SOURCE : Cass. com., 7 juill. 2015, n° 13-24.757, n° 688 F-D
Comme nous vous le précisions dans un précédent commentaire[1], le PSI manquant à ses obligations d’information, de mise en garde et de conseil à l’égard de son client est tenu de l’indemniser de la perte de chance de mieux investir ses capitaux. Cette perte de chance constitue un préjudice distinct de celui qui résulte des opérations effectivement réalisées et qu’il appartient au client de déterminer.
L’arrêt ici commenté illustre cette distinction pouvant conduire une juridiction à fixer le montant des dommages et intérêts alloués au client du PSI au-delà du montant de la perte subie, avec l’aval de la Cour de cassation.
En l’espèce, une personne physique ouvre, dans les livres d’un PSI, un compte titre qu’il gère seul puis avec le soutien d’un mandataire, avant de le transférer trois ans plus tard dans un autre établissement.
Reprochant au PSI de ne pas l’avoir informé des baisses de valeur de son portefeuille et d’avoir manqué à son devoir de conseil, le client obtient, en référé, la désignation d’un expert aux fins de déterminer son préjudice, et l’estimation de l’expert en main, assigne le PSI.
10 années de procédure s’ensuivirent, la Cour de cassation censurant la Cour d’appel de DOUAI :
– sur la reconnaissance du manquement du PSI à son obligation de conseil envers un spéculateur dont il n’était pas démontré qu’il était « averti » dès l’origine et sur la responsabilité du PSI au titre de l’envoi de relevés comptes erronés ou lacunaires[2] ;
– sur la limitation à 60.000 euros du montant des dommages et intérêts alloués au client du PSI, alors que le PSI avait exécuté des ordres du mandant au-delà de ses prérogatives[3].
Sur second renvoi après cassation, la Cour d’appel de DOUAI révise le montant du préjudice. Pour y parvenir, les juges du fond, écartant l’estimation de l’expert judiciaire (8.266.499 francs ou 1,260 M€) jugée lacunaire, se réfèrent à l’estimation d’un expert privé déterminant la perte subie par le client (9 millions de francs ou 1,387 M€), tout en rappelant que « le préjudice du client n’est cependant pas équivalent à cette perte mais correspond à la valeur de la chance dont il a été privé de ne pas effectuer les opérations perdantes s’il avait été renseigné par la société de bourse selon les principes et la déontologie qui s’imposaient à cette dernière ».
Ecartant l’évaluation du préjudice du client réalisé par l’expert privé se référant au taux de rendement des OAT, la Cour fixe le préjudice à 1,5 millions d’euros, « toutes causes confondues », sans que l’arrêt ne comporte d’autre indication sur les modalités de calcul de ce préjudice.
Le PSI à donc formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt, reprochant notamment aux juges du fond une indemnisation globale et forfaitaire du préjudice du client.
Tel n’est pas le cas selon la Chambre commerciale de la Cour de cassation : « (…) l’arrêt relève que le montant total investi par M. X… s’élève à la somme de 12 179 989 euros (francs) et qu’après déduction de la valeur du portefeuille transféré, la perte subie s’élève à la somme de 9 099 443 francs ; qu’il retient ensuite que le préjudice n’est pas équivalent à cette perte mais correspond à la valeur de la chance dont M. X… a été privé de ne pas effectuer les opérations perdantes s’il avait été correctement renseigné par la société de bourse ; que l’arrêt fixe le préjudice supporté par M.X, apprécié à la date du prononcé de la décision, à la somme de 1,5 millions d’euros “toutes causes confondues” ; qu’en l’état de ces appréciations, dont il résulte que le préjudice alloué n’indemnisait que la seule probabilité de réalisation de la chance perdue au titre du compte ouvert en son nom propre par M. X…, la cour d’appel, qui n’a ni accordé une réparation globale et forfaitaire, ni méconnu les termes du litige, a légalement justifié sa décision »
En d’autres termes, la Haute juridiction, après vérification des motifs de la décision, se retranche derrière l’appréciation souveraine des juges du fond pour déterminer le montant du préjudice.
Mais alors, la question reste entière : Comment a été déterminé le préjudice du client, ce montant qui a dû englober le « dommage occasionné par la perte d’une chance de choisir un investissement en bourse moins risqué [qui] englobe parmi ses éléments d’appréciation l’éventualité dans laquelle l’investisseur aurait tiré des fruits d’un autre placement plus prudent »[4] ?
Mystère…
A minima peut-on relever que la somme excédent le montant de la perte subie par le client est de 112.800 €, ce qui correspond, d’après nos calculs, à un taux d’intérêt bancaire d’un peu plus de 2,5% sur trois ans de la somme de 1,387 M€…
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] Article chronos du 25 avril 2014 « Sanction du manquement à l’obligation de conseil et de mise en garde du PSI »
[2] Cass com, 4 juillet 2006, n°05-10967
[3] Cass com., 8 décembre 2009, n°08-70216
[4] Arrêts CA DOUAI sous Cass. com., 26-06-2012, n° 11-11.450, FP-P+B, et Cass. com., 09-07-2013, n° 12-20.691, F-D