SOURCES :
– Cass. Com., 24 juin 2014, n°13-17772 (absence de coupure)
– Cass. Com., 13 mai 2014, n°09-13805, FS-P+B (ordre exécuté sans couverture)
Le Prestataire de service d’investissement (PSI) est un acteur économique partagé entre son client et le marché. Il est ainsi débiteur vis-à-vis de son client de diverses obligations (best execution / information / mise en garde) et pour le marché, d’une obligation de livraison (titres) ou de règlement (cash).
Corrélativement, le PSI est responsable des manquements commis au préjudice de son client dans le cadre du contrat qui le lie. Il peut également répondre de ses manquements aux obligations réglementaires devant l’ACPR ou l’AMF.
Traditionnellement la jurisprudence considérait que les obligations du PSI reposant sur des impératifs de protection différents ; c’est-à-dire assurer la sécurité économique et la confiance du marché pour les obligations réglementaires et le respect des dispositions du contrat dans les rapports avec ce client, les fautes réglementaires n’impactaient pas les rapports entre le PSI et son client. Mais c’était avant… Par ses dernières jurisprudences, la Cour de cassation crée de toute pièce une obligation prétorienne qui permet désormais au client de faire reconnaître automatiquement la responsabilité du PSI à chaque fois qu’il sera établi une faute réglementaire en lien de causalité avec le préjudice dont il demandera la réparation.
I – 1890 – 2008. : Le PSI ne répond de ses manquements à la règlementation boursière qu’auprès de ses autorités de tutelle.
I – 1.
Les développements qui vont suivre sont tirés de l’évolution de la jurisprudence en ce qui concerne l’obligation de couverture sur les Ordres de Service à Règlements livraisons Différés (OSRD), mais l’évolution de la jurisprudence peut être transposable à tous (presque) manquements réglementaires.
L’OSRD est un ordre de bourse particulier qui permet à un investisseur d’acheter « ici » avec effet de levier un titre de capital inscrit sur une liste publiée par l’entreprise de marché (NYSE EURONEXT) pour en recevoir la livraison et procéder à son règlement « là-bas ».
A la différence d’un ordre au comptant, l’investisseur peut passer un OSRD pour un montant équivalent à :
– 5 fois sa couverture (disponibilité) si celle-ci est constituée d’espèces ;
– 2,5 fois sa couverture si celle-ci est constituée de titres (à l’exception des titres sur lesquels portent l’OSRD).
Il s’agit en quelque sorte d’un achat à crédit dans lequel le paiement (de la totalité de l’investissement) et la livraison (des titres) est différée.
– La date de liquidation intervient 5 jours de bourse avant la fin du mois, date à laquelle il est possible de reporter sa position ou d’en demander la livraison à la date de règlement/livraison ;
– le règlement/livraison intervient le dernier jour de bourse du mois ;
Exemple[1] :
Exemple chiffré pour un achat au SRD avec réalisation de gain :
Solde espèces sur le compte-titres ORD = 5.000
Vous souhaitez acheter des titres à 25 dans l’objectif de les revendre avec un gain de 10% à 27.5.
b) Exemple chiffré pour une vente à découvert au SRD avec réalisation de gain : Solde espèces sur le compte-titres ORD = 5.000.
Vous souhaitez vendre des titres à 25 dans l’objectif de les racheter avant la fin du mois avec un gain de 10% à 22.5.
c) Exemple chiffré pour un achat au SRD avec réalisation de perte :
Solde espèces sur le compte-titres ORD = 5.000
Vous achetez des titres à 25 et les revendez à 22.5 avec une perte de 10%.
I – 2.
Pour les spécialistes, il faut préciser que dans ses rapports avec le marché, le PSI passe un ordre comptant (paiement à la PONA) de sorte que le règlement / livraison différé ne concerne que le PSI et le client.
En l’absence de qualification de l’OSRD, on peut utilement préciser que ce type d’ordre constitue une promesse synallagmatique de vente et d’achat entre le client et le PSI dont le dénouement intervient au terme du mois boursier :
– Le PSI s’engage irrévocablement à livrer des titres, en quantité et pour un prix déterminés, à son client au terme du mois boursier. Le PSI est donc propriétaire temporairement des titres entre la date de livraison par le marché et la date de livraison au client. Il peut pendant cette période, à sa guise, les prêter, les louer, les placer sur le marché centralisé du pré-emprunt, etc ;
– Le client s’engage irrévocablement à payer les titres au terme du mois boursier. En contre partie du paiement, il est livré des titres ;
La difficulté nait en règle générale lors du règlement des titres par le client au terme du mois boursier. En effet, si grâce à l’effet de levier le client peut investir pour des montants bien supérieurs à ceux dont il dispose en portefeuille, celui-ci doit disposer de la totalité des sommes nécessaires à couvrir son investissement à la date de livraison. Un OSRD est donc un pari sur l’avenir :
– Lorsqu’il s’agit d’un ordre à l’achat, l’investisseur parie sur une augmentation du titre, de sorte qu’en revendant ses titres, avant la fin du mois bousier il espère dégager le cash nécessaire à payer sa dette auprès du PSI et à réaliser des bénéfices ;
– Lorsque qu’il s’agit d’une vente à découvert, l’investisseur parie sur la chute du titre, de sorte que celui-ci espère l’acheter pour un montant inférieur au prix qu’il s’est engagé à le vendre lors de la livraison à la fin du mois boursier.
L’effet de levier pouvant être, selon la formule consacrée, égal à 5 fois le cash ou à 2,5 fois les titres en portefeuille, la chute de plus de 20% du titre acquis en OSRD, avant le règlement, va obliger l’investisseur à réinjecter du cash en portefeuille pour pouvoir honorer sa dette vis-à-vis du PSI. Et il faut admettre que depuis la crise de 2000, l’hyper-volatilité du marché a conduit un certain nombre d’investisseurs à devoir couvrir leurs pertes.
Ces pertes qui portent parfois sur des montants très importants, ont été constatés avec l’explosion de la bulle internet. Avant cette période, les règles de couverture, qui pour la première fois ont été édictées par l’article 61 du décret du 7 octobre 1890, étaient suffisantes pour couvrir le risque de perte de l’investisseur au cours du mois boursier. Mais là-encore, c’était avant.
En effet, à l’usage on constatait que le décrochage d’un titre de plus de 20% entrainait généralement la suspension de sa cotation à raison d’un déséquilibre de marché. L’investisseur bénéficiait alors d’une sorte de « stop loss ». Cependant le 17 Septembre 1998, l’action ALCATEL va décrocher de près de 20% sur la matinée, après l’annonce de résultats moins bons que prévus. La bourse de Paris tente bien d’endiguer la chute en interrompant la cotation du cours, ce qui aura pour effet d’accélérer la chute de l’action sur le NASDAQ ou elle était également cotée. Pour éviter une panique et un effondrement total du titre, l’entreprise de marché décide de reprendre la cotation. La perte, en fin de journée, est alors de 37,8%.
En 2000, ALCATEL refaisait ses pertes boursières et affichait un cours historique. Cependant le mal était fait.
En effet, au cours de cette journée du 17 septembre 1998, les investisseurs au règlement mensuel (ancêtre du SRD) sur le titre ALCATEL, avaient perdu plus que leur couverture sur une journée de bourse. Par la suite les entreprises de marché limiteront les cas de suspension de cotation, de sorte qu’aujourd’hui il n’est plus rare de constater qu’un titre a dévissé de plus de 20% sur un mois boursier.
La conséquence est que ce type d’ordre est réservé aux investisseurs avertis, puisque la perte en capital peut être très importante.
C’est vraisemblablement à la faveur de ce constat que la Cour de cassation a décidé de procéder au revirement de sa jurisprudence.
I – 3.
L’obligation de couverture sur les achats à terme puis sur les OSRD a toujours été depuis 1890 posée de la même manière[2]. Seule sa codification a changé. Ainsi, de tous temps, le prestataire :
– Ne peut accepter un ordre sans disposer de la couverture nécessaire ;
– Et quand cette couverture se dégrade avant la livraison, il doit inviter son client à reconstituer sa couverture (réinjecter du cash ou des titres en portefeuille). A défaut de reconstitution de la couverture dans les 24h de bourse, la position doit être allégée puis coupée.
Le décret de 1890 précisait que le donneur d’ordre ne pouvait se prévaloir de l’inobservation des règles de couverture. Le texte a été abrogé par la loi du 22 juillet 1988 qui crée le conseil des bourses de valeur (CBV), lequel va reprendre à l’identique l’obligation de couverture et l’impossibilité pour le donneur d’ordre de se prévaloir du manquement du prestataire.
La Cour de cassation va donc appliquer le texte à la lettre et historiquement juger que la passation d’ordres par le prestataire avec une couverture insuffisante ou le maintien d’une position insuffisamment couverte n’était pas constitutive d’une faute dont pouvait se prévaloir le client à l’égard du prestataire[3].
Il était cependant déjà arrivé à la Haute Cour de prendre ses distances avec le texte, en jugeant qu’un prestataire était responsable de la brutale rupture de la position de son client au règlement mensuel au motif que celui-ci n’avait pas comblé son insuffisance de couverture dans les délais règlementaires alors qu’il était systématiquement constaté que le prestataire avait accepté de transmettre des ordres au marché malgré une insuffisance de couverture.
Cette jurisprudence va être réaffirmée avec force et de façon significative en 2003[4] :
« Et attendu, d’autre part, que l’obligation de couverture des opérations sur le marché à règlement mensuel étant édictée dans l’intérêt de l’intermédiaire et de la sécurité du marché et non dans celui du donneur d’ordre, la cour d’appel a décidé à bon droit que M. X… ne pouvait se prévaloir de l’inobservation de cette obligation par la banque ; »
Jusqu’en 2000, les contentieux en cette matière sont rares. L’explosion de la bulle internet va conduire à la multiplication des litiges, qui va être vraisemblablement à l’origine de l’inflexion de la jurisprudence de la Cour de cassation.
Le revirement est opéré en 2008[5] :
« Attendu que pour rejeter la demande de dommages-intérêts des investisseurs à concurrence de la différence entre le solde débiteur du compte à la date du 10 avril 2001 et le montant des sommes réclamées, l’arrêt retient, par motifs adoptés, que les dispositions réglementaires relatives à la couverture des opérations sur le marché à terme et à la liquidation des positions du donneur d’ordre en cas d’insuffisance de celle-ci, étant édictées dans l’intérêt des intermédiaires et de la sécurité du marché, ne peuvent être invoquées par le donneur d’ordre averti ;
Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »
La possibilité pour le client de se prévaloir d’un manquement de son prestataire à ses obligations règlementaires étant désormais acquise, il restait alors à la jurisprudence de préciser le champ des responsabilités. Et si, sur ce point, les positions des Cours d’appel ont divergé avec la Cour de cassation qui vient clairement, avec ses arrêts de 2014, de fixer un principe qui s’imposera désormais à tout litige.
II – 2008 – 2014. La Cour de cassation fixe le régime de la responsabilité du PSI à l’égard de son client en cas de manquement aux obligations règlementaires
II – 1.
Le caractère laconique des attendus de la Cour de cassation est parfois source d’interrogations même pour les juridictions du fond.
C’est ainsi qu’en 2008 les juridictions du fond s’alignant sur le revirement de la Cour de cassation vont juger que la responsabilité du PSI était fondé sur le manquement à l’obligation de conseil et d’information dont il est débiteur à l’égard de son client.
On sait cependant que cette obligation de conseil et d’information s’impose avec plus ou moins de force selon que le client est averti ou pas. C’est sur la base de cette distinction que la Cour d’appel de Douai dont l’arrêt a été censuré[6], va juger qu’un investisseur averti ne pouvait se prévaloir d’un manquement du PSI à son obligation de conseil et d’information relative à son obligation de couverture, à la passation d’un OSRD, et au maintien de celle-ci jusqu’au règlement.
Cette position n’était pas dénuée de fondement juridique. En effet, les textes sur lesquels s’appuyait la Cour d’appel de DOUAI[7] étaient ainsi rédigés :
« A défaut de complément ou de reconstitution de la couverture dans les délais requis, le prestataire prend les mesures nécessaire pour que les positions du client soient de nouveau couvertes, sauf à ce que le prestataire et le client aient convenu de modalités différentes, le prestataire commence à réduire la position du client, avant de réaliser tout ou partie de la couverture »
La lettre du texte semblait autoriser une négociation entre le client et le prestataire, autorisant des reconstitutions de couverture dans des délais supérieurs à ceux règlementairement posés. Ces délais pouvaient être, selon l’évolution du cours du titre, favorables ou défavorables au client. En effet :
– Si le cours du titre (OSRD à l’achat) remontait pendant le délai allongé de la reconstitution de la couverture, la perte était mécaniquement réduite à proportion de cette augmentation ;
– A l’inverse, si le titre continuait à dévisser, le client aggravait ses pertes et était ainsi placé dans une situation moins favorable que celle dans laquelle il aurait été si le PSI avait automatiquement coupé sa position après le délai de prévenance.
Il ressort de ce qui précède que l’appréciation du risque ne posait pas de
difficulté pour un investisseur averti, mais qu’elle devait faire l’objet d’une information ad hoc pour l’investisseur non averti
II – 2.
Ce pragmatisme des juridictions du fond n’est pas du gout de la Cour de cassation. Celle-ci se démarquant du manquement à l’obligation de conseil et d’information, apprécie la faute du PSI au visa de l’article L533-4 du CMF applicable à l’époque des faits (2001) ainsi rédigé :
« Les prestataires de services d’investissement (…)sont tenus de respecter des règles de bonne conduite destinées à garantir la protection des investisseurs et la régularité des opérations.
Ces règles sont établies par le Conseil des marchés financiers et, pour celles ayant trait aux services définis au 4 de l’article L. 321-1, par la Commission des opérations de bourse.
Elles portent, le cas échéant, sur les services connexes que ces prestataires sont susceptibles de fournir.
Elles obligent notamment à :
(…)
7°Se conformer à toutes les réglementations applicables à l’exercice de leurs activités de manière à promouvoir au mieux les intérêts de leurs clients et l’intégrité du marché. »
En refusant délibérément de se référer au règlement CMF-2004 pour ne conserver que les obligations générales du PSI en matière réglementaire, la Haute Cour juge nécessairement que la responsabilité de ce dernier est engagée à chaque fois qu’il est constaté un manquement à l’obligation règlementaire.
Les esprits chagrins diront que cette décision n’est que la répétition de ce qui avait été jugé en 2008. Une telle analyse serait inexacte.
En effet, le PSI, dans l’arrêt de la Cour d’appel de DOUAI censuré, avait justement fait valoir que son client averti avait également la possibilité de couper lui-même sa position, ce qu’il s’était abstenu de faire alors qu’il était informé de la nécessité de reconstituer sa couverture pour pouvoir conserver sa position. Dès lors, si le prestataire, en plein accord (« et souvent sur la demande ») avec son client, avait accepté de déroger au règlement, cette faute était « sans relation de causalité (…) avec le préjudice lequel résulte de choix imposés à la société de bourse ».
La Haute Cour juge de son coté « qu’en statuant ainsi, alors que la faute imputée aux investisseurs n’aurait pu être commise en l’absence de la société X., la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Le manquement à une obligation règlementaire est donc, selon la Cour de cassation, toujours en lien direct avec le préjudice subi par le client.
C’est particulièrement vrai lorsque le PSI accepte de transmettre un ordre malgré une absence de couverture règlementaire. Dans une telle hypothèse, le refus d’exécuter l’ordre empêchait toute perte. Pour autant, la Cour d’appel de Paris avait également jugé de son coté qu’il appartenait à l’investisseur averti de ne pas passer un ordre sans couverture règlementaire.
Avec le renforcement de cette jurisprudence, le client peut désormais prétendre :
– Au remboursement de la totalité de la perte si l’ordre a été exécuté avec une insuffisance de couverture règlementaire ;
– A la perte supportée à compter de la date à laquelle la position aurait du être coupée lorsque la couverture s’est dégradée avant le règlement / livraison.
II – 3.
La sévérité de cette décision doit engager les prestataires à mettre en place une politique extrêmement rigoureuse. Le règlement boursier s’applique à la lettre et toute négociation avec le client ou toute faille dans le système de contrôle conduira immanquablement à la condamnation du prestataire sans qu’il lui soit désormais possible d’invoquer l’absence de lien de causalité avec le préjudice ou la faute de son client.
Et c’est en cela que ces deux décisions sont une réelle nouveauté.
Eric DELFLY
Vivaldi-Avocats
[1] Extrait du site internet de boursorama
[2] Au dernier état de la codification, l’obligation est posée aux articles R516-1 à R516-13 du RGAMF
[3] Cf par exemple Cass com, 23 février 1993, D 1993, juris. p424 note NAJJAR
[4] Cass. Com., 8 juillet 2003, n°00-18.941, Bull 2003 IV N° 118 p. 137
[5] Cass. Com., 4 novembre 2008, n°07-21481, F-P+B+I, confirmé par Cass.com., 13 décembre 2011, n°10-10103, FP-P+B
[6] CA DOUAI, 29 janvier 2009, n°08/02511
[7] Art 8 de la décision CMF 2000-04