L’agent commercial dont le contrat est rompu lors de la période d’essai peut prétendre aux indemnités pour les prestations exécutées jusque-là

 

Source : CJUE, 19 avril 2018, Aff. C-645/16, Conseils et mise en relations (CMR) SARL / Demeures terre et tradition SARL

 

I – Rupture de contrat lors de la période d’essai et interrogation de la France sur le droit à une indemnité pour l’agent commercial

 

Dans le cadre d’un contrat d’agent commercial dans le secteur de la vente de maisons individuelles, un agent devait vendre 25 immeubles par an pour le compte de son mandant.

 

Constatant qu’au bout de 6 mois environ, soit à la moitié de la période d’essai de l’agent, celui-ci n’avait vendu qu’un seul bien, le mandant a mis fin à son contrat en alléguant que l’objectif de vente n’était pas atteint. L’agent intente alors une action contre son cocontractant en sollicitant le paiement d’une indemnité compensatrice en réparation de son préjudice résultat de la cessation du contrat. La procédure est portée jusque devant la Cour de cassation.

 

Saisie du litige, la plus haute juridiction française sursoit à statuer et interroge la Cour de justice de l’Union européenne par le biais d’une question préjudicielle. En effet, la France s’interroge sur l’application de l’article 17 de la Directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants à la période d’essai.

 

            II – Rappel des règles de droit et absence de précisions sur le champ d’application du droit à indemnité

 

Les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce posent les règles applicables en matière de contrat d’agent commercial. En particulier, l’article L. 134-12 prévoit qu’« en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi (…) ». En revanche, le texte ne donne aucune précision quant au champ d’application, à savoir, si l’indemnité est due également en cas de rupture du contrat lors de la période d’essai, ce qui renvoie les juges aux textes européens.

 

La lecture du droit européen n’est pas plus salvatrice. En effet, de son côté, la Directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (ci-après la « Directive ») prévoit au point 2 de son article 17 que l’agent commercial a droit à une indemnité si :

 

1) l’agent a apporté de nouveaux clients à son mandant ou a développé sensiblement les opérations avec les clients existants et le mandant a encore des avantages substantiels résultant des opérations avec ces clients ; et

 

2) le paiement de cette indemnité est équitable, compte tenue de toutes les circonstances, notamment des commissions que l’agent commercial perd et qui résultent des opérations avec ces clients.

 

Et de préciser au point 3 du même article, l’agent commercial a droit à la réparation du préjudice que lui cause la cessation de ses relations avec le mandant.

 

La lecture de la Directive ne précise donc pas davantage le champ d’application du droit à indemnité de l’agent commercial, d’où la mise en œuvre du mécanisme de la question préjudicielle par les juges français.

 

            III – Une protection impérative de l’agent commercial à défaut de la mise en œuvre de la liberté contractuelle

 

La Cour du Luxembourg relève que, en considération d’une part de l’absence de précisions de la Directive quant à l’application de son article 17 à une rupture du contrat en période d’essai et d’autre part de l’absence d’interdiction d’application à la période d’essai, il convient de faire primer la liberté contractuelle des parties.

 

A défaut de prévision contractuelle, les juges européens apportent une clé de lecture de la Directive quant à sa finalité. A la question d’interprétation posée par la France, la CJUE répond que l’objectif de la Directive n’est autre que la protection raisonnable des agents commerciaux dans sa relation avec le mandant[1], ce qui constitue d’ailleurs un caractère impératif[2]. Et de poursuivre « la Cour a également précisé que, au regard de l’objectif de la directive 86/653, toute interprétation de l’article 17 de cette directive qui pourrait s’avérer être au détriment de l’agent commercial était exclue (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2009, Semen, C-348/07, EU:C:2009:195, point 21) »[3].

 

Par conséquent, l’interprétation selon laquelle aucune indemnité n’est due en cas de rupture du contrat d’agence commerciale pendant la période d’essai n’est pas compatible avec le caractère impératif du régime instauré par l’article 17 de la Directive.

 

En d’autres termes, l’agent commercial ne saurait être privé d’une indemnité ou réparation au seul motif que la rupture du contrat le liant à son mandant est intervenue durant sa période d’essai dès lors que les critères de l’article 17 de la Directive sont remplis.

 

En conclusion, le législateur européen a entendu harmoniser au sein de l’UE un régime juridique très protecteur à l’égard des agents commerciaux de sorte que ces derniers bénéficient de la sécurité (juridique et financière) ne pas accomplir des performances dans le cadre de leur mission et exposer des frais et dépenses à perte y compris en période probatoire…

 

Victoria GODEFROOD-BERRA

Vivaldi-Avocats


[1] CJUE, 17 mai 2017, ERGO Poist’ovňa, C-48/16, EU:C:2017:377, point 41.

[2] CJCE, 9 novembre 2000, Ingmar, C-381/98, EU:C:2000:605, point 21 ; CJCE, 23 mars 2006, Honyvem Informazioni Commerciali, C-465/04, EU:C:2006:199, point 2.

[3] Point 35 de l’arrêt commenté.

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