SOURCE : Cass Com. , 2 décembre 2014, n°13-11059
Aux termes de l’article L622-7 I du Code de commerce,
« Le jugement ouvrant la procédure [de sauvegarde[1]] emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d’ouverture, non mentionnée au I de l’article L. 622-17, (…) »
Selon lequel :
« I.-Les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance.
II.-Lorsqu’elles ne sont pas payées à l’échéance, ces créances sont payées par privilège avant toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou sûretés, à l’exception de celles garanties par le privilège établi aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 du code du travail, des frais de justice nés régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure et de celles garanties par le privilège établi par l’article L. 611-11 du présent code. »
Rapporté au bail commercial, ces textes impliquent que :
les créances de loyers et charges du bailleur portant sur une période antérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective ne seront pas payées à échéance et devront faire l’objet d’une déclaration. Elles seront in fine réglées dans le cadre de la procédure collective selon le rang attribué au privilège du bailleur d’immeuble.
Les créances postérieures au jugement d’ouverture seront payées après désintéressement des créanciers antérieurs après avoir été déclarées dans les deux mois de leur date d’exigibilité (art L622-24 et R622-22), sauf si elles concernent des « créances nées régulièrement » « pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période ». Tel est le cas des loyers et charges. En est-il de même de la créance du bailleur au titre de la remise en état des locaux ?
En l’espèce, un congé est délivré par un preneur qui, pendant le délai de préavis, bénéficie d’une procédure de redressement judiciaire. Les organes de la procédure collective ne remettant pas en cause la résiliation du bail, ce dernier est résilié à sa date d’effet et les lieux libérés 3 mois plus tard.
Les loyers postérieurs à l’ordonnance d’ouverture ayant été réglés, le bailleur a assigné le preneur et l’administrateur judiciaire à titre personnel, notamment en réparation du préjudice subi du fait de l’impossibilité de relouer les lieux avant le début de l’année scolaire suivante et en paiement du coût des travaux de leur remise en état.
Pour être payable à échéance, ou bénéficier du privilège spécial de l’article L622-17 du C com., cette créance de remise en état doit réunir trois conditions :
– la créance doit être née postérieurement au jugement d’ouverture, ce qui, s’agissant d’une créance née de la restitution des lieux, est le cas, tout comme celle de nettoyage et d’enlèvement d’objets garnissant les lieux loués[2] ;
– La créance doit être régulière, ce qui est le cas de cette créance qui n’est pas née au mépris des règles de la procédure collective.
– la créance doit être née pour « le déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période ».
C’est sur ce dernier point que les juridictions guadeloupéennes, et la Cour de cassation, se sont penchées.
Puisqu’il ne peut être allégué que la créance de remise en état est née pour « le déroulement de la procédure », le bailleur soutenait que cette créance était née « En contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période ».
Pour la Chambre commerciale de la Cour de cassation cette créance n’est pas la contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant la période d’observation, même si les lieux sont restitués après le jugement d’ouverture, sauf « si les dégradations reprochées ont été commises pendant cette période ».
Il appartient donc au bailleur de démontrer que les dégradations sont intervenues pendant la période d’occupation postérieure à la résiliation. En statuant ainsi, la Cour de cassation semble procéder à revirement de sa jurisprudence, par laquelle elle considérait qu’en cas de continuation du contrat après le bail, il y a présomption de détérioration postérieure au jugement[3] (Le lecteur attentif objectera toutefois qu’en l’espèce, il n’y a pas de continuation du contrat). La preuve est donc, par cet arrêt, inversée, et il appartient de fait au Bailleur de mandater huissier, au besoin sur autorisation de justice, afin de réaliser un constat d’état des lieux loués au plus vite, dès le prononcé de l’ouverture d’une procédure collective.
A défaut, sauf à démonter que les dégradations sont intervenues après le jugement d’ouverture, la créance de remise en état devait faire l’objet d’une déclaration de créance, et réglée conformément aux règles régissant les créances postérieures du bailleur d’immeuble… La question se pose toutefois de savoir si cette déclaration devra être réalisée , à l’instar de toute créance antérieure, dans les deux mois mois de l’ouverture de la procédure collective, ou si le délai d’un mois à compter de la restitution des locaux (R622-21) sera applicable? En effet, il pourrait s’agir d’une créance née de la résiliation.
Cette position est la même s’agissant de la demande de dommages-intérêts pour l’indemnisation du préjudice résultant de la perte de la chance de pouvoir relouer immédiatement les lieux : Cette créance « n’a pas pour contrepartie une prestation fournie au débiteur », et toute décision contraire des juges du fond aurait été censurée.
Par conséquent, cette créance devait aussi faire l’objet d’une déclaration dans le mois de la restitution des locaux (art R622-21).
Pour le surplus, sur la mise en jeu de la responsabilité de l’administrateur à titre personnel, les juges du fond avaient retenu qu’aucune faute ne pouvait être retenue à son encontre, puisque celui-ci n’avait eu connaissance de la résiliation du bail que tardivement et que le tribunal avait décidé la poursuite d’exploitation. Dont acte, pour la Cour de cassation.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] Mais applicable aux redressements (art L631-14) et liquidations (Article L641-3)
[2] Cass. Com., 28 mai 2002, n°99-12470
[3] Cass com., 20 mars 2001, n°98-14124