Source : Cour d’appel de Paris, pôle 05 chambre 4, 13 décembre 2017, RG 15/20195
I – Une clause de non-concurrence post-contractuelle (en apparence très) « verrouillée »
Un franchiseur de restauration rapide proposant à la vente des hamburgers a inséré dans tous les contrats de ses franchisés la clause de non-concurrence suivante :
Interdiction au franchisé et à son gérant associé, pendant la durée du contrat de franchise, de « créer, participer, exploiter ou s’intéresser d’une quelconque manière, directement ou indirectement, par eux-mêmes ou par personne interposée, seul ou conjointement avec une autre personne, entreprise ou société, en quelque qualité que ce soit et notamment en qualité d’actionnaire, administrateur, dirigeant de droit ou de fait, mandataire, gérant, salarié ou associé, à toute entreprise, société ou commerce ayant une activité identique, substituable ou similaire et qui serait dès lors concurrente de celle de l’une des unités du réseau [de franchise] ou non relevant de la restauration rapide avec vente au comptoir et/ou à emporter et/ou livraison à domicile quelle qu’elle soit, et notamment à une entreprise, société ou commerce qui serait adhérent du SNARR (Syndicat national de l’Alimentation et de la Restauration Rapide), sauf accord préalable écrit du franchiseur qui répondra dans les 30 jours de la demande ».
En d’autres termes, vendant déjà des hamburgers, le franchisé ne pouvait en aucun cas avoir une activité, quelle qu’en soit sa nature, dans tout autre fast-food, sauf accord préalable du franchiseur.
Informé que l’un des franchisés détenait une participation dans une société franchisée de restauration proposant à la vente des pizzas, le franchiseur a assigné ce dernier pour obtenir la résiliation du contrat de franchise (contrat « hamburgers ») et la mise en œuvre de la clause de non-concurrence qui avait, par conséquent, été violée.
Au regard du niveau élevé de verrouillage de la clause de non-concurrence, son examen méritait d’être établi.
II – Rappel sur les conditions de validité d’une clause de non-concurrence post-contractuelle
L’objectif d’une clause de non-concurrence post-contractuelle est la protection d’un « savoir-faire substantiel, spécifique et secret ».
L’article L. 341-2 du Code de commerce pose les critères de validité de la clause de non-concurrence post-contractuelle. Ainsi, pour être valable, une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de distribution, et donc dans un contrat de franchise, devra, cumulativement :
1. concerner des biens et services en concurrence avec ceux qui font l’objet du contrat de distribution ;
2. être limitée aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat de distribution ;
3. être indispensable à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat de distribution ; et
4. ne pas excéder une durée d’un an après l’échéance ou la résiliation du contrat.
En pratique, la clause de non-concurrence post-contractuelle doit concerner que des produits / prestations concurrents[1] à ceux du contrat concerné, être limitée dans l’espace et dans le temps et être proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur.
III – La définition du marché pertinent, la clé de la clause
La Cour d’appel s’attache à donner une réponse essentiellement fondée sur l’analyse du premier critère, à savoir la concurrence des produits. Elle pose ainsi que le marché d’espèce est défini par la nature des produits concernés, mais également par leur mode de consommation et de distribution.
Concernant la nature des produits, les juges du second degré ont avancé que « un hamburger et une pizza, lorsqu’ils sont vendus par des [établissements] de restauration rapide constituent des produits similaires », un hamburger et une pizza étant considérés comme des produits échangeables pour les clients des fast-foods. En effet, s’il existe « plusieurs familles au sein du secteur de la restauration rapide, suivant la nature des produits vendus, à savoir les hamburgers, les sandwicheries, les viennoiseries, les pizzas et les sushis par exemple », cela ne change rien au fait que « cette seule différence relative à la nature du produit vendu, ne peut occulter les autres points communs fondamentaux entre tous les acteurs de la restauration rapide » comme la rapidité du service ou encore le prix.
Concernant le secteur d’activité, celui-ci « doit être considéré comme étant identique, s’agissant du secteur de la restauration rapide, ce que relève d’ailleurs la clause, qui pose comme critère essentiel à la définition de l’activité concurrente celui du domaine de la restauration rapide. Celle-ci ne porte pas tant sur le produit qui est vendu que sur la manière de le consommer et de le commercialiser, à savoir la restauration rapide suivant [certains] critères (…) qui priment d’ailleurs dans le secteur de la restauration rapide ».
En conclusion, les franchisés devront être vigilants et retenir que sur le marché du fast-food, tous les « mets » sont concurrents. Pizzas, hamburgers, sandwichs, sushis, burritos ou encore kebabs ne constituent pas melting-pot juridique…
Victoria GODEFROOD-BERRA
Vivaldi-Avocats
[1] Deux biens ou prestations de service sont concurrents s’ils sont identiques, similaires ou substituables. En d’autres termes, le consommateur peut échanger le premier contre le second qui répondra aux mêmes besoins.