SOURCE : CAA PARIS 17 septembre 2014, n° 12 PAO 334 (Inédit)
2014 a été riche en décisions rendues tant par la Cour Administrative d’Appel de PARIS, que par le Conseil d’Etat, sur le fondement des dispositions de l’article 92 alinéa du CGI, qui dispose entre autre :
« Sont considérés comme provenant de l’exercice d’une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux (…), de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. »
La question qui a systématiquement été posée aux juridictions administratives par certains actionnaires, était la suivante : l’indemnité contractuelle perçue par les actionnaires d’une société suite à l’exercice du droit de retrait du cessionnaire de l’entreprise constitue-t-elle un revenu imposable au sens du texte précité ?
Dans la majeure partie des hypothèses examinées, un cessionnaire renonce à l’acquisition prévue dans un protocole d’accord de la totalité du capital d’une société cible, et verse aux actionnaires de la cible une certaine somme d’argent partagée entre eux au prorata de leur participation au capital.
Dans la plupart des cas, les actionnaires déclarent cette somme en tant que gain sur cession de valeur mobilière taxable au taux proportionnel, puis demandent la réduction des cotisations d’impôts sur le revenu et la fiscalité sociale y attachée, au motif d’une erreur dans la déclaration fiscale, le gain n’étant pas un revenu taxable.
Et sur ce point, force est de constater que par un ensemble de décisions publiées, inédites ou dont celle-ci-après commentée, les juridictions administratives ont considéré, à l’instar du contribuable, qu’une telle indemnité n’était pas taxable.
Ainsi, par exemple, la Cour Administrative d’Appel de PARIS jugeait-elle dès le 6 juin 2003[1] que :
« L’indemnité perçue pour le préjudice subi du fait de la résiliation d’un protocole prévoyant le versement d’une caution afin de garantir le rapprochement capitalistique de 2 sociétés n’est pas imposable au titre des BNC en l’absence de service rendu ».[2]
De la même manière, en 2012[3], celle-ci jugeait que :
« Une promesse synallagmatique d’achat et de vente assortie d’une faculté de rétractation en faveur du cessionnaire, n’était pas une indemnité d’immobilisation susceptible d’être posée sur le fondement de l’article 92 du CGI. »
Ce fut ensuite le tour du Conseil d’Etat, par 2 arrêts du 7 mai 2014[4].
Dans sa décision publiée, le Conseil d’Etat considère « qu’en analysant le protocole (…) qui stipule que la société A accepte d’acquérir la totalité des actions de la société (B) sous certaines conditions expressément données constitue une promesse synallagmatique d’achat et de vente assortie d’une faculté de rétractation en faveur du cessionnaire, la Cour a souverainement apprécié les stipulations de cette convention sans les dénaturer ; qu’en jugeant ensuite par une décision suffisamment motivée et après avoir porté une appréciation souveraine exempte de dénaturation sur les conditions dans lesquelles la sociétés A avait renoncé sans justification à l’acquisition du capital de la société B, et avait accepté de verser l’indemnité litigieuse aux actionnaires de cette société, et que cette indemnité versée par la société cessionnaire en compensation du préjudice subi par les cédants du fait de la rupture de l’accord ainsi conclu, ne pouvait être regardée, contrairement à ce que soutenait le Ministre, comme une indemnité d’immobilisation susceptible d’être imposée sur le fondement de l’article 92 du Code Général des Impôts, ni comme un autre revenu entrant dans le champ de cet article (…) ».
Les enseignements de cet arrêt sont clairs :
– Une indemnité de dédit n’est pas forcément une indemnité d’immobilisation taxable au sens de l’article 92 du CGI ;
– Il appartient à la Cour d’Appel et aux juridictions du fond d’apprécier souverainement la convention des parties pour la confronter à l’article 92 du CGI ;
– Le contrôle de la Haute juridiction ne devant porter que sur l’éventuelle insuffisance de motivation et l’absence de dénaturation de la convention analysée.
Il restait alors aux juridictions du fond, à déterminer les caractéristiques d’une indemnité de dédit qui ne remplirait pas les conditions de l’application de l’article 92 du CGI. C’est désormais chose faite avec l’arrêt de la Cour d’Appel de PARIS qui, bien qu’inédit, considère qu’une indemnité de dédit n’est pas synonyme d’indemnité d’immobilisation taxable, si 3 conditions sont remplies :
1. délai accordé au cessionnaire pour exercer son droit de retrait doit être bref ;
2. l’indemnité doit être versée à propos d’une opération unique qui peut être qualifiée d’exceptionnelle ou occasionnelle ;
3. Le mode de calcul de l’indemnité doit être forfaitaire et ce nonobstant la qualification qui en a été donnée par les parties.
Si ces 3 conditions sont remplies comme en l’espèce, la Cour peut ainsi juger que « les cédants ne peuvent être regardés comme ayant aménagé à leur profit une source de gain non accidentel et susceptible, comme telle, de caractériser une exploitation lucrative au sens des dispositions précitées (…).
Dont acte. Il appartient désormais au rédacteur des actes de cession de tirer les enseignements de ces arrêts, notamment au moment de la rédaction de l’indemnité de rétractation, étant quand même rappelé qu’il doit être démontré que cette indemnité est liée à une résiliation sans juste motif, lesquels autorisent en général la rétractation dans le versement d’une indemnité. Il en est notamment de la transmission d’information inexacte, d’audits commerciaux ou financiers ne répondant pas aux caractéristiques attendus par le cessionnaire, etc.
Eric DELFLY
VIVALDI-Avocats
[1] CAA PARIS 06/06/2003, n° 98PA0200278
[2] Voir également sur ce point CAA PARIS 2e Chambre, 06/06/2003, n° 98PA0278
[3] CAA PARIS 5ème Chambre, 22/03/2012, n° 10PA03753, Inédit
[4] CE 3e et 8e SSR 07/05/2014, n° 359781 mentionnée aux tables du Recueil LEBON et 362741 inédit au Recueil LEBON