Quel tribunal compétent pour statuer sur la rupture brutale d’une relation commerciale intra UE ?

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : CJUE, CH2, 14 juillet 2016, n°C-196/15

 

Une société niçoise a distribué en France, pendant vingt cinq ans, les produits alimentaires élaborés par une société établie en Italie, sans contrat cadre ni stipulation d’exclusivité.

 

Le fournisseur ayant mis fin à la relation commerciale en 2012, sans préavis, la société française l’assigne indemnisation du dommage causé par la rupture brutale des relations commerciales établies, par devant le Tribunal de commerce de Marseille. Ce dernier se déclare compétent eu égard au caractère délictuel de l’action, le lieu de survenance du dommage, au sens de l’article 5.3 du règlement Bruxelles I (désormais règlement n° 1215/2012 Bruxelles I bis du 12 décembre 2012, applicable aux actions judiciaires intentées à compter du 10 janvier 2015 : JOCE n° L 351, 20 déc. 2012), étant situé au siège de la victime.

 

Le fournisseur saisit la Cour d’appel de Paris d’un contredit de compétence, soutenant que l’action relève de la matière contractuelle au sens dudit règlement.

 

Pour la Cour d’appel de Paris, Pole 1 chambre 1, l’action fondée sur le 5° du I de l’article L. 442-6 du code de commerce est qualifiée, dans l’ordre interne, de délictuelle, selon la jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation citant à cet égard deux arrêts rendus en 2011 et 2014 par la Chambre commerciale[1]. Cependant, la matière délictuelle ou contractuelle au sens du règlement étant une notion autonome, les juges parisiens considèrent qu’une interprétation du règlement au regard de l’article L442-6 est nécessaire.

 

La Cour pose, par un arrêt du 7 avril 2015, deux questions préjudicielles à la CJUE :

 

« 1°) l’article 5. 3 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 doit-il s’entendre en ce sens que relève de la matière délictuelle l’action indemnitaire pour rupture de relations commerciales établies consistant dans la fourniture de marchandises pendant plusieurs années à un distributeur sans contrat cadre ni exclusivité.

 

2°) en cas de réponse négative à la première question, le b) de l’article 5.1 de ce règlement est-il applicable à la détermination du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande dans le cas énoncé au 1°). »

 

L’avocat général a estimé que l’action indemnitaire fondée sur la rupture brutale d’une relation commerciale relève nécessairement de la matière délictuelle, à l’instar de la rupture fautive de pourparlers[2], puisque l’action repose non sur un contrat mais sur l’impossibilité de conclure d’autres contrats en raison du refus du cocontractant. Mais la CJUE s’écarte de son avis, et considère au contraire que l’action indemnitaire fondée sur la rupture brutale des relations commerciales établies, lorsque qu’elle se fonde sur une relation contractuelle, serait-elle tacite comme en l’espèce, relève de la matière contractuelle au sens du Règlement.

 

Pour la CJUE, la Cour d’appel de PARIS devra déterminer si la relation commerciale établie repose sur une relation contractuelle tacite au travers d’un faisceau d’indices :

 

– des relations établies de longue date ;

– la bonne foi des parties ;

– la régularité des transactions et leur évolution,

– les accords sur les prix et les rabais,

– les correspondances échangées.

 

Il semble toutefois peu vraisemblable qu’une relation commerciale réputée par une juridiction comme « établie » ne s’appuie pas sur plusieurs de ces critères, de sorte que toute relation commerciale établie relèvera manifestement, en droit communautaire, de la matière contractuelle.

 

Quant à savoir si le tribunal compétent sera celui du lieu de livraison ou le lieu de fourniture du service, il s’agira pour la Cour d’appel de Paris, selon la CJUE, de rechercher si le contrat tacite repose ou non sur une relation de distribution.

 

En d’autres termes, si le partenaire commercial ne fait que réceptionner la marchandise pour la revendre, il s’agira d’une relation basée sur un contrat de vente de marchandise, dont l’indemnisation de la rupture brutale relèvera de la juridiction du lieu de livraison, pour la détermination duquel les incoterms figurant sur les factures devront être pris en compte. En revanche, si le partenaire participe au développement de la diffusion des produits, à la stratégie commerciale du fournisseur, aux opérations promotionnelles, etc., en contrepartie d’une rémunération, d’avantages, d’une exclusivité de fait, d’un accès aux supports de communications, etc. la relation commerciale reposera sur un contrat de prestation de service et sa rupture brutale sera appréciée par la juridiction du lieu de fourniture du service, c’est-à-dire généralement, le siège social de la victime.

 

Il ne reste donc plus qu’à la Cour d’appel de Paris de statuer, par une analyse des faits, sur ces deux questions.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats


[1] Cass. com. 18 janvier 2011, n° 10-11.885 : Bull. 2011, IV, n° 9. – Cass. com. 20 mai 2014, n° 12-26.705 : Bull. 2014, IV, n° 90, cf également Cass. com., 13 déc. 2011, n° 11-12.024, F-D

[2] CJUE, 17 septembre 2002, C-334/00, TACCONI

 

Partager cet article
Vivaldi Avocats