Sur la notion d’investisseur averti à l’aune de l’obligation de mise en garde du PSI

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

 

SOURCE : Cass com., 17 novembre 2015, n°14-18673, F-P+B

 

Aux cotés de l’obligation d’information et de conseil à la charge des prestataires de services d’investissement, la mise en garde a pour objet de prévenir le client d’un risque de dommage engendré par la réalisation d’opérations spéculatives. Cette obligation, née de l’arrêt BUON du 5 novembre 1991[1],

 

« (…) quelles que soient les relations contractuelles entre un client et sa banque, celle-ci à le devoir de l’informer des risques encourus dans les opérations spéculatives sur les marchés à terme, hors le cas où il en a connaissance (…) »

 

lie le PSI dès lors que deux conditions sont remplies :

 

L’opération envisagée est spéculative ;

 

L’opération sera réalisée par un investisseur non averti.

 

Cette deuxième condition nourrit un important contentieux, sur lequel revient l’arrêt du 17 novembre 2015.

 

En l’espèce, un investisseur profane, pâtissier de profession, effectue de nombreuses opérations d’achats et reventes de titres financiers spéculatifs qui ne se sont pas révélées fructueuses et conduit à la résiliation de la convention de service en ligne.

 

Le client a sollicité et obtenu le rétablissement, par avenant, de la convention, associée à un nouveau compte de dépôt à vue.

 

Les pertes se poursuivant, le client a recherché la responsabilité du PSI, pour manquement de la banque à son obligation de mise en garde, d’évaluation et d’information lors de l’ouverture du compte, en violation des dispositions de l’article L533-4 du CMF, dans sa rédaction applicable en 2003.

 

La banque excipe du caractère averti de l’investisseur.

 

La Cour d’appel d’Aix en Provence relève que l’investisseur était profane lors de la souscription de la convention de service en ligne, mais qu’il avait acquis une solide expérience du marché à terme lors de sa première année d’investissements :

 

Par des achats et reventes massives de valeurs boursières, soldées à plusieurs reprises par une position débitrice du compte ;

 

Par une correspondance dont le contenu révèle une connaissance approfondie des produits litigieux ;

 

De sorte que lors de la souscription du contrat de dépôt à vue, précédant les investissements litigieux, l’investisseur profane « était devenu un opérateur averti, prévenu contre les risques encourus à l’occasion d’opérations spéculatives effectuées sur les warrants.

 

Dans le cadre de son pourvoi, l’investisseur prétendait que ses compétences, permettant de déterminer s’il était investisseur profane ou averti, devaient être prises en compte à partir du point de départ de la relation d’investissement, et non à compter de la signature de son avenant de rétablissement.

 

La Cour de cassation ne partage pas cette position et considère, à l’instar des juges du fond, que l’opérateur profane peut devenir averti entre deux conventions.

 

Cette position n’est pas nouvelle, la Haute juridiction estimant que la qualité d’averti d’un investisseur doit être considérée, certes à la date de conclusion du contrat, mais que cette qualité, qui s’apprécie in concreto, est susceptible d’évoluer en fonction de l’expérience acquise par l’investisseur au moment ou les opérations litigieuses sont réalisées[2].

 

Toutefois, cette « expérience » doit naturellement être en corrélation avec l’instrument financier proposé : ainsi, l’expérience que l’investisseur a pu obtenir sur le marché au comptant pendant 7 ans, pas plus que sa qualification d’avocat titulaire d’un DEA en droit des affaires, ne démontre que l’investisseur est instruit des risques présentés par les opérations sur le nouveau marché qui s’adresse en priorité à une clientèle très avertie[3].

 

Cette affaire, à l’instar des références citées dans le présent commentaire, relèvent toutes de litiges intervenus avant la transposition, intervenue en octobre 2007, de la directive MIF 2004/39/CE du 21 avril 2004, qui distingue dorénavant les clients « professionnels » des « non-professionnels ».

 

La solution retenue devrait toutefois conserver tout son intérêt, dès lors que cette nouvelle dichotomie ne repose pas sur une appréciation in abstracto des compétences de l’investisseur, mais au contraire, sur la nécessité, pour le PSI, de rechercher le caractère « adapté » d’un produit ou service :

 

Article 314-33 du RGAMF : « Le prestataire de services d’investissement fournit au client un description générale de la nature et des risques des instruments financiers en tenant compte notamment de sa catégorisation en tant que client non professionnel ou client professionnel

 

Cette description expose les caractéristiques propres au type particulier d’instrument concerné, ainsi que les risques qui lui sont propres de manière suffisamment détaillée pour le client puisse prendre des décisions en matière d’investissement en connaissance de cause »;

 

Article 314-34 du RGAMF : « La description des risques doit comporter, s’il y a lieu eu égard au type particulier d’instrument concerné, au statut et au niveau de connaissance du client, les éléments suivants (…) »;

 

Il en résulte que quelle que soit la catégorie d’investisseur, une mise en garde spécifique devra être réalisée en tenant compte des compétences du client.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1] Cass com., 5 novembre 1991, n°89-18005

[2] Cass. com., 27 mai 2014, n° 09-13.803 : JurisData n° 2014-011525 ; Cass. com., 12 févr. 2008, n° 07-10.038 : JurisData n° 2008-042783 ; Cass. com., 27 janv. 1998, n° 93-18.672 : JurisData n° 1998-000251 ; Bull. civ. 1998, IV, n° 41; Cass. com., 6 déc. 2005, n° 04-16.809 : JurisData n° 2005-031396; Cass. com., 4 juill. 2006, n° 05-10.967 : JurisData n° 2006-034494; Cass. com., 16 déc. 2008, n° 07-21.922; Cass., com., 10 juill. 2012, n° 11-10.548 : JurisData : 2012-015639; Cass com., 4 février 2014, n°13-10630

[3] Cass com., 26 mars 2008, n°07-11554

 

 

 

 

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