SAS : clause statutaire d’exclusion : consécration de la loi du plus fort

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Après sa décision du 09 décembre 2022, pouvons-nous véritablement considérer que le Conseil Constitutionnel a pris conscience des véritables enjeux du nouveau dispositif d’exclusion des actionnaires de SAS introduit par la loi dite SOILIHI ?

Source :Cons. Const. QPC 09 décembre 2022 n° 2022-1029

I –

Les lecteurs de CHRONOS ont déjà tous dû prendre connaissance de l’Arrêt rendu par le Conseil Constitutionnel le 09 décembre 2022 commenté (ci-après : « la Décision ») et ont ainsi retenu que les dispositions de l’article L.227-16, du code de commerce  en vigueur dans notre législation française depuis le 21 septembre 2000 et ainsi rédigé :

« Dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions.

Ils peuvent également prévoir la suspension des droits non pécuniaires de cet associé tant que celui-ci n’a pas procédé à cette cession ».

étaient conformes à la constitution française et notamment à l’article 17 de la déclaration de 1789 sur les Droits de l’Homme (ci-après : « DDH »), ayant valeur constitutionnelle qui dispose : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Avec cette précision que l’article 2 de la DDH dispose que les atteintes portées à ce droit de propriété doivent être justifiées pour un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.

La Cour de Cassation en déduisait pourtant  au visa de ces textes, un principe général du droit selon lequel tout associé d’une société avait le droit d’y rester, de sorte que toute Assemblée Générale de type « coup d’accordéon »[1] était vouée à l’annulation, sauf si la survie de l’entreprise commandait qu’il soit procédé à une telle opération[2].

L’affirmation selon laquelle l’article L.227-16 du code de commerce ne bouscule pas le droit de propriété constitutionnellement protégé, n’est pas, en soi, révolutionnaire. En effet, jusqu’à la loi SOLIHI (cf  infra), l’exclusion d’un associé s’inscrivait dans une situation acceptée et prévisible puisque présente dans les statuts lors de la souscription au capital, le cas échéant lors de l’adhésion à un pacte d’actionnaires.

Si d’aventure un groupe, disposant d’une majorité suffisante, décidait de changer la règle et d’introduire ou de modifier les clauses d’exclusion statutaire alors, la règle de l’unanimité s’imposait à lui, de sorte que l’associé menacé d’exclusion pouvait, par son vote, s’opposer au changement de la règle du jeu[3]. Ce raisonnement et la Jurisprudence LOG avaient un sens jusqu’à la loi SOILIHI[4] et son article 29 qui déplace l’article L.227-16 de la catégorie des clauses statutaires ne pouvant être adoptées ou modifiées qu’à l’unanimité des associés, dans la catégorie des clauses statutaires qui peuvent, désormais, « être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts ».

Ainsi, un groupe d’associés, qui dispose d’une majorité statutaire, peut changer la règle du jeu « en cours de partie » et forcer l’exclusion d’un associé qui n’avait pas pu anticiper son sort lorsqu’il est rentré au capital de la société. Donc, changement de paradigme : un associé n’a pas nécessairement le droit d’y rester. Pour quelles raisons ?

  • La première est que, selon le Conseil Constitutionnel, la contrainte qui s’exerce contre un associé qui doit céder ses actions n’entraine « pas une privation de propriété au sens de l’article 17 de la déclaration de 1789 ».

Ah bon ? Vous êtes propriétaire d’une très belle maison, très bien située et, tout à coup, quelqu’un vous oblige à la vendre, certes au prix du marché, mais sans aucune condition d’utilité publique : ne suis-je pas victime d’une perte de la propriété qui n’est pas compensée par sa contrepartie financière ?

  • La seconde tient, cette fois-ci, à la justification de l’exclusion par un intérêt général… particulier, qui ne doit pas être confondu avec l’utilité publique visée à l’article 17 de la DDH. La question qui est ouvertement posée est : est-ce qu’un groupe majoritaire peut, parce qu’il est majoritaire, représenter l’intérêt de la société, voire l’intérêt général ? La réponse doit être nuancée puisque dans l’Arrêt LOG, cité à titre de référence jurisprudentielle, l’associé minoritaire, menacé d’exclusion, faisait grief à l’associé majoritaire de détournement de fonds commis au préjudice de la société dans laquelle il était associé, ce qui avait immédiatement entrainé la mise en place de la procédure d’exclusion sanction. Si notre minoritaire avait été exclu aussi facilement que la loi SOILIHI le permet, l’intérêt de la société aurait-il été, à ce point, favorisé ?
  • La troisième tient au contrôle du Juge qui doit vérifier l’existence d’un motif d’exclusion stipulé dans les statuts, conforme à l’intérêt social et à l’ordre public et ne pas être abusif. L’on peine à comprendre les critères appliqués par les Juridictions du fonds gardiennes de la légitimité d’exclusion d’un associé. En effet, les Juges se contentent, s’agissant d’une convention : les statuts, de rechercher si la cause d’exclusion est conforme aux statuts et si elle est conforme de la valider. La Jurisprudence ne s’embarrasse pas à vérifier un quelconque intérêt social. Ainsi notre associé minoritaire dans l’Arrêt LOG aurait-il pu, s’il n’avait pas pu jouer sur une erreur de rédaction de la clause d’exclusion des statuts, faire valoir le caractère abusif de son exclusion concomitante à des révélations de faits de détournements et d’abus de bien des crédits de la société ? rien n’est moins sûr ;
  • Enfin, la Décision rappelle que la valorisation de la contrepartie des actions est faite à défaut d’accord entre les parties à dire d’Expert, au visa de l’article 1843 du Code Civil. Revenons encore sur  notre Arrêt LOG.Comment calculer la valeur de cette société ? A sa valeur de marché, à la date à laquelle l’exclusion est prononcée ? ou … en tenant compte de l’actif sous-jacent lié  à la nécessité de réintégrer les détournements d’actif dont a été victime la société, avec cette double difficulté que (i) l’associé menacé d’exclusion perd le contrôle de l’information en même temps qu’il perd sa qualité d’associé et (ii) voit son droit à indemnisation reporté à la fin de l’action ut singuli qu’il doit mener pour faire reconnaître cette créance à ses frais.

On voit bien que le Conseil Constitutionnel, dans un souci bien compris d’ailleurs de limiter les litiges entre associés en favorisant l’introduction et la modification des clauses d’exclusion sanction, a choisi, de manière pragmatique, que la loi du plus fort puisse s’exprimer, à charge, pour les plus faibles, d’aller rechercher dans des conditions parfois très difficiles la contrepartie de l’invalidation de leurs droits sociaux.

Le Conseil Constitutionnel vient-il de sceller définitivement le droit positif de l’associé menacé d’exclusion ? La bataille, à mon avis, peut se poursuivre sur le fondement  dispositions de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.

II – CONSEIL CONSTITUTIONNEL VS CEDH

Le sous-titre de l’article est volontairement provocateur puisque se pose très clairement en toile de fonds un principe de hiérarchie des normes en droit national. Et même s’il est constant que la constitution française et les textes y associés constituent la norme hiérarchique la plus importante en droit français, il n’est pas audacieux de soutenir qu’un texte peut être conforme à la constitution française, mais non conforme à des traités internationaux et notamment la Convention Européenne des Droits de l’Homme ratifiée par la France en 1974.

A cet égard, l’article 1er du protocole n°1 de la CEDH dispose que « les États parties à la Convention reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de ladite Convention (articles 2 à 18) ». Les principes généraux étant fixés, il faut évidemment s’attaquer aux restrictions acceptables, selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui considère que le droit de propriété n’est pas nécessairement absolu. Il peut faire l’objet de restrictions clairement énoncées à l’article 1 du protocole et notamment :

  • Dans les conditions prévues par la loi ;
  • Dans l’intérêt général ;
  • Et si cette mesure s’avère nécessaire, dans une société démocratique, la combinaison de L.227-16 et L.227-19 du Code de Commerce précité, donne un fondement légal à l’expropriation privée de l’associé.

C’est sur le fondement de l’intérêt général que l’on parvient à ne pas comprendre la Décision du Conseil Constitutionnel, avec cette envie de se réfugier derrière les dispositions de la CEDH. Ainsi, si l’idée de supprimer les causes de mésententes entre associés d’une même société, dans l’intérêt de la société et donc, par ricochet, dans un intérêt général peut se comprendre, un tel raisonnement trouve rapidement ses limites, puisque, dans tous les cas, il consacrera la loi du plus fort, quelles que soient les situations rencontrées :

  • Dans la mesure où l’exclusion doit être votée par les associés, l’exclusion sera impossible dans tous les cas où les associés se trouvent en situation d’égalité de vote, ou dans l’hypothèse d’une tentative d’exclusion du majoritaire par le minoritaire ;
  • Il s’en déduit donc que l’exclusion sera toujours possible dès lors qu’il se dégagera un groupe majoritaire qui, par ses voix, pourra forcer la sortie d’un associé. Mais en quoi ce droit de sortie amélioré est-il d’intérêt général puisque le groupe majoritaire de par son statut n’est pas paralysé dans l’exercice de son contrôle ou de sa direction, mais simplement pris à partie par un minoritaire et, parfois, pour des raisons parfaitement légitimes. Ainsi, par cette exclusion, l’intérêt de la société n’est pas nécessairement sauvegardé, à la différence de la paix des actionnaires majoritaires qui, pour le coup, se sont débarrassés de l’impétrant.

Pire encore, la SAS étant une société qui donne à ses actionnaire une très grande liberté de rédaction des statuts, il est tout à fait possible de convenir que toutes les décisions, quelle que soit leur importance, seront prises à la majorité simple. Ainsi, un associé qui disposerait de 50 % des actions + une action, pourrait-il mettre en place des modifications statutaires sur la base de la faible majorité qu’il détient, et ainsi voter seul une  clause d’exclusion « taillées sur mesure » pour répondre à son besoin d’exclusion de son co-actionnaire. L’article l.227-16 prévoyant également la possible suspension des droits non pécuniaires (droit de vote de l’associé), on imagine l’avantage stratégique d’introduire une clause d’exclusion sanction dans laquelle l’associé exclu est privé de ses droits politiques, ce qui laisse les mains libres à l’actionnaire majoritaire pendant toute la période (de plus en plus longue) judiciaire qui devra apprécier la validité de l’exclusion, mais également celle des actions. Certes pendant cette période, l’actionnaire exclu pourra bénéficier des distributions de dividendes, mais il y a fort à parier que celles-ci seront absorbées par une augmentation de la rémunération des dirigeants … votée, le cas échéant, en Assemblée.

Nous ne pouvons, par ailleurs, qu’exprimer nos plus expresses réserves, lorsque le Conseil Constitutionnel explique que l’évaluation des droits de l’actionnaire évincé est faite sous la protection du Juge, lequel peut, dans certaines circonstances, recourir à l’évaluation d’un tiers Expert, au sens de l’article 1843-4 du Code Civil. C’est un peu oublier que l’alinéa 2 du texte dispose que « l’Expert, ainsi désigné, est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties ».

Semblables dispositions s’appliquent aux SAS puisque l’article L.227-18 du Code de Commerce dispose que « si les statuts ne précisent pas les modalités de cession des actions, le prix, à défaut d’accord, est fixé dans les conditions posées à l’article 1843-4 précité ». Ainsi, selon le Code de Commerce, la règle est le prix de cession dans les statuts et,  à défaut, la fixation judiciaire.

Notre groupe majoritaire qui veut se séparer d’un ou plusieurs minoritaires, aurait donc la possibilité d’introduire ou de modifier des règles d’exclusion des associés, mais dans la foulée de fixer une méthode d’évaluation des titres des actionnaires évincés qui peut s’écarter de la valeur de marché. Certes, la validité de ces modifications peut être soumise sous le fondement de la fraude à l’arbitrage du Juge Judiciaire. Mais, on imagine clairement la peine de l’associé évincé à convaincre son Juge de l’illicéité de l’introduction ou de la modification de la clause d’exclusion statutaire, puis, n’y parvenant pas, de l’illicéité de la clause d’évaluation de la participation de l’actionnaire évincé.

Ainsi résumé :

  • L’actionnaire majoritaire peut changer les règles du jeu et finalement se séparer d’un actionnaire quand bon lui semble ;
  • Pendant toute la période de contestation de l’exclusion, la règle d’exclusion introduite ou modifiée peut supprimer les droits de vote de l’actionnaire et donc d’une grosse partie de sa visibilité sur l’évolution des comptes de la société, avec cette difficulté que l’on ne sait si le droit à information de l’actionnaire est lié à ses droits de vote ou à la détention de ses actions. Dans la première hypothèse, la privation des droits de vote, le priverait du droit à information ;
  • Enfin, l’actionnaire majoritaire pourrait également procéder à sa propre méthode de la valorisation de la société qui peut être, franchement, décalée du marché.

Toutes ces contestations sont de la compétence du judiciaire nous répond le Conseil Constitutionnel qui ne semble pas correctement maitriser la manière et surtout l’effort qu’il faut commettre pour faire valoir ses droits en France.

En effet, dès qu’il est exclu, l’actionnaire subit la charge du temps et de l’argent : le temps Or  il n’en a pas, puisqu’il vient d’être privé de son droit de propriété et souvent de ses droits de vote, ce qui peut durer plusieurs années avant que le Juge ait la capacité de trancher le débat.

A cela s’ajoute les conseils et techniciens qu’il faudra rémunérer sur ses deniers personnels, voire une expertise judiciaire supportée à ses frais avancés : ne dit-on pas que l’argent est le nerf de la guerre ?

A n’en pas douter, confronté un tel pronostic que devra, dans le cadre de son obligation de conseil lui faire son Conseil, l’actionnaire évincé préférera une négociation quitte à renoncer à la contestation de son exclusion ou même à une valorisation complète de ses actions.

Décidemment non, je ne partage pas l’avis du Conseil Constitutionnel qui n’a d’ailleurs pas, à date, mis en ligne ses commentaires et son dossier documentaire.

J’invite les Confrères à tenter de se réfugier derrière l’article 1er du protocole n°1 de la CEDH.


[1] Réduction du capital de la société à zéro, suivie immédiatement d’une augmentation de capital avec ou sans suppression du droit préférentiel de souscription

[2] Cass. Com. 11 janvier 2017 n° 14-27.052

[3] Cass. Com. 09 juillet 2013 n°12-21.238 et 11-27.235

[4] Loi n°2019-744 du 19 juillet 2019

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