Source : Tribunal de commerce de Paris, 21 février 2018, n° 2017006510
I – Le renouvellement de l’agrément d’un distributeur : un droit acquis pour ce dernier ?
A la base, une relation commerciale établie entre un géant de l’automobile, MERCEDES-BENZ France, et un garage, également ancien concessionnaire de la marque, formalisée par un contrat conclu en 2002 dans le cadre d’un système de distribution sélective qualitative. Le contrat avait pour objet la fourniture de services après-vente (réparation et entretien) ainsi que la vente et la distribution de pièces détachées.
En 2014, MERCEDES résilie le contrat par écrit et réalise un préavis de 24 mois conformément à son obligation contractuelle. L’histoire aurait pu s’arrêter à ce stade, mais c’était sans compter sur la résistance du garage « gaulois »…
Refusant son exclusion du réseau de distribution de MERCEDES et remplissant tous les critères, le garage a demandé à cette dernière de « revoir sa position et de renouveler l’agrément et, à défaut, de prendre acte de sa candidature à un nouvel agrément en qualité de réparateur agréé ».
Face au maintien de la décision de MERCEDES et estimant que « toute société répondant aux critères qualitatifs doit être agrée », le garage a saisi la justice de ce refus d’agrément.
Alors question : est-ce que refuser d’agréer un candidat répondant à l’ensemble des critères sélectifs qualitatifs pour intégrer un réseau de distribution sélective constitue une faute de la tête de réseau ?
La décision commentée apporte une réponse et, en matière de distribution sélective, « confirme qu’un véritable changement de paradigme s’est opéré en jurisprudence »[1].
II – L’impossible remise en cause de la liberté de contracter
II – 1. Rappel de la pratique dans le secteur automobile
Dans le secteur de l’automobile, les constructeurs intègrent dans leurs réseaux de distribution sélective qualitative un certain nombre de distributeurs qui répondent aux critères qualitatifs qu’ils ont objectivement fixés.
Ensuite, sauf exception, la mise en œuvre du contrat de distribution est généralement appliquée pendant environ une période de 2 ans au terme de laquelle le constructeur résilie tous les contrats le liant avec ses concessionnaires agréés pour réorganiser son réseau. La marque applique alors très rigoureusement les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et accorde un préavis d’une durée raisonnable à tous ses concessionnaires afin d’éviter soigneusement toute violation des dispositions précitées.
Les constructeurs profitent alors de la réalisation des périodes de préavis pour procéder à la réorganisation de leur réseau qui passe par la « négociation » des conditions d’accès, pour les concessionnaires candidats, au nouvel agrément. Généralement, la révision des critères d’agrément est associée à de lourds investissements pour les concessionnaires candidats notamment en termes d’équipements ou encore de surfaces.
Il s’agit d’une pratique bien rodée du secteur automobile que les concessionnaires ne sont pas sans connaître.
II – 2. Un examen sous l’angle de la concurrence et du droit commun
Concernant le litige d’espèce, ayant relevé la conformité du constructeur à la lettre de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, les juridictions consulaires ont alors procédé à l’examen le litige sous l’angle du droit de la concurrence et notamment sous celui des pratiques anticoncurrentielles.
Même si le fournisseur ne peut se prévaloir de l’exemption sectorielle prévue par le Règlement européen n° 330/2010 concernant les accords de pièces de rechange et de services de réparation (n’ayant pas démontré qu’il détenait une part de marché inférieure à 30% sur le marché pertinent), le simple refus d’agréer un distributeur remplissant les critères sélectifs qualitatifs ne donne pas, en soi, un caractère illicite à l’accord vertical entre la tête de réseau et ses membres[2] et n’affecte pas le fonctionnement concurrentiel du marché pertinent, sauf preuve contraire.
Le Tribunal de commerce de Paris poursuit son examen en se basant sur les fondamentaux du droit des contrats.
Tout d’abord, admettre qu’un distributeur agréé a droit, dès lors qu’il n’a pas commis de faute et qu’il remplit les critères sélectifs qualitatifs posés par le fournisseur, au renouvellement de son agrément reviendrait à rendre ce contrat perpétuel. Ensuite, cette pratique remettrait en cause le droit à résiliation d’un contrat et in fine la liberté de contracter du fournisseur. Enfin, autre argument pouvant être opposé : la loi du 4 août 2008, dite « LME » a supprimé l’interdiction des pratiques discriminatoires. Par conséquent, un fournisseur à la tête d’un réseau de distribution sélective peut traiter de manière différenciée des partenaires sans avoir à en justifier la raison. En d’autres termes, la tête de réseau n’a pas l’obligation de motiver son refus d’agréer un candidat.
Il ressort de la décision commentée qu’un distributeur est libre d’organiser son réseau comme il l’entend et ainsi de refuser d’agréer un candidat qui ne lui conviendrait pas sans devoir motiver sa décision[3]. La discrimination n’étant plus une faute, mais au contraire un droit, un candidat éconduit ne saurait engager sérieusement une action à l’encontre d’une tête de réseau qui lui refuserait son entrée.
La décision commentée fait donc application de la position de la Cour de cassation claire sur le sujet : dès lors que les modalités relatives à la fin du contrat de distribution sont respectées (délai, forme, motivation éventuelle), rien n’interdit au fournisseur de ne pas renouveler le contrat arrivé à son échéance, même si le distributeur répond aux conditions de l’agrément[4].
Victoria GODEFROOD-BERRA
Vivaldi-Avocats
[1] Propos de Joseph VOGEL, avocat de MERCEDES-BENZ France.
[2] En ce sens, la Cour de cassation, dans une affaire opposant la société Rolex France et un de ses distributeurs, a déjà eu l’occasion de juger que la résiliation d’un contrat de distribution sélective du distributeur n’était pas discriminatoire et ne constituait pas une entente (Cass. com., 21 juin 2016, n° 15-10438).
[3] CA Paris, 30 septembre 2015, RG 13/07915 ; CA Paris, 7 octobre 2015, RG 13/08846.
[4] Cass. com., 8 juin 2017, n° 15-28355.