SOURCE : Cour d’Appel de PARIS, Pôle 6 – 5ème Chambre, Arrêt du 27 juin 2013, n° 11/03 173.
Dans cette espèce, une société avait engagé un salarié en qualité de conducteur de travaux le 24 juillet 2006.
Atteint d’un cancer, le salarié fut en arrêt maladie du 17 juillet 2008 au 25 juin 2009 et fut ensuite déclaré apte à reprendre le travail à la suite d’une visite de reprise du 30 juin 2009.
Avant de reprendre le travail, il épuisa ses droits à congés payés, de sorte qu’il fut en vacances les mois de juillet et août 2009.
A l’issue de ses congés payés et sans avoir repris le travail, il signa une convention de rupture datée du 24 août 2009.
Pour autant, le 14 janvier 2010, il saisissait la Juridiction Prud’homale d’une demande d’annulation de la convention et de paiement de diverses indemnités, voire de réintégration.
Le salarié étant décédé le 12 mai 2010, son épouse et ses enfants reprirent l’instance en son nom.
Déboutés par le Conseil des Prud’hommes de BOBIGNY, les ayants droits interjetèrent appel de la décision, demandant à la Cour de prononcer l’annulation de la rupture conventionnelle et la condamnation de la société à leur payer diverses indemnités.
Les ayants droits du salarié, à l’appui de leurs prétentions, exposent qu’à l’issue de ses congés payés pris à la suite de son arrêt maladie, la société a fait signer au salarié le 04 septembre 2009, un document antidaté du 17 août 2009 portant engagement d’une rupture conventionnelle.
Ils estiment que le dispositif a été détourné et utilisé comme moyen d’éviction à bon compte d’un salarié particulièrement vulnérable du fait de sa longue maladie.
Ils indiquent qu’en réalité, à défaut de convocation formelle, le salarié avait été en réalité convoqué par un appel téléphonique lui donnant un rendez-vous le 31 août 2009, date à laquelle le DRH lui avait proposé une séparation amiable et l’avait convoqué pour le 04 septembre 2009 pour la signature de l’ensemble de ces documents.
Ils mettent en évidence que la remise en main propre de la convocation à l’entretien en vue de la rupture conventionnelle n’avait pu avoir lieu le 17 août 2009, puisqu’à cette date le salarié sortait de l’hôpital où il était traité pour son cancer et qu’en réalité toute la procédure avait été menée irrégulièrement en supprimant le délai de rétractation dont il aurait dû bénéficier légalement.
Ils soutiennent en outre que le consentement du salarié affaibli en raison de sa maladie n’a pas été libre et éclairé et qu’il était donc vicié.
De son côté, l’entreprise prétend que c’est en réalité l’intéressé qui avait émis le vœu, le 30 juin 2009, de quitter l’entreprise en raison des déplacements professionnels qu’il était amené à effectuer, et qu’il avait naturellement été donc reçu pendant l’été et convoqué par une lettre remise en main propre le 17 août 2009, qu’il avait signé ensuite le 24 août 2009 une rupture conventionnelle, le délai de rétractation expirant le 08 septembre 2009.
La société considère donc que la validité de la convention ne peut être contestée, le salarié ayant donné un consentement libre et éclairé à la rupture conventionnelle à l’initiative de laquelle il se trouvait alors qu’il avait déjà été déclaré apte à la reprise au travail et qu’il avait en outre été accompagné de son épouse tout au long de la procédure.
Mais examinant minutieusement l’ensemble des circonstances de fait porté à sa connaissance, la Cour d’Appel de PARIS va accueillir l’ensemble des demandes des ayants droits du salarié.
Relevant qu’il résulte des pièces produites au dossier que le salarié, qui avait été déclaré apte à la reprise à son poste de travail le 29 juin 2009, après un arrêt de maladie de près d’un an, avait pris ses congés payés du 1er juillet au 19 septembre 2009.
Elle relève que la société qui produit une convocation à l’entretien pour une rupture conventionnelle portant la mention “reçu en main propre le 17 août 2009” signée du salarié, ne précise pas toutefois comment le salarié, qui se trouvait absent de l’entreprise à cette date, avait été contacté pour que cette remise de convocation ait lieu, alors que les ayants droits justifient au contraire, par un bulletin de sortie de l’hôpital de Mantes la Jolie, que le salarié avait été hospitalisé du 14 au 17 août 2009 pour recevoir les soins que son cancer exigeait.
La Cour en déduit donc qu’il était matériellement impossible qu’un rendez-vous ait été fixé et accepté par l’intéressé pour venir au siège de l’entreprise recevoir le jour de sa sortie d’hospitalisation une convocation qui aurait pu lui être adressée par la poste.
La Cour relève que le salarié avait été, en réalité, convoqué par téléphone le 28 août pour un entretien du 31 août, date à laquelle il lui avait été proposé une rupture amiable et fixé un rendez-vous le 04 septembre 2009, date à laquelle la rupture conventionnelle avait été signée et antidatée au 17 août 2009 afin de pouvoir adresser la demande d’homologation à l’administration sans attendre le délai de rétractation.
La Cour relève donc que la nécessité de tenir au moins un entretien, qui constitue un élément essentiel du formalisme protecteur de la loi au regard de la procédure de rupture conventionnelle, n’a pas été respectée du fait de cette antidate, de sorte qu’il y a bel et bien eu fraude à la loi qui rend donc nulle la convention de rupture, celle-ci devant s’analyser en un licenciement nécessairement privé de cause réelle et sérieuse.
Christine MARTIN
Associée
Vivaldi-Avocats