Notion de perte totale de la chose louée : rappel de la Cour de cassation sur l’application de l’article 1722 c civ

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : 3ème civ, 8 mars 2018, n°17-11.439, FS-P+B+I

 

Bien qu’en vigueur dans sa rédaction initiale depuis plus de deux cents ans, issu de la loi du 7 mars1804, l’article 1722 du Code civil continue de faire l’objet d’une abondante jurisprudence concernant son application. Cet article, qui aménage la poursuite du bail en cas de perte de la chose louée par cas fortuit[1], c’est-à-dire sans faute des parties[2] (que le juge est tenu de rechercher s’il lui en est fait la demande[3]), dispose que :

 

« Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement. »

 

Cette disposition, applicable aux baux commerciaux[4], conditionnée à une impossibilité absolue et définitive d’user de la chose louée conformément à sa destination[5], distingue la situation du bien loué détruit en totalité, qui se résout par la résiliation pure et simple de la convention des parties, de celle de sa destruction partielle qui, à défaut de clause contraire dans le bail[6], offre au preneur une alternative portant sur la poursuite des relations contractuelles : continuer à exploiter les surfaces subsistantes avec un loyer réduit ou délaisser sans indemnité.

 

Mais dans tous les cas, le propriétaire n’est pas tenu de reconstruire les surfaces détruites[7], même s’il a perçu une indemnité d’assurance à cette fin[8] puisque les articles 1719 et suivants du Code civil obligent seulement le bailleur à entretenir la chose en l’état de servir l’usage pour lequel elle a été louée et non à reconstruire en cas de perte totale ou partielle[9].

 

C’est pourtant ce qu’avait décidé la Cour d’appel de Toulouse dans un arrêt du 30 novembre 2016, qui condamnait le bailleur à reconstruire l’immeuble partiellement détruit, sur la base d’une demande du preneur tendant à la poursuite du bail, alors que le bailleur entendait obtenir sa résiliation. Pour motiver leur décision, les juges du fond estiment que le bail n’est amputé que d’une partie de ses surfaces, de sorte que la résiliation de plein droit ne pouvait être ordonnée, ce qui laissait au preneur l’alternative visée au texte, en l’absence de clause contraire au bail.

 

La censure de la Haute juridiction était inévitable, mais elle n’interviendra pas sur l’obligation d’exécuter les travaux de reconstruction mis à la charge du bailleur, mais sur la distinction de perte totale/perte partielle des locaux, chacune des parties s’accordant sur l’impossibilité de poursuivre le bail en l’état.

 

Ainsi, au visa de l’article 1722 du code civil, la Haute Cour rappelle aux juges du fond

 

« Que doit être assimilée à la destruction en totalité de la chose louée l’impossibilité absolue et définitive d’en user conformément à sa destination ou la nécessité d’effectuer des travaux dont le coût excède sa valeur ; »

 

En effet, la perte n’est pas nécessairement matérielle : elle peut être juridique ou économique, et le seul fait qu’une seule partie des locaux aient été détruits n’exclut pas le qualificatif de « total » dans la perte des locaux[10]. Les juges du droit reprochent ainsi à la Cour d’appel de Toulouse, après avoir relevé que l’immeuble était devenu impropre à l’exploitation prévue au bail, de n’avoir pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations.

 

L’arrêt est donc cassé et renvoyé devant la Cour d’appel de Toulouse autrement composée.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats


[1] Pour un exemple de cas fortuit, Cass. 3e civ., 12 avr. 1995, n° 92-18.955 : Loyers et copr. 1995, comm. n° 277).

[2] 3ème civ, 25 janvier 2006 – n° 04-18.672 ; 3ème civ 24 novembre 2009 – n° 08-18.652

[3] Com. 5 avr. 1951: Bull. civ. II, no 114; Civ. 3e, 4 juill. 1978: ibid. III, no 274.

[4] 3ème civ, 1 mars 1995, n° 93-14.275

[5] 3ème civ, 19 décembre 2012 – n° 11-26.076

[6] 3ème civ, 17 décembre 2015 – n° 14-23.385

[7] 3ème civ, 15 nov. 2005, n° 04-17.470:

[8] Com. 10 nov. 1959: Bull. civ. III, n°382.

[9] Soc. 6 avr. 1951: D. 1951. 505, note Savatier ; 13 févr. 1958: Bull. civ. IV, no 230; Gaz. Pal. 1958. 1. 300; AJPI 1958. 100.

[10] Cf notamment, pour une destruction partielle assimilée à une destruction totale : Civ. 3e, 17 oct. 1968: Bull. civ. III, n° 383 pour une destruction à 60% du fait d’un incendie; 3ème civ, 19 mars 1997: Bull. civ. III, n° 62; RJDA 1997, no 615; Gaz. Pal. 1997. 2. Pan. 291 pour un bâtiment principal entièrement détruit par un incendie ne laissant au bail que des locaux à usage d’appentis ou de stockage ; Com. 12 févr. 1962: D. 1962. Somm. 122 pour une toiture endommagée à plus de 80% par un incendie.

 

 

 

 

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