Prélèvements sociaux sur les revenus et gains immobiliers des non-résidents

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

SOURCE :

CJUE, affaire C‑623/13, Mr DE RUYTER

conclusions de l’avocat général du 21 octobre 2014

Demande de décision préjudicielle présentée par le Conseil d’État (France) le 28 novembre 2013

I – Depuis la LFR II 2012 les non résidents doivent s’acquitter des prélèvements sociaux sur les revenus et plus values d’immeubles situés en France

L’article 29 de la loi de finances rectificative pour 2012 a soumis aux prélèvements sociaux les revenus immobiliers (revenus fonciers et plus-values immobilières) de source française perçus par les personnes physiques fiscalement domiciliées hors de France.

Le taux global de ces prélèvements est 15,5 % ce décomposant comme suit :

Taux de cotisations sociales
  sur lesrevenus du Patrimoine ou de Placement
  (en vigueur à compter du 1er juillet 2013)

contribution   sociale généralisée (CSG)

8,20 %

contribution pour   le remboursement de la dette sociale (CRDS)

0,50 %

prélèvement   social

4,50 %

contribution additionnelle   au prélèvement social (contribution solidarité-autonomie),

2,00 %

contribution   additionnelle au prélèvement social au taux de 1,1 % (contribution au   financement du revenu de solidarité active),

0,30 %

Total

15,50 %

Les services de la Commission européenne ont ouvert une procédure d’infraction contre la France sur la conformité au droit européen de l’extension de la CSG et de la CRDS aux revenus immobiliers perçus par les non-résidents[3] Cette procédure a été suspendue en attendant le jugement de la Cour de justice qui avait entre temps été saisie par le Conseil d’Etat français d’une question préjudicielle sur le même sujet.

En effet le Conseil d’État a saisi, le 29 novembre 2013 la CJUE (recours 623/13) en exécution de son arrêt en date du 17 juillet 2013[4] de la question préjudicielle suivante :

” Des prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine (…), présentent-ils, du seul fait qu’ils participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 du règlement du 14 juin 1971 (…)et entrent-ils ainsi dans le champ de ce règlement ‘ “.

Etant ajouté que le dit règlement consacre par l’article 13, § 1, l’interdiction du cumul des législations applicables en matière de sécurité sociale, incompatible avec la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement garanties par le traité. ( un résident de l’UE ne peut donc être soumis à des cotisations sociales dans plusieurs États-membres)[5].

L’avocat général Mme E. Sharpston a conclu que les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine perçus par la France relevaient du champ d’application du règlement européen n°1408/71 ce qui induit nécessairement que les résidents étrangers qui payent dans leur pays de résidence des cotisation sociales ne sont pas tenue d’en régler sur les revenues et plus values immobilières (notamment) en France .

II – La position de l’Avocat Général de la CJUE

Selon Mme E. Sharpston:

« les contributions prélevées sur les revenus du patrimoine(…), présentent un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois françaises qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 du règlement (CEE) n° 1408/71 (…) dans sa rédaction modifiée. Elles relèvent ainsi du champ d’application matériel de ce règlement ».

Pour parvenir à cette conclusion, l’avocat général répond positivement à la question suivante :

les contributions perçues sur des revenus qui ne sont pas liés à une activité professionnelle antérieure ou actuelle ont-elles un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois qui régissent la sécurité sociale et peuvent elles par conséquent, entrer dans le au champ d’application du règlement n° 1408/71. ?

Il estime notamment que :

S’il est exact que le règlement n° 1408/71 vise à assurer la libre circulation des travailleurs salariés et non salariés dans l’Union européenne, l’exercice (actuel ou antérieur) d’une activité professionnelle est sans importance pour ce qui est de savoir si une personne relève de ce règlement.

Ces prélèvements, quelle que soit la définition qu’a bien voulu en donner le Conseil Constitutionnel[6] français (NDLR : il s’agirait d’impôts)[7] ne peuvent au sens du droit européen être assimilable a des impôts ou des taxes

Ces prélèvements qui sont spécifiquement affectés au financement de la sécurité sociale doivent être considérés comme relevant de la législation d’un État membre en matière de sécurité sociale et, partant, comme tombant sous le coup de l’interdiction du cumul des législations applicables qui est édictée par le règlement n° 1408/71.

III – Quelles leçons doit on tirer de la position de l’avocat général

La position de l’avocat général est conforme à toute les décisions rendues dans le passé par la CJUE .A cet égard le gouvernement français ne se fait aucune illusion sur la décision à intervenir La CJUE devrait rendre une décision conforme au rapport de l’Avocat Général

Alors quels enseignements peut-on tirer de la décision « espérée » :

tout d’abord il faut immédiatement lancer des actions en remboursement des prélèvements sociaux avant l’expiration du délai de prescription[8].

–  ensuite il faut s’interroger sur l’introduction d’une action similaire en remboursement des prélèvements sociaux perçus sur les revenus et plus values sur valeur mobilières

Il faut ici préciser que la Commission européenne a lancé une procédure au regard de la légalité des prélèvements sociaux sur les revenus de placement[9] et de plus values mobilières au regard du règlement précité Le raisonnement développé est le même que celui utilisé à propos des revenus et plus values immobilières et consacré par l’Avocat Général.

Les mêmes cause produisant les même effets …le compte à rebours est lancé

Eric DELFLY

Vivaldi-Avocats


[1] Cour de Justice de l’Union Européenne

[2] Règlement (CEE) n°1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté

[3] Procédure EU Pilot 2013/4168

[4] Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 17/07/2013, 334551, Inédit au recueil Lebon

[5] Le règlement n° 1408/71 met en place un système de coordination portant, notamment, sur la détermination de la ou des législations applicables aux travailleurs salariés et non salariés qui font usage, dans différentes circonstances, de leur droit à la libre circulation et être interprété à la lumière de l’objectif poursuivi par l’article du traité sur lequel il est fondé (l’article 48 TFUE), qui est de contribuer à l’établissement d’une liberté de circulation des travailleurs migrants aussi complète que possible Il ressort des cinquième, sixième et dixième considérants ainsi que de l’article 3 de ce règlement qu’il vise, à cette fin, à garantir au mieux l’égalité de traitement de toutes les personnes qui mènent une activité économique sur le territoire d’un État membre et à ne pas pénaliser les travailleurs qui exercent leur droit à la libre circulation.

[6] Décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990 du Conseil Constitutionnel

« : 23. Considérant que pour les auteurs de la première saisine, dans la mesure où la contribution sociale généralisée constitue un “prélèvement social”, pourraient seules y être assujetties les personnes susceptibles de bénéficier des prestations pour lesquelles elles cotisent ;

24. Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus les contributions instituées par les articles 127, 132 et 133 de la loi constituent des impositions et non des cotisations de sécurité sociale ; que, dès lors, le moyen invoqué est inopérant ; »

[7] On peut ajouter que cette analyse a été un temps partagée par le Conseil d’Etat et la cour de Cassation avant que leurs décisions soient plus nuancées après la position adoptée par la CJCE

[8] Le délai pour demander le remboursement de cotisations versées à tort est de 3 ans (date à date) à partir de la date de paiement des cotisations et contributions indûment payées. Par exemple, le cotisant doit demander avant février 2015 le remboursement de cotisations et contributions indûment versées en février 2012.

[9] Procédure EU Pilot numéro 5973/13.

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