PRET IMMOBILIER : DECHEANCE DU TERME SANS MISE EN DEMEURE PREALABLE.EST CE POSSIBLE ?

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

La CJUE vient de trancher : sont potentiellement abusives les clauses autorisant l’établissement financier à se prévaloir d’une déchéance du terme d’un prêt immobilier, sans mise en demeure préalable.

Source : CJUE 08 décembre 2022 – Affaire 600/21 QE/CRCAM DE LOIRE ATLANTIQUE ET DU CENTRE OUEST

I –

La CJUE était saisie par la Cour de Cassation[1] d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 4 de la directive consommateur[2] concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (ci-après : « la Directive »).

Selon la Directive, une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle (contrat d’adhésion) est considérée comme abusive lorsqu’en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

Et s’il ne fait désormais aucun doute que les conditions générales d’un prêt immobilier constituent un contrat d’adhésion[3]. Il faut alors s’interroger sur la licéité de certaines clauses comme la déchéance du terme d’un prêt immobilier sans vaine mise en demeure préalable du débiteur de combler son retard de plus de trente jours dans le paiement d’un terme.

La question n’est pas anodine, puisque si le droit français conditionne la déchéance du terme consenti par un emprunteur à la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet, il s’agit de dispositions supplétives auxquelles la Cour de Cassation, par une Jurisprudence désormais bien assise, permet de déroger par des stipulations expresses et non équivoques du contrat[4]. La Haute Juridiction vérifie simplement que le consommateur est informé des conséquences de la méconnaissance de ses obligations, au moment où il signe le contrat et pas nécessairement à la date où se matérialise le retard dans le paiement d’un terme.

La question qui était posée à la Juridiction était de savoir si une clause expresse et non équivoque pouvait (ce qui était actuellement le cas en droit national) échapper au contrôle de son caractère abusif.

II –

Pour la Cour Européenne, le caractère express et non équivoque d’une telle stipulation ne lui permet pas d’échapper au contrôle des clauses abusives en ce qu’elles ne constituent pas l’objet principal de la convention[5]. Le caractère abusif d’une clause est normé tant sur le plan européen que sur le plan national. Ainsi, dans les rapports entre un professionnel et un consommateur :

  • L’article 3 de la Directive qualifie d’abusif toute clause accessoire à un contrat qui crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;
  • Alors qu’en droit national, ce texte est repris dans des formes à peu près similaires à l’article L.212, alinéa 1 du Code de la Consommation.

Pour la Cour Européenne les articles 3 et 4 de la Directive « s’opposent à ce que les parties à un contrat de prêt y insèrent une clause qui prévoit, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat peut être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d’une échéance dépassant un certain délai, dans la mesure où cette clause n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle et crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat ».

Le point 51 de l’Arrêt commenté mérite toutefois d’être nuancé. En effet, si la Cour Européenne juge qu’une clause expresse et non équivoque n’échappe pas au contrôle de son caractère abusif par les Juridictions Nationales, la clause de déchéance du terme, sans mise en demeure préalable, n’est pas nécessairement abusive, les Juridictions Nationales devant examiner « l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, y compris si cette faculté déroge aux règles du droit commun applicables en la matière en l’absence de disposition contractuelles spécifiques. C’est à travers une telle analyse comparative que le Juge National pourra évaluer, si et, le cas échéant, dans quelle mesure le contrat place le consommateur dans une situation juridique moins favorable par rapport à celle prévue par le droit national en vigueur »[6]

III –

Il faut,  tout d’abord, se garder d’extrapoler la solution donnée par la Cour Européenne à l’ensemble des contrats de prêt et la cantonner aux contrats entre un professionnel et un consommateur, puisque pour apprécier le caractère déséquilibré d’une stipulation contractuelle, la Cour Européenne renvoie à la lecture du droit national.

Or, l’article 1344 du Code Civil issu de l’Ordonnance du 10 février 2016 dispose qu’un débiteur « est mis en demeure de payer, soit par une sommation ou par un acte portant interpellation suffisante, soit si le contrat le prévoie par la seule exigibilité de l’obligation ».

Ainsi, en dehors du champ d’application du droit de la consommation, il est peu probable que face à une clause expresse et non équivoque, la Cour de Cassation revienne sur sa Jurisprudence, puisque les dispositions du droit national précitées l’autorisent.

Semblables dispositions ne figurent pas dans le Code de la Consommation puisque l’article L.312-39 dudit Code, précise qu’en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus, mais non payés, sans préciser les modalités dans lesquelles cette déchéance du terme peut être prononcée.

C’est donc au Juge National qu’il appartient d’apprécier l’équilibre de la relation contractuelle dans son ensemble pour déterminer le délai raisonnable du retard dans le paiement d’un ou plusieurs termes. Au cas particulier, si le préavis de trente jours, au-delà duquel la déchéance du terme est encourue de plein droit, sans mise en demeure, est un délai raisonnable, en bref, une zone d’incertitude d’autant plus importante que les Juridictions Nationales devront également rechercher si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte une telle clause à la suite d’une négociation individuelle.

Ainsi résumé, une telle clause doit être examinée au regard de son éventuelle caractère abusif par les Juridictions Nationales, lesquelles restent souveraines dans l’appréciation d’un déséquilibre avec tous les aléas que cela entraine pour le dispensateur de crédit, dès lors qu’une même clause peut être, selon les Juridictions Nationales saisies, jugée abusive ou pas.

La prudence rédactionnelle commande, dans ces conditions, de conditionner la déchéance du terme à une mise en demeure préalable, ce qui, à notre avis, ne pourra que renforcer sa légitimité.


[1] Cass. 1ère Civ. 16 juin 2021 n°20-12.154

[2] Direction 93/13/CEE du Conseil du 05 avril 1993

[3] Aux termes de l’article 1110, alinéa 2 du Code Civil : le contrat d’adhésion est celui « dont les conditions générales soustraites à la négociation sont déterminées à l’avance par l’une des parties ».

[4] Voir en ce sens Cass. 1ère Civ. 03 février 2004 n° 01-02.020 publié au bulletin ou Cass. 1ère Civ. 03 juin 2015 n° 14-15.655 publié au bulletin ou encore Cass. 1ère Civ. 22 juin 2017 n°16-18.418 publié au bulletin

[5] Dans une telle hyptohèse, si elles sont claires et compréhensibles les clauses principales (article 4 de la Directive) échappent à ce contrôle

[6] Il s’agit, en fait, d’une application d’un Arrêt antérieur de la Cour Européenne : 26 janvier 2017 BANCO PRIMUS C-421/14, EU/C/2017/60, point 59

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