération du service de réservation du bien[2],

 

– l’« indemnité » versée en contrepartie d’une réservation de capacité de production non suivie d’une vente[3]

 

En revanche, ne sont pas considérés comme la contrepartie d’un service, et ne sont donc pas taxables, notamment, les indemnités suivantes :

 

– Les arrhes conservées par un fournisseur ou un prestataire en cas de dédit de son client, ces sommes constituant des indemnités forfaitaires de résiliation perçues en réparation du préjudice subi du fait de cette défaillance[4],

 

– l’indemnité pour perte de véhicule perçue par un bailleur ou un crédit-bailleur de l’assureur du client qui correspond à la valeur vénale du bien au moment du sinistre et indemnité complémentaire versée par le client pour que la compensation à ce titre soit totale[5],

 

– l’indemnité pour rupture abusive du contrat de franchise perçue par un franchiseur, visant à réparer le préjudice subi du fait de la résiliation unilatérale du contrat de franchise par le franchisé[6]

 

Il ressort de ces jurisprudences que généralement les sommes versées à titre d’indemnités de résiliation d’un contrat sont qualifiées de véritables indemnités ayant pour objet de réparer un préjudice et ne sont donc pas taxables à la TVA.

 

Les hypothèses dans lesquelles le Conseil d’Etat caractérise des indemnités comme la rémunération d’une prestation de services imposable à la TVA, se rapportent à des versements intervenus en lien avec une relation contractuelle entre les parties. Ce qui est logique puisque la définition même de la prestation de services à titre onéreux suppose l’existence d’un rapport juridique entre les parties.

 

Cela résulte également de la jurisprudence de la CJUE qui estime qu’une prestation de services n’est effectuée à titre onéreux que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées[7].

 

La position du Conseil d’Etat en l’espèce

 

Le rapporteur public recommandait au Conseil d’Etat d’accueillir le moyen soulevé par la SCI ARMOR IMMO, laquelle considérait que l’administration avait commis une erreur de qualification juridique des sommes perçues.

 

Le rapporteur public relève en effet qu’il n’existe aucun rapport juridique entre la SCI ARMOR IMMO et la SARL SERPAL au titre de la période pendant laquelle a été versée l’indemnité d’occupation. Si un contrat a lié les parties auparavant, celui-ci a été résilié et ne produit plus ses effets. Dès lors, il n’y a pas de raisons de traiter différemment l’occupation des locaux selon que l’occupant ait eu un titre auparavant ou n’en ait jamais eu.

 

Ensuite, la société propriétaire des locaux n’a jamais entendu fournir à la SARL SERPAL un service à titre onéreux de mise à disposition de ses locaux pour la période postérieure au bail, il s’agit ici d’une occupation, contre sa volonté et en dehors de tout rapport contractuel, de ses locaux par un tiers.

 

Le fait que le juge des référés ait laissé à la SARL SERPAL un délai de grâce pour quitter les lieux ne vaut pas titre d’occupation et ne fait pas non plus naître de rapport juridique entre les parties.

 

L’indemnité ne peut être regardée comme la contre-valeur d’un service de mise à disposition des locaux, puisqu’en indemnisant la SCI propriétaire l’occupant n’a pas acquis un service ; peu important que la somme versée soit du même montant que le loyer qui avait été convenu dans le bail commercial[8].

 

Il résulte de cette analyse des faits qu’à aucun moment, le propriétaire n’a agit comme un opérateur économique, il n’est qu’une victime de l’atteinte portée à son droit de propriété.

 

Le Conseil d’Etat adopte le raisonnement de son rapporteur et juge que l’indemnité répare un préjudice :

 

« En jugeant que l’indemnité d’occupation que la société Serpal a été condamnée, par le juge judiciaire, à verser à la SCI Armor Immo au titre de cette occupation illégale constituait la rémunération d’une prestation de service à titre onéreux passible de la TVA, alors que cette indemnité visait seulement à compenser le préjudice causé au propriétaire des locaux par l’occupant sans titre, la cour a donné aux faits de l’espèce une qualification juridique erronée, alors même que le montant de cette indemnité avait été fixé par le juge par référence à celui du loyer prévu dans le bail. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, son arrêt doit être annulé. »

 

Clara DUBRULLE

Vivaldi Avocats


[1] BOI-TVA-BASE-10-10-10-20121115 n° 260 et suivants

[2] CE 23-10-1998 n° 154039

[3] CE 15-12-2000 n° 194696, SA Polyclad Europe

[4] CJUE 18-7-2007 aff. 277/05 : RJF 11/07 n° 1363

[5] CE 29-7-1998 n° 146333

[6] CE 10-6-2010 n° 308495

[7] CJCE, 8-3-1988 aff. 102/86, Apple and Pear Development Council

[8] En effet, en présence d’un préjudice de nature économique, pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut rechercher la somme qu’un opérateur, indûment privé de son bien, aurait pu tirer de celui-ci s’il avait été libre de l’exploiter lui-même ou de le redonner en location.

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