La Cour de cassation valide pour la première fois de manière explicite le procédé de détermination du prix au cœur du mécanisme d’une clause d’offre alternative dite buy or sell.
Cass. com., 12 févr. 2025, no 23-16290, FS–B
I-
La clause de « buy or sell » (également appelée « clause d’offre alternative » ou « clause américaine » ou selon l’une des formule si dessus citées ) est un mécanisme contractuel fréquemment inséré dans les pactes d’associés, notamment en cas de sociétés à actionnariat restreint ou paritaires. Elle permet de résoudre une situation de blocage ou de conflit entre associés en prévoyant qu’en cas de désaccord grave et persistant, l’un des associés peut proposer à l’autre soit d’acheter ses parts à un prix déterminé, soit de lui vendre l’ensemble de ses propres parts à ce même prix si le bénéficiaire refuse l’achat Cette clause permet en particulier d’organiser la sortie de l’une des parties en cas de conflits ou de situation de blocage de nature à remettre en cause la présence commune des intéressés au sein de la société.
II-
Le litige soumis aux magistrats dont la décision est commentée opposait deux associés de poids capitalistiques différents (60/40 %) avec un mécanisme de déclenchement du shotgun lié à la constatation d’un « de désaccord grave et persistant susceptible d’entraîner une paralysie dans le fonctionnement de la société et de porter atteinte à l’intérêt social ».
La roulette russe est tournée par le minoritaire qui fait au majoritaire une offre de vente de sa participation 10 euros la part – faute de quoi le majoritaire serait tenu de lui céder sa participation de 60 % au même prix unitaire. Le majoritaire n’ayant opté pour aucune des deux options, le débat s’est poursuivi devant les juridictions du fond. La Cour d’appel d’Angers dans son arrêt du 07 mars 2023 ordonne la cession forcée de la participation du majoritaire au prix proposé par le minoritaire
III-
Deux moyens étaient développés au pourvoi. Le premier tenait au caractère indéterminé prix lequel était fixé par l’associé qui déclenchait la clause (III-1) et le second se rapportait à la modalité de mise en œuvre de la clause (III-2)
III-1Le buy or sell est il conforme à l’article 1591 du code civil ? (détermination du prix )
La Haute Cour répond par l’affirmative à l’aide de son premier attendu :
« En premier lieu, après avoir énoncé qu’en application de l’article 1591 du code civil, le prix de vente doit être déterminable et désigné par les parties puis rappelé les termes de l’article 5 du pacte d’associés, l’arrêt retient que c’est en vertu d’un engagement synallagmatique librement consenti par des associés pour régler une situation de blocage, que la vente a lieu. Il ajoute que les modalités prévues pour la mise en œuvre de la clause permettent la détermination du prix si la procédure a été respectée et qu’une offre remplissant les conditions prévues par le pacte d’associés a été valablement faite, en ce que le prix est déterminable à partir du prix proposé par le potentiel vendeur, qui sert de prix de référence au bénéficiaire de l’offre qui choisirait finalement de ne pas racheter les titres du premier et qui, dès lors, s’engage à vendre ses propres titres aux conditions de prix fixées dans l’offre de vente, que lui a faite l’autre associé. »
III-2
La solution n’était pourtant pas évidente à poser. En effet c’est au visa de l’article 1591[1] du code civil que la Chambre commerciale juge à propos de la validité d’une promesse de vente de titres que « le prix de vente doit être déterminable et ne pas dépendre de la seule volonté d’une des parties ni d’un accord ultérieur entre elles »[2]
Une clause de buy or sell ne contient-elle pas en son sein une promesse d’achat en alternative à une promesse de vente ? Cette définition posée il est difficile de nier que le prix de la cession émane du seul offrant …qui le fixe unilatéralement ? La Cour de cassation contourne l’obstacle est semble considérer, que ce n’est pas tant le fait que le prix soit celui proposé par une seule des parties qui importe que son lien inaltérable avec le libre choix offert à l’autre d’acquérir ou céder au prix ainsi proposé gommant ainsi le grief ou même tout débat sur la conformité du prix avec la valeur de marché.
III-2 – La validité intrinsèque de la clause au regard de son mécanisme
Pour mémoire la condition d’exercice de la clause litigieuse supposait la démonstration « de désaccord grave et persistant susceptible d’entraîner une paralysie dans le fonctionnement de la société et de porter atteinte à l’intérêt social ».
Preuve apportée selon la Cour d’appel d’Anger approuvée par la Cour de cassation par un attendu qui peut être également cité :
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« En second lieu, l’arrêt retient que la société est dirigée par un gérant minoritaire qui n’a plus la confiance de l’associé majoritaire, lequel, lors de la dernière assemblée générale dont la réunion a été reportée par le gérant au motif qu’il pressentait un blocage de la part de son associé, a voté contre toutes les résolutions proposées par ce dernier y compris celle conférant au gérant les pouvoirs d’accomplir les formalités nécessaires à la suite des délibérations. Il ajoute que la situation de conflit est telle que l’associé-gérant a déposé plainte contre l’associé majoritaire pour avoir refusé de restituer un acompte client et que les deux associés sont également en conflit sur le nouveau local pris à bail par la société et le transfert de son siège social. L’arrêt retient enfin que l’application de la clause d’offre alternative n’était soumise à aucune condition tenant à des vérifications quelconques, que l’associé majoritaire ne justifiait ni n’avoir réclamé à l’associé gérant la production de documents précisément déterminés ni qu’il n’aurait pas pu obtenir les documents comptables voulus
De ces constatations et appréciations souveraines, la cour d’appel, qui a estimé que la mauvaise foi de l’associé minoritaire dans la mise en œuvre de la clause d’offre alternative n’était pas démontrée, a pu déduire que la condition de déclenchement de la clause, tenant à l’existence d’un désaccord grave et persistant entre les deux associés susceptibles d’entraîner une paralysie dans le fonctionnement de la société, était remplie. ».
Le recours à l’appréciation souveraine des juges du fonds sur l’existence de faits de nature à autoriser le déclenchement de la clause autorise la Cour à un contrôle superficiel de la motivation. Mais sur le fond il manquait assurément la condition liée à la constation de la paralysie de la société ; preuve impossible à rapporter en présence d’un majoritaire qui garde même dans la tempête le contrôle de la société.
Cette bienveillance va jusqu’à évoquer des faits objectivement constatés, sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve de la véracité de ces griefs ou même la bonne ou mauvaise foi de celui qui s’en prévaut.
Sans nul doute cette jurisprudence s’inscrit dans cette évolution de la jurisprudence qui privilégie désormais le départ d’un associé pour le bien être de la société. En l’’espèce le mécanisme du buy or sell permet de mettre fin au litige et « laisse la main » à celui qui subit la mise en œuvre de la clause.
Le raisonnement ne semble pas toutefois duplicable à toutes les circonstances Dans une affaire Sodexho[3], les juges avaient encore dû appréhender une clause de même nature, mais en étant amenés à statuer sur l’instrumentalisation de son usage par l’un des associés parties au pacte, et non sur sa validité intrinsèque. Plus précisément, il avait été reproché à cet associé d’avoir artificiellement mis en œuvre la clause pour se soustraire à un engagement souscrit auprès d’un tiers de rétrocession de 100 % du capital de la société, en proposant à l’autre partie un prix de cession extrêmement faible, si bien que celle-ci avait pu choisir d’acquérir la propre participation de l’initiateur de la clause. La mise en œuvre de la clause est alors contestée par un attendu intéressant :
“Mais attendu qu’après avoir relevé que les sociétés Hi Trois, Svgm et M. Parize avaient proposé, pour l’exécution de la convention conclue avec le groupe minoritaire, un prix manifestement sous-évalué par rapport à celui convenu avec la société Sodexho, l’arrêt retient qu’ils ont exécuté de mauvaise foi l’obligation à laquelle ils s’étaient engagés envers cette dernière et ont ainsi, de leur propre fait, empêché l’accomplissement de la condition qui assortissait l’obligation dont ils étaient débiteurs et qui, dès lors, devait être réputée accomplie ;”.
Bonne foi un jour mais pas toujours ?
[1] « Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ».
[2] Cass. com., 21 sept. 2022, n° 20-16.994, F-B
[3] Cass. com., 28 avr. 2009, n° 08-13.044 et Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-27.186 :