Le Conseil d’Etat rappelle que l’inéligibilité est d’interprétation stricte

Stéphanie TRAN
Stéphanie TRAN

 

 

SOURCE : CE, 4 février 2015, élections municipales de Vénissieux, req. n° 385555, 385604, 385613.

 

En ces temps d’élection législative partielle, bientôt suivies par les élections départementales, les 22 et 29 mars prochain (qu’on appelait encore il y a peu les élections cantonales), il n’est pas inutile d’évoquer la branche spécifique  du droit public qu’est le droit électoral.

 

Cette branche du droit répond notamment à la question de savoir qui est en mesure de se présenter à l’élection. En effet, avant même de faire campagne, de convaincre l’électorat, il faut remplir des conditions pour se présenter au suffrage.

 

Doivent être remplies par le candidat des conditions positives (être inscrit sur une liste électorale, ou justifier devoir y être inscrits avant le jour de l’élection, être français et avoir au moins 18 ans le jour de l’élection – 24 ans pour les sénatoriales -, faire une déclaration de candidature auprès de la préfecture…), mais aussi une condition négative : ne pas être frappé d’inéligibilité.

 

Un arrêt rendu le 4 février 2015 par le Conseil d’état fournit l’occasion de rappeler le dispositif applicable.

 

Le code électoral prévoit un certain nombre d’incapacités à briguer un mandat électoral. En résumant, il y a deux sortes d’inéligibilité.

 

La première peut être qualifiée de « conjoncturelle » ; elle trouve son origine dans le comportement du candidat potentiel.

 

La seconde peut être qualifiée de de « structurelle » ; elle résulte des fonctions exercées par le candidat potentiel, considérées comme objectivement incompatibles avec un mandat électif.

 

C’est cette seconde hypothèse qu’illustre l’arrêt rendu le 4 février 2015 par le Conseil d’état (2) ; mais, avant d’en évoquer les termes, il convient de revenir, brièvement, sur l’inéligibilité dite « conjoncturelle » ou encore « inéligibilité-sanction » (1).

 

1 – On sait que l’inéligibilité peut trouver son origine dans une décision de justice.

 

C’est le cas le plus connu, souvent relayé par les médias. En effet, et on le comprend – dès lors qu’on peut estimer comme condition indispensable à l’éligibilité une probité minimale – il est possible de considérer que cette probité fait manifestement défaut chez les auteurs de certaines infractions.

 

En vertu des articles L. 6 du code électoral et 132-21 du code pénal, lorsqu’une personne dépositaire de l’autorité publique fait l’objet d’une condamnation – à la condition qu’elle soit ferme et définitive et qu’elle porte sur une infraction particulière – le préfet peut demander sa radiation des listes électorales, et par là, son inéligibilité.

 

Sans exhaustivité, les infractions les plus retenues en pratiques sont, la prise illégale d’intérêts (articles 432-1217 et 432-1318 du Code pénal), la concussion, c’est-à-dire le fait pour des fonctionnaires ou officiers publics ainsi que leurs commis ou préposés d’ordonner de percevoir, d’exiger ou de recevoir ce qu’ils savent « n’être pas dû ou excéder ce qui est dû pour droits, taxes, contributions, deniers ou revenus, ou pour salaires et traitements (article 432-10 du Code pénal), la corruption passive et du trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique (article 432-1116 du Code pénal), la soustraction et du détournement de biens (articles 432-1520 et 432-1621 du Code pénal), la corruption active et du trafic d’influence commis par les particuliers (articles 433-122 et 433-223 du Code pénal), ou encore les menaces et actes d’intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique ( article 433-324 du Code pénal ).

 

Par ailleurs, l’article L. 7 du Code électoral prévoyait que la sanction de l’inéligibilité résultait automatiquement de la condamnation à certains délits et crimes.

 

Une telle automaticité a été battue en brèche.

 

Jusqu’en 2010, l’article L.7 du code électoral entraînait automatiquement la suppression des listes électorales de personnes condamnées à certains délits ou crimes, conduisant de facto à l’inéligibilité pour cinq ans.

 

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a abrogé l’article L. 7 du code électoral considérant que « cette peine privative de l’exercice du droit de suffrage est attachée de plein droit à diverses condamnations pénales sans que le juge qui décide de ces mesures ait à la prononcer expressément ; qu’il ne peut davantage en faire varier la durée ; que, même si l’intéressé peut être, en tout ou partie, y compris immédiatement, relevé de cette incapacité dans les conditions définies au second alinéa de l’article 132-21 du code pénal, cette possibilité ne saurait, à elle seule, assurer le respect des exigences qui découlent du principe d’individualisation des peines »[1].

 

Cette décision emporte l’adhésion pour deux raisons.  La première est qu’elle est conforme au principe d’individualisation de la peine. La seconde est qu’elle correspond à l’idée que l’exercice des droits électoraux doit demeurer le principe et l’inéligibilité l’exception.

 

Cette deuxième raison innerve également la jurisprudence applicable au deuxième type d’inéligibilité.

 

2 – C’est l’article  L. 231 du Code électoral qui encadre l’inéligibilité de ceux dont on considère que les fonctions qu’ils exercent sont incompatibles avec un mandat électif : 

 

« Ne sont pas éligibles dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de trois ans les préfets de région et les préfets, depuis moins d’un an les sous-préfets, les secrétaires généraux de préfecture, les directeurs de cabinet de préfet, les sous-préfets chargés de mission auprès d’un préfet et les secrétaires généraux ou chargés de mission pour les affaires régionales  (L. no 91-428 du 13 mai 1991)  «ou pour les affaires de Corse».

 

Ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois:

 

 1o Les magistrats des cours d’appel;

 

 2o Les membres des tribunaux administratifs et des chambres régionales des comptes;

 

 3o Les officiers des armées de terre, de mer et de l’air, dans les communes comprises dans le ressort de leur commandement territorial;

 

 4o Les magistrats des tribunaux de grande instance et d’instance;

 

 5o Les fonctionnaires des corps actifs de la police nationale;

 

 6o Les comptables des deniers communaux  (L. no 2001-1248 du 21 déc. 2001, art. 46-I)  «agissant en qualité de fonctionnaire» et les entrepreneurs de services municipaux;

 

 7o Les directeurs et les chefs de bureau de préfecture et les secrétaires en chef de sous-préfecture;

 

(L. no 2013-403 du 17 mai 2013, art. 22-I)  «8o Les personnes exerçant, au sein du conseil régional, du conseil départemental, de la collectivité territoriale de Corse, de Guyane ou de Martinique, d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou de leurs établissements publics, les fonctions de directeur général des services, directeur général adjoint des services, directeur des services, directeur adjoint des services ou chef de service, ainsi que les fonctions de directeur de cabinet, directeur adjoint de cabinet ou chef de cabinet en ayant reçu délégation de signature du président, du président de l’assemblée ou du président du conseil exécutif;»

 

 9o En tant que chargés d’une circonscription territoriale de voirie: les ingénieurs en chef, ingénieurs divisionnaires et ingénieurs des travaux publics de l’État, les chefs de section principaux et chefs de section des travaux publics de l’État.

 

 Les agents salariés communaux ne peuvent être élus au conseil municipal de la commune qui les emploie. Ne sont pas compris dans cette catégorie ceux qui, étant fonctionnaires publics ou exerçant une profession indépendante, ne reçoivent une indemnité de la commune qu’à raison des services qu’ils lui rendent dans l’exercice de cette profession, ainsi que, dans les communes comptant moins de 1 000 habitants, ceux qui ne sont agents salariés de la commune qu’au titre d’une activité saisonnière ou occasionnelle. »

 

La doctrine y voit une curiosité juridique[2].

 

D’aucuns considéreront que cette spécificité française est contestable. En effet, il est curieux que les magistrats ne soient pas éligibles, alors que, dans certains systèmes juridiques, en particulier anglo-saxon, les magistrats ne sont pas nommés mais élus. L’inaptitude des magistrats à se présenter à toute élection (pour l’exercice de leurs fonctions, ou pour un mandat électif)  serait-elle la panacée, garantissant une parfaite neutralité ? Plus loin, la neutralité des magistrats est-elle véritablement possible ou même souhaitable (on pourrait à l’inverse estimer que les justiciables, si le choix leur était donné, opterait pour un magistrat doté de convictions, de valeurs, plutôt que du masque de la neutralité).

 

Mais tel n’est pas l’objet de l’arrêt du Conseil d’état.

 

Le maire  d’une commune de Corrèze, exerçait par ailleurs, les fonctions de chef d’un groupement territorial du service départemental d’incendie et de secours de la Corrèze.

 

Y voyant une situation équipollente à celle de chef de service au sein du conseil départemental, hypothèse prévue  à l’alinéa 8 de l’article  L. 231 du Code électoral, le Tribunal administratif a  annulé l’élection.

 

Le Conseil d’Etat ne retient pas la même analyse et rappelle que l’inéligibilité est, en tant qu’exception, de droit strict :

 

« dans le champ de ces dispositions, qui sont d’interprétation stricte, d’une part, les établissements publics dépendant exclusivement d’une région ou d’un département, ainsi que des autres collectivités territoriales et établissements mentionnés par ces dispositions, d’autre part, ceux qui sont communs à plusieurs de ces collectivités ; que doivent être seulement ­regardés comme dépendant de ces collectivités ou établissements ou comme communs à plusieurs collectivités, pour l’application de ces dispositions, les établissements publics créés par ces seuls collectivités ou établissements ou à leur demande ; qu’en revanche, il ne ressort pas de ces dispositions que l’inéligibilité qu’elles prévoient s’étende aux personnes exerçant les fonctions qu’elles mentionnent dans d’autres établissements publics que ceux qui dépendent d’une ou plusieurs des collectivités et établissements qu’elles citent ou sont communs à plusieurs de ces collectivités. »

 

Une telle décision s’inscrit dans la droite ligne d’une tendance, chez les juges du fond, à retenir une interprétation stricte de ces dispositions.

 

C’est ainsi qu’il a été décidé qu’une personne recrutée par la région Île-de-France en qualité d’attaché à un groupe politique du conseil régional n’exerce pas une fonction entrant dans les prévisions de l’art. L. 231, al. 2-8° du  C. élect., et n’est pas, par suite, inéligible[3].

 

 Il en est de même de la personne qui exerce les fonctions de conseiller spécial du président du conseil régional en charge des relations avec l’assemblée régionale, alors que ces fonctions ne font pas partie de celles limitativement énumérées des membres du cabinet, en l’absence de délégation de signature, et qu’elles ne lui confèrent pas une autorité équivalente ou semblable sur les services à celles qu’elle aurait pu exercer en qualité de directeur adjoint du cabinet, quand bien même elle percevait en sa qualité de conseiller spécial une rémunération sensiblement identique voire supérieure à celle qu’elle percevait en son ancienne qualité de directeur adjoint de cabinet[4].

 

Au final, qu’elle résulte du comportement du candidat potentiel, ou des fonctions qu’il exerce, l’inéligibilité tend à être envisagée de façon de plus en plus circonscrite.

 

A rebours d’une automaticité  et d’une interprétation extensive qui méconnaissaient – parfois – le principe même de la reconnaissance des droits électoraux, une tendance inverse se dessine donc, salutaire.

 

Stéphanie TRAN

Vivaldi-Avocats


[1]Cons. constit. 11 juin 2010, no 2010-6/7 QPC, M. Stéphane A. et autres

[2]Excoffier, Les innommabilités électives: une curiosité du droit de la fonction publique, Rev. adm. 1992. 23. – Gérard, Les inéligibilités professionnelles dans le contentieux des élections municipales de 1989, JCP 1990. I. 3477.

[3]TA Paris, 12 oct. 2001, Mme A. Tronchet et a.: req. n° 014253/4

[4]TA Amiens, 16 sept. 2008, M. Decayeux, req. no 0800806: AJDA 2009. 63

 

 

 

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