Projet de loi d’habilitation « renforcement du dialogue social » : Sur la nouvelle organisation du dialogue social

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCES :

 

Projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, n° 4, déposé le 29 juin 2017, article 2

 

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, n° 637, déposé le 17 juillet 2017 et renvoyé à la commission des affaires sociales

 

Rapport de Monsieur Alain Milon à la commission des finances du Sénat, n° 663 déposé le 19 juillet 2017

 

Projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, modifié en 1ère lecture par le Sénat le 27 juillet 2017 , TA n° 125

 

L’article 2 du Projet de loi, adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale (avec six amendements) le 17 juillet et par le Sénat le 27 juillet, habilite le Gouvernement à procéder à une refonte du dialogue social en entreprise. Les mesures proposées portent notamment sur le remplacement, par une instance unique, des instances représentatives du personnel (IRP) (I), la revalorisation des fonctions syndicales (II), la gouvernance d’entreprise et la modernisation du droit d’expression des salariés (III)

 

I – L’Instance Unique : la fusion des IRP

 

I – 1. Des IRP aux « comité social et économique » et « conseil d’entreprise »

 

Chantier prioritaire annoncé par Muriel Pénicaud le 6 juin 2017, l’architecture de la représentation du personnel dans l’entreprise devrait être modifiée par le Gouvernement qui souhaite fusionner (article 2 – 1° du projet) les trois institutions représentatives du personnel actuelles :

 

Le délégué du personnel (DP), créé par la loi du 24 juin 1936 pour les entreprises d’au moins salariés, dont les missions sont essentiellement de présenter aux employeurs les réclamations individuelles ou collectives concernant la santé et la sécurité au travail (art L.2113-1 du Code du travail), d’alerter en cas d’atteinte à la santé physique ou mentale du personnel (L.2113-2), de donner son avis sur le reclassement d’un salarié inapte (L.1226-10), et d’exercer les fonctions de CHSCT (L2313-16, L4611-2 ; L4611-3) ou de certaines prérogatives du CE en leur absence ;

 

Le comité d’entreprise (CE), institué par ordonnance du 22 février 1945 pour les entreprises d’au moins 50 salariés, dont les missions consistent notamment à assurer l’expression collective des salariés, à donner son avis sur les conditions d’emploi et de travail (L2323-1) alerter en matière économique et assurer la gestion des activités sociales et culturelles en faveur du personnel ;

 

Le Comité d’Hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), issu de la loi du 23 décembre 1982, pour les entreprises d’au moins 50 salariés, dont les missions consistent notamment à améliorer la prévention et la protection de la santé et des conditions de travail des salariés, ainsi qu’à alerter l’employeur en cas de danger grave et imminent pour la vie ou la santé des salariés.

 

Selon le rapport transmis au Sénat, ces IRP seraient fusionnées au sein d’un « comité social et économique » qui conserverait l’intégralité des compétences de chacun, et serait ainsi doté d’un budget de fonctionnement (dont ne sont actuellement pas pourvus le DP et le CHSCT), de la capacité d’ester en justice (dont ne dispose pas le DP) et de faire appel à des experts, pour des missions qui pourraient dépasser le cadre actuel (amendement VALLAUD). Le comité social économique serait ainsi inspiré du modèle allemand du « conseil d’entreprise ».

 

Certes, l’instance fusionnée existe déjà, les entreprises de moins de 200 salariés pouvant juxtaposer les DP et le CE depuis 1993 par la mise en place d’une Délégation unique du personnel (DUP) qui peut également, depuis 2015, représenter le CHSCT avec un seuil relevé à 300 salariés, et à plus de 300 sur accord collectif. Mais selon le Gouvernement, le processus de fusion n’évolue qu’avec lenteur, de sorte qu’il est nécessaire de passer de la faculté à l’obligation pour permettre aux entreprises de bénéficier d’un outil de simplification et de dynamisation mettant fin au cloisonnement actuel entre les missions des IRP.

 

Au titre de ses missions, le « comité social et économique » pourrait également avoir compétence, dans des « conditions à déterminer », pour négocier avec l’employeur des conventions et accords de groupe, d’entreprise ou d’établissement (article 2 – 2°), apanage actuel du délégué syndical, les IRP se contentant de la négociation d’accords d’intéressement, de participation ou encore des modalités de fonctionnement internes à l’instance.

 

Sur ces « conditions à déterminer », on relève à la lecture du rapport transmis au Sénat, qu’un accord majoritaire d’entreprise ou de branche pourrait transformer le comité social et économique en « conseil d’entreprise » : peut-on voir un lien entre cette transformation et cette possibilité de négociation avec l’employeur, qui aboutirait ainsi à une structure qui regrouperait également la fonction de délégué syndical ? Tant le projet, que le rapport transmis au Sénat sont silencieux sur ce lien, mais les intentions du Gouvernement sont claires : il s’agira à terme de fusionner l’ensemble des institutions représentatives du personnel, en ce compris les délégués syndicaux.

 

Pour assurer ses missions relatives à la santé, l’hygiène et la sécurité, l’instance unique pourrait également créer “une commission spécifique traitant des questions d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail” (Sénat, art 2 – 1°).

 

Enfin, le Gouvernement souhaite associer les représentants du personnel aux décisions de l’employeur dans « certaines matières » (article 2 – 4°), notion dont l’imprécision a conduit le Sénat à adopter à supprimer la disposition.

 

I – 2. Le fonctionnement de l’instance unique

 

I – 21. Le seuil de déclenchement

 

Le projet de loi d’habilitation est silencieux sur la question des seuils d’effectif à partir desquels l’instance unique devra être mise en place. Selon les déclarations du Président de la République, l’instance unique concernerait « toutes les entreprises et tous les groupes, sans limitation de plafond »[1]. Nous pouvons raisonnablement estimer, a minima, que le « comité social et économique » sera institué dès le dépassement d’un seuil de 10 salariés, que le nombre de ses membres évoluera en fonction des effectifs de l’entreprise, à l’instar de la délégation unique du personnel actuel, et que le médecin du travail ou l’inspecteur du travail seront toujours membres de droit.

 

Il en résulterait une diminution du nombre de représentants du personnel (jusqu’à 50% dans les entreprises de plus de 500 salariés) et du nombre d’heures de délégation, ce qui inquiète d’ailleurs les organisations syndicales. 

 

I – 22. Le nombre de mandats

 

Innovation par rapport au fonctionnement actuel des IRP, de manière à pallier la crise des vocations des plus jeunes salariés au profit des « anciens » , le Gouvernement envisage de limiter le nombre de mandats des membres du « comité social et économique » (article 2 – 1°). Aucune donnée n’est cependant communiquée par le Gouvernement sur ses intentions, conduisant la commission des finances du Sénat à combler cette lacune, en proposant de fixer la limite à trois mandats (amendement COM 5), sauf exceptions (projet adopté par le Sénat le 27 juillet)

 

On peut toutefois se demander, selon le rapporteur du Sénat, si la concertation en cours avec les organisations syndicales ne conduira pas à l’abandon pur et simple de cette réforme ou tout du moins à sa neutralisation en raison des difficultés qu’une telle mesure pourrait susciter pour les 643 000 mandats concernés.

 

I – 23. Les moyens

 

L’ordonnance du Gouvernement devra définir les moyens dont disposera le « comité social et économique » pour assurer ses missions. Au-delà du budget de fonctionnement, qui devra être défini, se pose la question de la formation de ses membres, les syndicats s’inquiétant d’une baisse des compétences des membres de l’institution unique. A cet égard, le Président de la République s’est engagé à instaurer une formation accrue des élus, afin d’accompagner leur monté en puissance et pallier la difficulté d’être au fait de tous les sujets sociaux[2].

 

Les débats sont toutefois taisant sur les moyens dont disposera l’institution unique.

 

II – La revalorisation des fonctions syndicales

 

Selon le Gouvernement, le renforcement du dialogue social doit passer par un renforcement de l’attractivité des fonctions syndicales.

 

Pour susciter les vocations, le Gouvernement prévoit (article 2 – 5°):

 

De fournir un cadre légal au « chèque syndical », utilisé par certains groupes depuis 1990. L’étude d’impact ne consacre cependant que quelques lignes à cette réforme qui reste très floue, de sorte qu’aucun montant potentiel ni critère d’éligibilité n’est connu. Selon le Gouvernement, ce chèque, qui est un bon financé en tout ou partie par l’employeur que le salarié est libre d’adresser (ou pas) à l’organisation syndicale de son choix, est un outil susceptible d’inciter les salariés à se syndiquer.

 

Le renforcement de la formation des représentants des salariés. Selon l’étude d’impact, il s’agirait d’une extension du dispositif existant. Plusieurs pistes sont étudiées : 

 

abondement exceptionnel du compte personnel de formation ;

 

accès facilité au congé individuel de formation ;

 

majoration des droits acquis dans le compte personnel d’activité

 

Le Gouvernement est cependant muet sur le financement de la mesure

 

Une évolution des conditions d’exercice de responsabilités syndicales ou d’un mandat de représentation. Aucune information n’a toutefois été fournie par le Gouvernement sur ce point.

 

Une valorisation des compétences du délégué syndical. Il s’agira sans doute, le Gouvernement étant également silencieux sur ce point, de compléter le dispositif mis en place par la loi Rebsamen de 2015, qui a mis en place

 

un entretien individuel professionnel du délégué avec l’employeur ;

 

un dispositif national de certification des compétences ;

 

une garantie d’évolution salariale calquée sur les congés maternité.

 

De renforcer la lutte contre les discriminations syndicales

 

Le Gouvernement est de nouveau silencieux sur ce point, déjà traité par la Loi Rebsamen qui avait cherché à garantir une évolution de la rémunération des délégués syndicaux égale aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelle, constatant que leur salaires sont généralement 10% inférieurs à ceux de leurs collègues.

 

L’habilitation pourrait par exemple porter sur l’ajout à la négociation obligatoire sur les conditions de travail et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au niveau des branches professionnelles, d’un thème de négociation sur les parcours syndicaux à l’instar de l’obligation instaurée au niveau de l’entreprise (Etude d’impact p34)

 

III – Participation des salariés à la gouvernance de l’entreprise et modernisation du droit d’expression

 

III – 1. La participation à la gouvernance d’entreprise (article 2 – 4°)

 

Depuis la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi les salariés sont représentés, avec voix délibérative, au sein de l’organe de gouvernance des grandes entreprises (conseil d’administration ou de surveillance).

 

Le projet de loi d’habilitation vise à renforcer la présence salariale et donc la transparence et la confiance ainsi que la possibilité de mieux prendre en compte le point de vue du personnel dans les processus de décision stratégiques de l’entreprise, en permettant aux salariés ou leur représentants de participer à sa gouvernance.

 

Il ne s’agirait cependant pas de mettre en place un système de cogestion à l’allemande, mais sans doute d’élargir le champ de l’avis conforme des représentants des salariés institué par la loi de 2013, en cours d’entrée en vigueur pour certaines de ses dispositions. Faute de recule sur cette réforme, la commission du Sénat a supprimé ce projet d’habilitation.

 

III – 2. L’évolution technologique des modes d’expression des salariés (article 2 – 8°)

 

Le code du travail reconnaît aujourd’hui aux salariés un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail, dans le but d’améliorer notamment leurs conditions de travail et l’organisation de l’activité. Ils ne peuvent être sanctionnés ou licenciés pour les opinions émises dans ce cadre, considéré et rémunéré comme du temps de travail.

 

Les textes, qui datent des années 80, doivent cependant être modernisés afin de favoriser l’effectivité de son exercice, notamment par le développement du recours aux outils numériques. Selon l’étude d’impact, il s’agirait de réécrire les articles L2281-1 s du Code du travail, mais également de renforcer la formation des cadres sur les risques psychosociaux, d’inciter au dialogue grâce à des méthodes comme la médiation préventive ou l’écoute active.

 

Habilitation à suivre, que ne manquera de commenter Vivaldi-chronos.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1] Article L’entreprise.lexpress.fr du 9 juin 2017, « Macron veut la fusion des représentant du personnel : dangereux ?

[2] Extrait L’entreprise.lexpress.fr précité.

 

 

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