Sources :
Décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 relatif à la normalisation
Conseil d’État, 6ème chambre, 28/07/2017, 402752, Inédit au recueil Lebon
Conseil d’État, 1ère – 6ème SSR, 10/02/2016, 383756, Publié au recueil Lebon
I-
La normalisation est une activité d’intérêt général qui a pour objet de fournir des documents de référence élaborés de manière consensuelle par toutes les parties intéressées, portant sur des règles, des caractéristiques, des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques, relatives à des produits, à des services, à des méthodes, à des processus ou à des organisations. (art 1 du D 2009)
Elle vise à encourager le développement économique et l’innovation tout en prenant en compte des objectifs de développement durable.(Art D 2).
Les normes sont d’application volontaire.Toutefois, celles ci peuvent être rendues d’application obligatoire par arrêté signé du ministre chargé de l’industrie et du ou des ministres intéressés.( art D 17).
Le texte ajoute lorsque la norme présente en caractère réglementaire : « Les normes rendues d’application obligatoire sont consultables gratuitement sur le site internet de l’Association française de normalisation ».
Les ministères ont depuis longtemps identifié le coté pratique de cette « soft law ».Après tout , si certaines entreprise appliquent dans le cadre de leur politique de RSE une norme contradictoirement discutée ,pourquoi ne pas la rendre obligatoire à tous. C’est là qu’intervient l’AFNOR.
L’AFNOR est une association fondée en 1926, reconnue d’utilité publique, dont le but est :
– d’exercer une mission générale de recensement des besoins en normes nouvelles, de coordination des travaux de normalisation, de centralisation et d’examen des projets de normes, d’approbation des projets en vue de leur publication, de diffusion des normes, de promotion de la normalisation, de formation aux techniques de normalisation, ainsi qu’au contenu des normes, de représentation des intérêts français dans les instances régionales (européennes notamment) et internationales non gouvernementales de normalisation,
– d’unifier les règles sur lesquelles la normalisation doit être basée, – d’élaborer des normes et développer des certifications, – de coordonner les mesures destinées à faciliter l’application de la normalisation et, d’une façon générale, d’encourager son développement en France.
Tout cela n’est pas ,malgré cette mission d’intérêt public, gratuit. Le Chiffre d’affaire de l’AFNOR pour la réalisation de l’ensemble de ces mission était de 146 M€ en 2016.Dans les recettes figurent notamment le prix qu’il faut débourser pour avoir accès à la norme . Et ce n’est pas donné.
II-
L’AFNOR explique sur son site internet les conditions dans lesquelles une norme facultative peut devenir obligatoire mais oublie de citer la fin de l’article 17 du décret de 2009 sur l’accès gratuit d’une norme devenue obligatoire à la faveur d’un arrêté ministériel.
Pour le conseil d’état la sanction est la nullité de l’arrêté d’extension :
«Considérant qu’il est constant qu’à la date à laquelle a été pris l’arrêté attaqué, le ” recueil UTE C 18-510-1 issu de la norme NF C 18-510 ” ne faisait, comme d’ailleurs la norme NF C 18-510 elle-même, l’objet d’aucune mesure de publicité et n’était accessible que par acquisition, à titre onéreux, auprès de l’Association française de normalisation ; qu’en rendant ainsi obligatoire une norme dont l’accessibilité libre et gratuite n’était pas garantie, l’arrêté du 19 juin 2014 a méconnu les dispositions du troisième alinéa de l’article 17 du décret du 16 juin 2009 »
Dans cette première décision rendue en 2016 qui a fait les honneurs d’une publication au recueil Lebon l’annulation de l’arrêté s’impose par la violation d’une norme hiérarchiquement supérieure u le décret de 2009.
L’un des même ministères[1] à l’origine de l’arrêté de 2014 annulé pour excès de pouvoir récidivait à peines 10 jours après la censure du Conseil d’état en publiant le 29 février 2016 un arrêté pris en application de l’article R. 543-79 du code de l’environnement qui rendait obligatoire une norme relative à certains fluides frigorigènes et aux gaz à effet de serre fluoré .La sanction est la même : annulation de l’arrêté avec toutefois une précision :
« (…) que la circonstance, alléguée par le ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargé des relations internationales sur le climat, que le Comité européen de normalisation détiendrait des droits de propriété intellectuelle sur ces normes ne saurait par elle-même faire légalement obstacle à l’obligation qui s’impose à l’autorité publique de s’assurer que ces normes soient gratuitement accessibles ; qu’il en résulte qu’en décidant de rendre obligatoires des normes dont l’accessibilité libre et gratuite n’était pas garantie, l’arrêté du 29 février 2016 a méconnu les dispositions du troisième alinéa de l’article 17 du décret du 16 juin 2009 ; »
La solution est claire : quelque soit le propriétaire de la norme ( droit d’auteur) celle ne peut être rendue obligatoire que si celle ci est accessible gratuitement ,notamment sur le site de l’AFNOR ( mais pourquoi pas sur légifrance en annexe à l’arrêté d’extension )
Cette décision est à conserver précieusement dans une période ou la conformité commence à transpirer hors de ses domaines naturels de la banque de l’assurance et des sociétés cotées. On la retrouve désormais en matière d’ hygiène et de sécurité ,d’environnement , de lutte contre la fraude fiscale et le financement du terrorisme et la corruption et à compter du 25 mai 2018 pour tout ce qui touche l’informatique et les libertés avec l’entrée en vigueur avec l’entrée en vigueur de la directive sur la protection des données personnelles .
Ces nouvelles normes touchent désormais toutes les entreprises quelques soit leur taille et les oblige à mettre en place des actions « visant à rendre les mesures comme les comportements des dirigeants et personnel comme vis-à-vis de tiers conformes à la norme externe et/ou interne applicable au lieu où ils opèrent ».
Autant dire que cette révolution culturelle sur laquelle nous serons amené à beaucoup écrire risque d’être la source de beaucoup d’incompréhension avant qu’elle ne soit assimilée par nos mœurs.
III-
Pour les inconditionnels de la norme ,nous rappellerons que son application totale ou partielle peut être intégré à un contrat de droit public[2] comme de droit privé[3] .
Elle peut même à notre sens faire l’objet d’accords atypiques ou collectifs entre employeurs /salariés ou organisations syndicales notamment en matière d’hygiène et de sécurité . Dés lors que les principes et règles qu’elle pose sont admises on ne peut que trouver avantage à l’adoption contractuelle d’un cadre normatif qui a déjà fait ses preuves .
Eric DELFLY
Vivaldi-Avocats
[1] Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et du ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social du 19 juin 2014 modifiant l’arrêté du 17 juin 1989 portant approbation d’un recueil d’instructions générales de sécurité d’ordre électrique
[2] Les normes ne sont pas d’application automatique dans un marché public, il faut qu’elles soient citées dans les spécifications du marché. Elles le sont par une mention dans les documents particuliers du marché (CCTP), ou elles peuvent être déjà citées dans des documents plus généraux (tels que les fascicules du CCTG-travaux applicables aux travaux en cause).
[3] Cf notamment : Cass.Civ. III : 25.5.11: n°10-19271