Dans un arrêt en date du 18 décembre 2024 publié au bulletin, la Cour de cassation vient fixer la date du fait générateur des droits d’enregistrement, dans le cas d’une cession de droits sociaux, au transfert de propriété et non à la date de la formalité de l’enregistrement de la transformation de la société.
Source : Cass. Com., 18 décembre 2024, n° 23-21.435
I – Faits et procédure
Une SAS acquiert les droits sociaux d’une SARL. La veille de cette acquisition, la SARL a organisé une assemblée générale extraordinaire durant laquelle a été votée la transformation de la SARL en SAS.
Quelques jours plus tard, les déclarations de cession des droits sociaux sont déposées par la société acquéreur auprès des services des impôts et celle-ci règle les droits d’enregistrement. Quatre jours plus tard, il est cette fois procédé à l’enregistrement du procès-verbal de l’AGE précitée par le service des impôts.
Plus de trois ans plus, l’administration fiscale considère que la cession à l’étude concernait des parts sociales de SARL et non des actions de SAS et procède à des rappels de droits d’enregistrement. Elle argue du fait que les formalités de transformation de SARL en SAS n’avaient pas été réalisées à la date de la cession, la société acquéreur ne pouvait donc bénéficier du tarif préférentiel applicable aux actions qui est pour rappel de 0,1 % de la valeur des actions cédées.
La société a donc contesté les rappels de droits d’enregistrement, et l’administration a maintenu son redressement l’augmentant de droits supplémentaires et d’intérêts de retard.
L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon en date du 6 juillet 2013[1], contre lequel la société forme un pourvoi, rejette la demande de décharge des droits supplémentaires et des intérêts de retard. Pour les juges du fond, il ne peut être considéré que « l’inscription sur le registre des mouvements des titres cédés rende opposable à l’administration fiscale le changement de forme de la société cédante qui est une opération juridique distincte », de plus, pour la cour d’appel, l’administration fiscale ne pouvait avoir connaissance de la transformation avant la publication du PV de l’AGE, soit postérieurement à la cession et qu’en conséquence la transformation de la SARL en SAS était inopposable à l’administration fiscale.
La Haute Cour ne suit pas ce raisonnement et casse l’arrêt de Cour d’appel de Lyon.
II – Le fait générateur des droits d’enregistrement : la date du transfert de propriété
Tout d’abord, la Cour de cassation rappelle que, selon l’article 726 I, 1° du Code général des impôts, la cession de droits sociaux est soumise à un droit d’enregistrement avec un taux dégressif et la cession de parts sociales est soumise à un droit fixe. En résumé, les droits d’enregistrement sont de 0,1 % s’il s’agit d’actions de SAS et de 3 % s’il s’agit de parts sociales de SARL.
Ne suivant pas le raisonnement des juges du fond, la Cour de cassation juge que les droits d’enregistrement lors d’une cession de droits sociaux sont définis selon leur nature juridique déterminée au moment du fait générateur de ces droits, soit pour la Haute Cour, à la date du transfert de propriété. Le fait qu’à la date de l’enregistrement de la cession, la publication de la transformation de la SARL en SAS au registre du commerce et des sociétés n’ait pas été réalisée, n’entraîne aucune conséquence.
En d’autres termes, le fait générateur pour le paiement des droits d’enregistrement de droits sociaux correspond au transfert de propriété, et non aux formalités relatives à la publication.
Concernant les cessions constatées par un acte, ce qui est bien entendu le cas en l’espèce, le BOFIP nous rappelle que « pour ces cessions, le fait générateur de l’imposition est constitué par la date de l’acte »[2].
III – Pour aller plus loin
La solution de la Cour de cassation permet une plus grande sécurité juridique pour les entreprises qui n’auraient pas effectué les formalités inhérentes à une cession de droits sociaux avant le paiement des droits d’enregistrement.
Elle permet également de rectifier une position des juges du fond qui avait été l’objet de nombreuses critiques, notamment de la doctrine qui la considérait comme « une appréciation erronée retenue par la Cour d’appel »[3].
En effet, la Cour d’appel de Lyon rendait son arrêt au visa de l’article L. 123-9 al. 1 du Code de commerce, qui dispose : « La personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l’exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s’en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre. » Or, si à la date du paiement des droits d’enregistrement, il est exact que la publication n’avait pas eu lieu et que selon le texte précité elle n’était pas opposable à l’administration fiscale, à la date du redressement cette publication était intervenue de longue date.
Ainsi, puisque le fait générateur de l’imposition est évidemment la cession des droits sociaux, la solution de la Haute Cour parait tout à fait logique dans le cadre du redressement intervenu.
De plus, l’arrêt des juges de Lyon semblait faire fi du délai d’un mois pour enregistrer les cessions d’actions ou de parts sociales[4] : selon l’arrêt cassé, une publication de cession de droits sociaux pourtant dans le délai légal d’un mois pourrait toutefois ne pas rendre cette cession opposable à l’administration fiscale et permettre un redressement quant à l’imposition acquittée.
Cette incongruité est aujourd’hui effacée.
[1] CA Lyon, 6 juillet 2013, n°20/05110
[2] BOI-ENR-DMTOM-40-10-20, I. A. 1
[3] B. Dondero, note ss. CA Lyon, 6 juillet 2023
[4] Article 635 du Code général des impôts