Quel point de départ du délai de prescription de l’action en faillite personnelle en cas d’annulation du jugement d’ouverture ?

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

L’arrêt d’appel qui annule le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, puis ouvre lui-même la liquidation, constitue le point de départ du délai de prescription de l’action en interdiction de gérer ou faillite personnelle.

Source : Cass.Com., 23 novembre 2022, n°21-19.431, F+B

L’article L653-1 du Code de Commerce fixe le délai de prescription de l’action en faillite personnelle ou interdiction de gérer à 3 ans.

Mais comme toujours en matière de délai de prescription, c’est moins la durée que le point de départ qui importe.

En l’occurrence, le point de départ est fixé par le texte « à compter du jugement qui prononce l’ouverture de la procédure [de redressement ou de liquidation judiciaire] ».

La particularité du cas d’espèce de l’arrêt ici commenté tient au fait qu’il permet d’étudier tous les points de départ potentiels, puisque la procédure s’est déroulée comme suit :

  • Un RJ a été ouvert en date du 7 septembre 2010, convertie en LJ le 6 septembre 2011 ;
  • Le jugement de LJ a été réformé par arrêt du 5 juillet 2012 qui a confirmé l’ouverture du RJ ;
  • Un plan de redressement a été adopté en date du 15 janvier 2013 ;
  • Le plan a été résolu et une liquidation judiciaire prononcée en date du 7 avril 2016 ;
  • Le jugement d’ouverture de la LJ a été annulé par arrêt du 7 novembre 2016, lequel a cependant prononcé à son tour la résolution du plan et l’ouverture d’une LJ.

Le liquidateur a assigné le débiteur en interdiction de gérer en date du 19 septembre 2019. Le Tribunal puis la Cour d’Appel ont prononcé une telle interdiction de gérer.

L’arrêt commenté est rendu sur pourvoi du débiteur, qui soutenait donc la prescription de l’action du liquidateur. La Cour de Cassation rejette l’argumentation, et valide la position des juges du fond, ce qui nous permet quelques rappels intéressants.

I – La liquidation sur résolution de plan est une nouvelle procédure

Il s’agit du premier rappel de l’arrêt, qui tire son fondement des dispositions de l’article L626-27 du Code de commerce.

En effet, le débiteur avait soutenu devant la Cour d’Appel que le jugement d’ouverture à prendre en compte comme point de départ du délai de prescription de l’action en sanction était le jugement d’ouverture du redressement judiciaire de 2010. En introduisant son action seulement en 2019, le liquidateur était donc, selon le débiteur, prescrit.

Cette approche ne peut être validée.

En effet, deux situations procédurales doivent être bien distinguées :

  • La conversion du RJ en LJ (en cours de période d’observation, donc) : la liquidation n’est PAS une nouvelle procédure ;
  • La résolution du plan de redressement, et l’ouverture corrélative d’une liquidation judiciaire. C’est là l’hypothèse de l’article L626-27 du Code de Commerce. La liquidation est alors une nouvelle procédure collective.

Bien évidemment, le point de départ de la prescription de l’action en sanction diffère grandement :

  • Dans le cas d’une conversion du RJ en LJ, il n’y a qu’une seule procédure collective, et en application de l’article L653-1 du Code de Commerce, le délai de prescription court à compter du jugement d’ouverture du redressement ;
  • Dans le cas d’une résolution du plan, le jugement d’ouverture de la liquidation est une nouvelle procédure, et le délai de prescription de l’action en sanction court bien à compter du jugement de liquidation, et non à compter de l’ouverture de la première procédure collective ayant abouti à l’adoption d’un plan.

La solution est désormais bien établie, mais des rappels réguliers semblent nécessaires.

II – Point de départ de la prescription en cas d’annulation du jugement d’ouverture

Le second point d’intérêt consiste dans la particularité procédurale du dossier : en effet, le débiteur a fait l’objet d’une résolution de son plan, et de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire par jugement en date du 7 avril 2016.

Mais un appel a été interjeté à l’encontre de ce jugement, et la Cour d’appel a, par un arrêt du 7 novembre 2016 :

  • Annulé le jugement du 7 avril 2016 ;
  • Evoqué, en vertu de l’effet dévolutif, et ouvert dans ces conditions une liquidation judiciaire.

Pour mémoire, l’action en sanction du liquidateur a été introduite par assignation du 19 septembre 2019.

Le débiteur soutenait dans son pourvoi que l’action du liquidateur était prescrite, car introduite plus de 3 ans après la date du 7 avril 2016.

La cour de cassation rejette le pourvoi, et ce n’est absolument pas une surprise : en effet, la Cour d’appel, dans son arrêt du 7 novembre 2016 a annulé le jugement du 7 avril 2016 (« pour une irrégularité de procédure n’affectant pas l’acte introductif d’instance » prend-elle le soin de préciser), puis en vertu de son pouvoir d’évocation, a prononcé à nouveau une liquidation judiciaire.

Or l’annulation du jugement a, et c’est bien l’effet d’une nullité, « privé rétroactivement ce dernier de tout effet »

De sorte que la (nouvelle) liquidation judiciaire prononcée par la Cour d’Appel dans le même arrêt, constitue bien la décision d’ouverture de la procédure collective.

Et donc le point de départ de la prescription triennale de l’action en sanction.

L’action du liquidateur, introduite le 19 septembre 2019, l’a donc été valablement avant la date anniversaire des 3 ans de l’arrêt du 7 novembre 2016. Et le pourvoi est donc très logiquement rejeté.

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