SOURCE : Cour de Cassation, Chambre commerciale, 20-10-2021 n° 20-15.736 F-D
Dans les faits, alors qu’une société rencontre de graves difficultés financières, son dirigeant s’octroie le remboursement de son compte courant. Peu après, la société est mise en liquidation judiciaire.
S’il est constant que le droit prétorien affirme que le compte courant peut être, sauf conventions contraires, remboursé à tous moments sur demande de l’associé créancier (I), il n’en demeure pas moins, que le dirigeant opérant un remboursement considéré comme fautif peut voir sa responsabilité engagée pour insuffisance d’actif (II), puisqu’en agissant ainsi, il prive une partie des créanciers privilégiés du remboursement de leurs créances (III).
I – Le remboursement à tous moments d’un compte courant
L’absence de définition légale du compte courant, n’empêche pas qu’il soit encadré par les juges. Défini par la doctrine comme l’avance, le prêt consenti par un associé à la société, soit versé directement dans les fonds de celle-ci, soit laissée à sa disposition provisoirement, le compte courant matérialise une dérogation pure et simple à la réglementation du monopole des établissements de crédit, prévue par le Code Monétaire et financier[1].
Ainsi, pour faire face aux besoins de la société, il est fréquent que les associés participent aux besoins de trésorerie momentanés, sans réaliser d’apports supplémentaires, en consentant des « avances en compte courant » à la société. L’associé préteur devient alors également créancier de la société au titre des sommes figurant sur son compte courant. Il cumule deux casquettes aux statuts différents.
Sa mise en place ne requiert pas de formalisme spécifique, de sorte qu’en théorie, le remboursement du compte courant par l’associé peut être demandé à tous moments[2].
En effet, ce n’est qu’en cas de clause conventionnelle ou statutaire contraire que le droit au remboursement du compte courant à tous moments peut être limité, puisque le droit prétorien est déjà venu affirmer que ce remboursement pouvait être demandé, quelle que soit la situation économique et financière de la société.
La société ne peut en réalité s’opposer à la demande de restitution prétextant une situation financière difficile[3], ou limiter le remboursement à la somme maximale pouvant être supportée par la trésorerie disponible de la société[4].
Pour autant, les juges mettent en balance les intérêts de la société, et ont d’ores et déjà considéré comme abusive, la demande de remboursement d’un compte courant par le gérant lui-même, au détriment de la société, en la plaçant dans une situation financière difficile. Il commettrait alors une faute de gestion pouvant entrainer sa responsabilité[5].
Ainsi, certains remboursements considérés comme fautifs pourront fonder des sanctions à l’encontre du dirigeant.
II – La responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actifs.
En l’espèce, une société, mise en liquidation judiciaire, fait apparaitre une insuffisance d’actifs, c’est-à-dire, qu’après le terme de la procédure collective, l’entreprise n’ayant pas eu assez de liquidités pour rembourser l’ensemble de ses créanciers, il reste des dettes non payées.
Dans ces hypothèses, et conformément aux dispositions de l’article L651-2 du Code de commerce, le tribunal peut décider que l’insuffisance d’actif sera supportée par le(s) dirigeant(s) :
« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. (…) ».
Le juge devra pour ce faire, caractériser « la faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance ».
A l’origine de ce contentieux, un gérant de SARL s’est remboursé son compte courant quelques mois (6) seulement avant liquidation judiciaire, et se retrouve poursuivi par le liquidateur en charge de la procédure, pour que soit engagée sa responsabilité pour insuffisance d’actifs.
A ses yeux, « le remboursement du compte courant d’associé constitue une faute de gestion même si la société dispose sur le moment des liquidités suffisantes pour y procéder puisque, intervenant dans un contexte de difficultés financières, il prive la société de la trésorerie nécessaire au paiement de ses créanciers et à son activité ».
Pourtant, le liquidateur se voit confronté à la clémence des juges d’appels, qui écarte la faute de gestion considérant que « au jour où il a été procédé au retrait du compte courant du gérant, les comptes bancaires de la société (XX) présentaient un solde créditeur d’une somme supérieure au montant du remboursement ».
Evidemment, le liquidateur se pourvoit en cassation pour réclamer aux juges suprêmes de se positionner sur cette éventuelle « circonstance atténuante » pour le dirigeant.
Comme le pressentait le demandeur au pourvoi, la vision des juges d’appel a été cassée par leurs collègues du Quai de l’Horloge, qui considérèrent a contrario, que le motif était insuffisant pour exclure la faute du gérant, qui avait parfaitement connaissance des difficultés rencontrées par la société, privilégiant sa situation financière personnelle au détriment de la personne morale dont il avait la gestion.
Considérant les motifs invoqués comme impropres à exclure à eux seuls la faute du gérant, les juges ont cassé l’arrêt d’appel, dans un arrêt inédit, en parti rédigé en ces termes :
« Vu l’article L. 651-2 du code de commerce :
5. Selon ce texte, lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de celle-ci sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.
6. Pour écarter la faute de gestion de M. [T], l’arrêt relève que celui-ci a procédé au paiement de son compte-courant d’associé tandis que les comptes bancaires de la société étaient créditeurs d’une somme supérieure au montant du remboursement.
7. En statuant par de tels motifs, impropres à exclure à eux seuls la faute du gérant, à qui le liquidateur reprochait d’avoir procédé au remboursement de son compte courant d’associé en parfaite connaissance des difficultés financières de la société et particulièrement de sa situation de trésorerie, pour privilégier sa situation personnelle, la cour d’appel, peu important le caractère potestatif qu’elle a attribué à l’article 7 des statuts, dont le refus d’application par elle ne suffisait pas à écarter le caractère fautif du retrait des fonds, dans les circonstances invoquées par le liquidateur, n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Même si la jurisprudence est chiche en la matière, cet arrêt rappelle que l’associé, à la fois dirigeant et créancier d’un compte courant, opérant un remboursement de celui-ci peu avant l’enclenchement de procédures collectives, peut être condamné au comblement du passif, précisant par ailleurs que cette sanction pouvait s’appliquer même si les comptes bancaires de la société étaient créditeurs d’une somme supérieure au montant de la dette en compte courant.
III – Cette jurisprudence interpelle puisqu’aux premiers abords, l’opération reprochée au dirigeant apparait pourtant neutre au regard de l’étendu du passif avant/après la liquidation judiciaire. Les sommes apportées en compte courant constituent une dette de la société envers l’associé préteur, et auraient donc fait l’objet d’un remboursement : Ce qui est payé n’a plus à l’être.
Mais pour autant, la condamnation du dirigeant pour insuffisance d’actif était nécessaire, puisqu’en privilégiant ses intérêts propres, celui-ci amoindri les chances, pour les créances privilégiées, d’obtenir paiement de leurs dettes.
En effet, les lecteurs de Chronos sauront qu’en matière de procédure collectives, le législateur organise le paiement privilégié de certaines créances par rapport à l’état de cessation des paiements, de sorte que, le fait de « vider les caisses » de la société quelques mois avant la procédure collective, aura nécessairement une incidence sur le paiement desdites créances privilégiées, raison pour laquelle la responsabilité du dirigeant devait être recherchée.
Et manifestement, le fait que les comptes bancaires soient créditeurs, et largement, ne constitue pas pour autant une circonstance atténuante pour les juges du Quai de l’Horologe.
[1] Article 312-2 du CMF.
[2] C.Cass, Com, 24 juin 1997 N° 95.20.056, Com 8 décembre 2009 N° 08.16.418, Civ, 3, 3 mai 2018 N°16.16.558
[3] CA Versailles, 2 Avril 1999, N°96/00008453 – CA Aix en Provence 6 juillet 2017 N°15/05231
[4] Cour de cassation, 8 décembre 2009, N° 08.16.418
[5] Cass, 1er juillet 2008, N° 07-16.215