Réforme du droit des baux commerciaux au Luxembourg : un pas vers la propriété commerciale

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : Loi du 3 février 2018 portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du Code civil, publié au Mémorial A le 6 février 2018

 

Introduit en 1936, le droit luxembourgeois des baux commerciaux a toujours considéré, contrairement au droit français, que le bail commercial est un contrat « presque » comme un autre et laisse aux parties une liberté particulièrement étendue pour définir les modalités de leurs accords, tant en ce qui concerne le cours du bail que sa résiliation. La propriété commerciale, bien connue du droit français pour avoir été consacrée par le décret du 30 septembre 1953, cédait devant le droit de propriété du bailleur légitime à reprendre son bien à l’issue de la durée contractuelle sauf si cette reprise visait à relouer les locaux pour la même activité, auquel cas un droit de préférence était octroyé à l’exploitant sous conditions.

 

Cette conception n’a cependant pas résisté aux dérives, qui ont conduit de nombreux commerçants, depuis 2012, à faire aveux de faillite, et le législateur à réformer le droit pour protéger le fonds de commerce.

 

1) Art. 1762-4 (nouveau) du Code civil luxembourgeois : la durée du bail commercial est indéterminée ou de plus d’un an

 

Bien que le projet de loi avait l’ambition d’entériner la jurisprudence qui, se fondant sur l’usage, qualifiait les baux à durée indéterminée en baux de trois ans, le législateur a choisi de conserver le bail à durée indéterminée.

 

Pour ne pas être liés par les dispositions protectrices, à l’instar du bail dérogatoire français, les parties pourront cependant conclure un bail de 12 mois maximum qui ne sera pas régi par le droit des baux commerciaux luxembourgeois.

 

2 ) Art 1762-10 (nouveau) : le droit au renouvellement est modifié

 

Jusqu’à présent, le Code civil luxembourgeois prévoyait que le preneur de locaux pris à bail depuis plus de trois ans et depuis moins de quinze ans disposait d’un droit au renouvellement de son bail, qui n’était en réalité qu’un droit de préférence dans la relocation du bien.

 

L’article 1762-10 consacre désormais un véritable droit au renouvellement pour le preneur à bail, et même pour son sous locataire puisque contrairement au droit français des baux commerciaux (L145-31 du Code de commerce), la sous location est, en droit luxembourgeois, licite.

 

Le preneur pourra ainsi demander le renouvellement de son bail au terme de la durée contractuelle en respectant un préavis de 6 mois à peine de déchéance de son droit au renouvellement. Toute clause contraire sera « nulle de plein droit ».

 

L’article 1762-11, rappelant les dispositions de l’ancien article 1762-4, permet néanmoins au bailleur d’échapper au renouvellement ou de résilier le bail à durée indéterminée, sous réserve de respecter un préavis de 6 mois :

 

1. aux fins d’occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au 1er degré ;

 

2. en cas d’abandon de toute location aux fins d’activité identique ;

 

3. en cas de reconstruction ou de transformation de l’immeuble loué.

 

Exit ainsi le système d’enchère prévu par l’ancien droit, contraignant le preneur à supporter, à la fin de la durée contractuelle de son bail, un loyer revu nettement à la hausse, sous peine de perdre son bail.

 

La résiliation du bail pour faute du preneur reste naturellement ouverte à tout moment et à effet immédiat, contrairement aux dispositions de l’article L145-41 du Code de commerce français qui prévoit un délai d’un mois.

 

3) Art 1762-12 (nouveau) : instauration de l’indemnité d’éviction

 

Corolaire du droit au renouvellement en droit français, l’indemnité d’éviction permet au bailleur, à l’issue de la durée contractuelle du bail, de pouvoir récupérer la jouissance de son bien en versant au preneur une certaine somme indemnisant la totalité du préjudice du preneur. Le droit luxembourgeois adopte un système similaire pour permettre au bailleur de conserver son droit à porter le loyer à la valeur locative.

 

Ainsi, à compter de la neuvième année du bail, le bailleur pourra reprendre son bien (et donc le relouer à un autre exploitant pour la même activité), soit en résiliant le bail soit en refusant le renouvellement. L’indemnité d’éviction sera fixée, a défaut pour les parties d’avoir prévu son mode de fixation au bail, sur la base de la valeur marchande du fonds.

 

4) Art. 1762-5 (nouveau) : Le pas de porte est interdit et le dépôt de garantie plafonné à 6 mois de loyer

 

Au Luxembourg, et en l’absence de propriété commerciale à la française, le « pas-de-porte » a eu pour conséquence d’inciter certains bailleurs à vouloir mettre rapidement un terme à leurs relations contractuelles avec le locataire pour répondre aux sollicitations de preneurs plus offrant, ce qui a eu pour effet de constituer des obstacles difficilement surmontables pour l’accès à la location par des commerçants n’ayant pas une assise financière suffisante.

 

Le législateur luxembourgeois prohibe donc désormais ce genre de versement, le déclarant nul de plein droit, et donc sujet à restitution.

 

En outre, pour faciliter l’installation des commerçants, le code civil luxembourgeois plafonne le montant du dépôt de garantie à 6 mois, et crée un droit pour le preneur de remplacer le dépôt par toute autre garantie équivalente (GAPD, assurance, etc.) ce qui ne sera pas sans rappeler le droit des baux d’habitation français. En revanche, en droit des baux commerciaux français, le plafonnement du dépôt de garantie s’effectue naturellement par un droit aux intérêts octroyé au preneur, toute clause contraire étant réputée non écrite.

 

5) Art 1762-6 (nouveau) : encadrement des loyers de la sous-location

 

Autre mesure prévue par le législateur destinée à limiter la spéculation, le preneur à bail ne pourra plus demander au sous-locataire un montant de loyer supérieur au montant du bail principal conclu avec le bailleur, sauf si le preneur principal a effectué des investissements spécifiques en vue de la sous-location comme cela pourrait être le cas pour les brasseries ou les stations-services.

 

6) Suppression du « sursis commercial » mais création du délai de délaissement

 

Pour pallier la particulière liberté accordée au bailleur pour reprendre son immeuble, l’article 1762-8 du Code civil permettait au preneur de demander au juge de paix deux sursis successifs, chacun de six mois maximum, demandes qui devaient impérativement être formulées au plus tard deux mois avant l’expiration du bail, sous peine de déchéance.

 

Compte tenu du droit au renouvellement, et dans un souci de simplification, le sursis commercial a été supprimé et remplacé par un délai de délaissement, introduit sous l’article 1762-9 du Code civil, qui rappellera, là encore, le droit des baux d’habitation français (Article L412-1et suivants du CPCE). Plus précisément, à l’issue du bail ou de sa résiliation, le bailleur peut obtenir du juge de paix une décision autorisant le déguerpissement forcé du preneur, lequel peut alors requérir du juge de paix qu’il soit sursis à la décision de déguerpissement.

 

S’il est accordé, ce sursis sera unique et limité à neuf mois. Il doit en outre remplir deux conditions :

 

– Le preneur doit être à jour du paiement des loyers et provisions pour charges ;

 

– Le sursis est accordé au preneur

 

7) Article 1762-13 (nouveau) : Instauration d’un droit de préemption pour les locataires

 

De la même manière qu’en droit français (Article L145-46-1), le droit luxembourgeois reconnaît désormais, en matière commerciale, un droit légal de préemption du locataire en cas de vente de l’immeuble loué. Mais contrairement au droit français, seul les locataires dont le bail court depuis 18 ans pourront se prévaloir de ce droit.

 

8) Entrée en vigueur et application de la loi aux contrats en cours

 

Sauf en ce qui concerne la prohibition du pas de porte et du loyer de sous location supérieur au loyer du bail, ces nouvelles dispositions sont applicables aux contrats en cours depuis le 1er mars 2018.

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