Déclaration d’insaisissabilité et hypothèque judiciaire

Frédéric VAUVILLÉ
Frédéric VAUVILLÉ

 

SOURCE : Cass. com., 11 juin 2014, n°13-13.643, publié au Bulletin (JCP E 2014, 1380, note Ch. Lebel ; JCP G 2014, 925, note J – J Barbiéri, et 1339 , n° 13, obs. Ph. Delebecque 11 juin 2014, n°13-13.643, publié au Bulletin (JCP E 2014, 1380, note Ch. Lebel ; JCP G 2014, 925, note J – J Barbiéri, et 1339 , n° 13, obs. Ph. Delebecque

 

Lorsqu’on utilise l’expression « Droit de l’entreprise en difficulté », on songe évidement aux procédures qu’organise le livre VI du Code de commerce qui traite « des difficultés des entreprises ». Mais sans artifice, on peut certainement y inclure les mécanismes juridiques qui ont vocation à jouer lorsque l’entreprise est en difficulté. Dans cette approche, on peut évoquer la déclaration notariée d’insaisissabilité qui par nature, tel le parapluie que l’on n’ouvre que s’il peut, n’a véritablement d’intérêt que si l’entrepreneur individuel est en difficulté et dès lors est mis en procédure collective.

 

A cet égard, on a largement évoqué dans ces colonnes l’innovation introduite avec l’ordonnance du 12 mars 2014 : désormais, la déclaration effectuée en période suspecte est nulle de droit et peut même, à l’instar d’une donation, être annulée si elle est faite dans les six mois qui précèdent la cessation des paiements [1]. C’est d’une certaine manière un retour aux sources : la déclaration n’a pas été conclue pour le débiteur qui est d’ores et déjà en difficulté ; elle est faite pour rassurer celui qui craint d’être demain en difficulté, afin de le convaincre de se lancer dans la vie des affaires en lui assurant de sauver une partie de son patrimoine : les immeubles non affectés à son activité professionnelle.

 

Au-delà de cette actualité législative éminemment notariale, la Cour de cassation a répondu en 2014 à une question inédite : puisque la déclaration a « effet à l’égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à la publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant » (article l. 526-1 du Code de commerce), ceux-ci ne peuvent saisir les biens déclarés insaisissables ; peuvent-ils néanmoins inscrire une hypothèque judiciaire ? Oui, a répondu la Cour de cassation dans un arrêt du 11 juin 2014. En l’espèce, un acheteur qui avait acquis un véhicule d’une personne exerçant à titre individuel, une activité commerciale, l’a assignée en résolution de cette vente et lui a dénoncé l’inscription d’une hypothèque provisoire prise sur un immeuble lui appartenant. Le vendeur a alors sollicité du juge de l’exécution la mainlevée de l’inscription, se prévalant de la déclaration d‘insaisissabilité de cet immeuble. Dans son pourvoi en cassation, le vendeur a soutenu, qu’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel peut déclarer insaisissables ses droits sur l’immeubles où est fixée sa résidence principale, qu’elle peut céder cet immeuble et en conserver le prix sous la condition du remploi dans le délai d’un an des sommes à l’acquisition par le déclarant d’un immeuble où est fixée sa résidence principale, que l’inscription d’une hypothèque judiciaire qui impose en cas de cession de l’immeuble, de distribuer le prix aux créanciers inscrits et exclut dès lors son remploi intégral par l’entrepreneur, est en conséquence impossible ; l’acheteur ne pouvait donc être autorisé à inscrire une hypothèque sur l’immeuble appartenant au vendeur qui est protégé par une déclaration d’insaisissabilité.

 

Le pourvoi sera rejeté : « la cour d’appel a exactement énoncé, par motifs adoptés, que l’article L. 526-1 du Code de commerce, d’interprétation stricte, interdit la saisie du bien objet de la déclaration d’insaisissabilité, mais non l’inscription d‘une hypothèque judiciaire à titre conservatoire sur ce bien.

 

On notera en premier lieu que la qualification du créancier n’était pas dans le débat ; or, on sait que la déclaration ne peut être opposée qu’aux créanciers professionnels postérieurs. On suppose donc qu’en l’espèce, il s’agissait d’un vendeur professionnel d’automobile (on sait juste en étudiant le pourvoi que le désordre était tel que le véhicule était impropre à la circulation) ; dans le cas contraire, la possibilité de saisir et a fortiori de prendre une inscription ne se serait pas posée : les droits du créancier ne seraient pas nés à l’occasion de l’activité professionnelle.

 

Sur le principe, force est d’admettre que la solution retenue par la Cour de cassation ne va pas de soi : il y a des arguments pour et des arguments contre. S’agissant du pour, on peut rappeler que l’insaisissabilité n’interdit pas par nature de prendre une inscription ; la Cour de cassation l’a jugé à propos des biens grevés d’une clause d’inaliénabilité, spécialement en cas de donation : si juge avait constance la Cour de cassation, le bien donné ou légué affecté d’une clause d’inaliénabilité ne peut faire l’objet d’une saisie tant que cette clause est en vigueur [2],  l’inscription d‘une hypothèque judiciaire ne tient pas en échec une clause d’inaliénabilité en ce sens qu’elle ne permet pas la saisie tant que cette clause est en vigueur [3]. Il est possible d’inscrire une hypothèque judiciaire car elle ne permet pas la saisie tant que la clause est en vigueur. Il est vrai que la clause d’inaliénabilité étant nécessairement temporaire (article 900-1), l’insaisissabilité l’est aussi, si bien qu’on peut inscrire une hypothèque pour le temps où l’insaisissabilité aura cessé.

 

Mais, et c’est déjà évoquer le « contre », l’insaisissabilité des immeubles de l’entrepreneur individuel n’est pas a priori temporaire par nature : elle dure tant que le déclarant n’y a pas renoncé, et ce même s’il cesse son activité et même s’il décède puisqu’il a été expliqué au cours des débats parlementaires que l’insaisissabilité se poursuit alors pour toutes les dettes professionnelles [4]. Pourquoi dès lors prendre une hypothèque sur un bien qu’en toute hypothèse on ne peut pas en principe appréhender ? Sur le terrain de l’article 1415 du Code civil, lorsqu’un époux commun en biens a souscrit seul un prêt ou un cautionnement et n’engage pas les biens communs, la Cour de cassation n’a pas hésité à interdire l’inscription d’une hypothèque judiciaire, même s’il lui a fallu pour convaincre la résistance des juges du fond, marteler la solution [5]. Il est vrai qu’à propos de l’article 1415, les arrêts ont été rendus par la 1ère chambre de la Cour de cassation alors que la décision sous examen émane de la chambre commerciale.

 

Il y a peut-être un rapprochement avec les solutions énoncées en matière de clause d’inaliénabilité si l’on se demande -question de notaire- ce qu’il conviendra, le cas échéant, faire du prix si le déclarant entend vendre l’immeuble déclaré insaisissable. Il faudra certainement d’abord lui expliquer que ce n’est pas une bonne idée : en l’absence de vente, l’immeuble reste insaisissable et le créancier inscrit ne dispose alors d’un droit qu’il ne lui sert qu’à faire le guet, non à appréhender sa proie ; mais si la vente se trouve imposée par les circonstances (divorce, séparation ou changement d’activité), la question sera de savoir si l’on pourra procéder au remploi que prévoit l’article L. 526-3 du Code de commerce et qui se trouve limitée à la résidence principale. Lorsque le déclarant entend remployer les fonds à l’acquisition d’une nouvelle résidence principale, l’article L. 526-3 prévoit que « le prix obtenu demeure insaisissable… sous la condition du remploi dans le délai d’un an… et les droits sur la résidence principale nouvellement acquise restent insaisissables à la hauteur des sommes réemployées ». Le créancier, même hypothécaire, ne saurait selon nous faire valoir ses droits dès lors du moins que le remploi peut lui être opposé (dans son pourvoi, le déclarant soutenait le contraire : l’inscription d’une hypothèque judiciaire impose, soutenait-il, de distribuer le prix aux créanciers inscrits et exclut dès lors son remploi intégral). Concrètement, les fonds devraient être consignés dans l’attente du remploi dans le délai d’un an. A défaut, l’insaisissabilité cesserait et les droits du créancier pourraient s’exercer ; l’inscription ne serait finalement prise que sous condition que cesse l’insaisissabilité, en particulier au moment de la vente. A la réflexion, c’est une solution équilibrée qu’a énoncée en l’espèce la Cour de cassation, même si elle s’est réfugiée derrière l’interprétation d’un texte d’exception.

 

Frédéric VAUVILLE

Vivaldi-Avocats


[1] voir notre étude « regard notarial sur la réforme des procédures collectives », Rép. Defrénois 2014, art. 116u3 ; adde « L’entrepreneur individuel après l’ordonnance du 12 mars 2014, Droit et Patrimoine décembre 2014, p.46 s.

[2] Civ. 1° 15 juin 1994 : Bull. civ. I n° 211, D 1995, 342 note Leborgne, Defrénois 1995. 51 note X. Savatier ; D. 1995 ; Somm. 50 obs. Grimaldi

[3] CIv. 1ère 9 octobre 1985, Bull. civ. I n° 252, RTD civ. 1986. 622 obs. Patarin

[4] voir par exemple notre étude « La déclaration notariée d’insaisissabilité, Defrénois 2003, page 1197

[5] sur cette problématique, voir par exemple notre étude in Droit et patrimoine juillet-aout 2003, page 68

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