Périmètre du droit et audit des coûts

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

SOURCE : CA PARIS, Pôle 2 Ch. 1, Ch. 1, 18 septembre 2013, RG n° 2010/25413

         

I – LA NATURE A HORREUR DU VIDE

 

Venu d’Outre Atlantique, d’où son nom, cette profession présente à la signature des entreprises françaises une convention pudiquement appelée « audit des coûts », dont l’objet est d’identifier dans la comptabilité des pistes de gains potentiels, soit par la réduction des charges sociales ou fiscales jusqu’alors payées, soit par l’identification de niches fiscales ou sociales, comme par exemple le Crédit Impôt Recherche (C.I.R.).

 

La rémunération de cette « chasse au gaspillage » est très attractive pour le client. En effet, lorsqu’elle n’est pas exclusivement indexée sur l’économie réalisée ou le crédit d’impôt obtenu (« success fee »), sa partie fixe est souvent très modeste. Nous sommes dans le « gagnant/gagnant » (je vous fais faire des économies, vous me concédez une partie des gains).

 

Il faut admettre que ce type de prestation a reçu un écho favorable en France, comme dans beaucoup de pays où elle est proposée. La raison en est simple : ces professionnels présentent un panel de services que d’autres professions (notamment les experts-comptables et les avocats) négligent parfois d’offrir à leur clientèle.

 

Ne tombons toutefois pas dans l’angélisme. Les avocats sont également appelés à la rescousse au titre des contentieux fiscaux et sociaux générés par certaines prises de position imprudentes. Toute la difficulté est que ces sociétés ne sont pas assurées en responsabilité civile professionnelle, de sorte que le dépôt de l’état de cessation des paiements et parfois la réponse apportée à la demande (en cascade) de remboursement des honoraires indûment perçus ou des pénalités de mauvaise foi réclamées par l’Administration fiscale.

 

L’une des solutions à cette difficulté aurait été de réglementer la profession en exigeant sous peine de sanction pénale, la souscription d’une police d’assurance responsabilité civile (RC), dont la référence devrait obligatoirement figurer sur le papier à entête de l’entreprise[1]. Tel ne semble pas être le destin de ces « cabinets d’audit » dont l’activité empiète sur le territoire de certaines professions réglementées, comme les experts-comptables, mais également les avocats.

 

La question posée à la Cour d’Appel de PARIS, saisie à l’initiative notamment du Conseil National des Barreaux portait sur la légalité de telles conventions.

Dans sa décision commentée, la juridiction du Second Degré y répond par la négative.

 

            II – MAIS LE VIDE ETAIT RESERVE

 

Le point de friction tient à l’interprétation trop extensive faite par ces sociétés d’audit de la loi qui réglemente la profession d’avocat[2] laquelle définit ce que l’on nomme communément « le périmètre du droit » ;

 

Il ressort des dispositions combinées des articles 54 et 60 de la loi précitée ouvrent la possibilité aux professions non réglementées de donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale, et de rédiger des actes sous seing privé qui en constituent l’accessoire direct et nécessaire, s’ils disposent pour ce faire, notamment d’un agrément pris par un arrêté ministériel.

 

C’est sous le bénéfice de ce texte que les sociétés d’audit soutenaient procéder à la vérification d’une situation juridique à tire d’accessoire à leur activité principale qui était la recherche de pistes de gains financiers.

 

L’affrontement entre les deux professions n’est pas nouveau. La Cour de Cassation a déjà bien balisé le terrain[3].

 

Sans entrer dans un débat par trop technique pour une newsletter, il suffira de préciser que la Cour de Cassation avait refusé :

 

de procéder à la distinction entre la vérification d’une situation juridique et une consultation juridique ;

 

d’admettre que la prestation juridique était l’accessoire à leur activité principale, et qu’au contraire, elle constituait leur activité principale, et ce, malgré l’existence d’un agrément ministériel.

 

Dans sa décision commentée, la Cour d’Appel de PARIS statuait sur appel d’un jugement rendu par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES le 19 septembre 2007 après cassation d’un arrêt de la 1ère Chambre civile du 15 novembre 2010[4] d’un arrêt précédemment rendu le 5 mars 2009 par la Cour d’Appel de VERSAILLES (sur appel du jugement).

 

Cette décision était d’autant plus attendue que le « cost-killer » sur la sellette était la société ALMA CONSULTING, laquelle à la différence de beaucoup de ses confrères, disposait d’un agrément OPQCM pour son activité notamment dans les domaines « finance-audit», conseils et gestion des risques financiers et d’assurance », qui lui permettait de se prévaloir de l’exception des articles 54 et 60 de la loi susvisée, et ainsi procéder à des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé en accessoire direct de sa profession principale.


Pourtant, la Cour ne retient pas le moyen au motif essentiel que la vérification du bien-fondé d’une consultation repose toujours sur l’appréciation de la bonne application du droit :

 

« En effet, l’appréciation de l’imputation des coûts juridiquement non fondés nécessite la recherche et donc la connaissance, ainsi que l’analyse des textes juridiques applicables.

 

Elle suppose comme le rappelle le CNB, de déterminer le régime juridique qui reçoit application, d’interpréter les normes juridiques applicables, notamment celles relatives aux méthodes de calcul des taux de cotisation AM/PM pour les caisses d’assurance retraite au regard du régime juridique auquel est soumise l’entreprise, et donc d’apprécier si les décisions prises par celles-ci en raison des erreurs de droit ou de fait commises sont entachées ou pas d’illégalité et nécessitent la mise en œuvre des voies de recours. 

 

Ces prestations qui sont personnalisées, bien qu’intervenant en amont des services d’un avocat, ne se bornent donc pas à la diffusion d’une simple information de type documentaire, mais tendent à analyser une situation juridique, et en résoudre les difficultés, quel qu’en soit leur niveau de complexité et à concourir directement à la prise de position du client.

 

Ainsi l’activité principale que la société ALMA CONSULTINGGROUP présente comme un audit d’ordre technique s’avère en réalité de nature juridique ce que celle-ci n’est pas habilitée à exécuter au regard des dispositions des articles 50 et 60 de la loi du 31 décembre 1971 précitée. »

 

En résumé, selon la Cour, l’audit des coûts est une prestation à caractère principalement juridique.

 

De la qualification, découle nécessairement la sanction. Toute convention qui viole la règle dite du périmètre du droit, est nulle. Il s’agit d’une nullité d’ordre public, ce qu’avait précédemment reconnu la Cour de Cassation dans son arrêt du 12 février 2013 précité, ayant approuvé la Cour d’Appel de LYON d’avoir prononcé la nullité d’un contrat d’audit des postes de charges en vue d’en réduire l’importance.

 

Cette nullité repose sur la lecture des articles 1131 du Code Civil qui dispose que l’obligation sans cause (…) ou sur une cause licite, ne peut avoir aucun effet.

 

            III – QUE FAIRE AVEC VOS CONVENTIONS DE « COST-KILLER » ?

 

Quatre solutions pour deux hypothèses :

 

1ère hypothèse : la mission du cabinet s’est achevée avec succès

 

       Vous estimez que vos prestataires ont correctement travaillé et que toute peine mérite salaire : vous ne faites rien ;

 

      Vous pensez au contraire que l’argent donné est mieux dans votre poche que dans celle de votre ancien partenaire : vous pouvez saisir le Tribunal de Commerce territorialement compétent au visa des textes précités, et dans la limite de 5 ans après l’édition de la dernière facture, d’une demande en annulation de la convention.
 

2nde hypothèse : l’audit est en cours ou s’est mal exécuté

 

     Vous cessez du jour au lendemain toute relation sans rien payer, ou pire encore, vous attendez la fin de la mission pour expliquer que vous ne paierez rien ;

 

     Vous engagez la responsabilité de la société afin d’obtenir le remboursement des honoraires versés et la réparation de votre préjudice. Vous associez les dirigeants de la société à la procédure au motif que ceux-ci, en faisant signer une convention manifestement contraire à l’ordre public, ont engagé leur responsabilité personnelle sur le fondement de la faute détachable de leur fonction.

 

Il vous reste à déterminer, ce qui peut réellement être remboursé. En effet, une convention nulle ne crée pas nécessairement un vide, dans la mesure où le droit, comme la nature, a horreur du vide. Ce sont donc vraisemblablement les mécanismes dits de l’enrichissement sans cause, qui serviront de fondement à la demande de remboursement. Ainsi, l’indemnité due ne pourra qu’être égale à la moins élevée des deux sommes représentant l’une l’enrichissement, l’autre l’appauvrissement[5].

 

Il devrait donc être restitué au client le prix de la prestation (appauvrissement du client) dont le montant est à l’évidence inférieur à l’enrichissement (l’économie réalisée).

 

Toute la difficulté pour ces sociétés de « cost-killer » est que la partie variable de la rémunération, lorsqu’elle fonctionne, est extrêmement élevée, de sorte que l’on peut clairement se demander s’il existe encore un avenir pour ce type d’organisation.

 

Eric DELFLY

VIVALDI-Avocats



[1] Ce n’est d’ailleurs pas complètement la panacée, puisque faute de précision sur le périmètre de la garantie, certaines assurances responsabilités souscrites par des courtiers en financement en assurance ou des conseils en gestion de patrimoine s’avèrent être très nettement insuffisantes, voire inapplicables, lorsque le client tente de la mettre en œuvre.

[2] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971

[3] Voir notamment Cas. com. 12 février 2013, n° 12-12.087 publié au Bulletin

[4] N° 996 FS

[5] Cass. 1ère civ. 19 janvier 1953, Dalloz 1953, 234 ou Cass. 3ème civ 18 mai 1992, Bul. civ. 1982, III,
n° 122

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