Loi MACRON et recouvrement simplifié des petites créances : les huissiers ont gagné

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : LOI n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite « MACRON », JORF n°0181 du 7 août 2015 page 13537, article 208 (article 56 bis du projet de loi)

 

Le droit des huissiers de justice de partager l’apanage du Juge dans la délivrance de titres exécutoires est sans doute l’une des dispositions les plus discutées du projet de loi, tant la navette parlementaire a fonctionné entre les deux chambres parlementaires.

 

A l’origine de cette réforme, un constat, relayé notamment par les députés FERRAND et GRANDGUILLAUME, via un amendement déposé le 14 janvier 2015 sur l’article 56 du projet de loi MACRON [1], relatif aux difficultés, pour les TPE et PME, d’obtenir le règlement de leurs petites créances, ayant une incidence directe sur leur pérennité.

 

A l’instar du Quebec, qui en a adopté le principe, les députés ont souhaité l’instauration, via un article 56 bis, d’une procédure amiable de règlement des litiges purement contractuels, et dont l’objet est inférieur à 2000 €, qui serait mise sous l’égide d’un huissier de justice. Le créancier, par un simple courriel, pourrait mandater un huissier aux fins d’obtenir un accord de son débiteur et, en cas de succès de la démarche, un titre exécutoire. Les députés ajoutant que cette extension des pouvoirs de l’huissier ne serait pas une grande nouveauté puisque la    procédure relative aux chèques impayés obéit déjà à un régime similaire.

 

L’assemblée nationale a accueilli favorablement cette proposition, mais pas le Sénat qui en redoutait le pouvoir exorbitant du droit commun des procédures civiles d’exécution conféré aux huissiers de justices, sans garantie d’indépendance ni de respect des règles protectrices, notamment, du consommateur. Il en résulte que si le Sénat n’était pas hostile à l’instauration d’une telle procédure, le Conseil des Sages exigeait qu’elle soit entérinée par le Juge, offrant les mêmes garanties que la procédure en injonction de payer. La réforme se muait ainsi en procédure d’injonction de payer simplifiée, inacceptable pour l’Assemblée Nationale.

 

Un bras de fer s’est donc engagé entre l’Assemblée Nationale et le Sénat [2], ayant abouti à l’adoption du texte d’origine, légèrement retouché par la commission spéciale de l’Assemblée Nationale.

 

L’article 208 de la Loi MACRON ajoutait ainsi un article 1244-4 au Code civil, modifiait l’article 2238 dudit Code et, pour la bonne forme, l’article 111-3 du Code des procédures civiles.

 

I – L’ARTICLE 208 DE LA LOI MACRON

 

« Article 208

 

I.-Le code civil est ainsi modifié :

 

1° Après l’article 1244-3, il est inséré un article 1244-4 ainsi rédigé :

 

« Art. 1244-4.-Une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances peut être mise en œuvre par un huissier de justice à la demande du créancier pour le paiement d’une créance ayant une cause contractuelle ou résultant d’une obligation de caractère statutaire et inférieure à un montant défini par décret en Conseil d’Etat.

 

« Cette procédure se déroule dans un délai d’un mois à compter de l’envoi par l’huissier d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception invitant le débiteur à participer à cette procédure. L’accord du débiteur, constaté par l’huissier, suspend la prescription.

 

« L’huissier qui a reçu l’accord du créancier et du débiteur sur le montant et les modalités du paiement délivre, sans autre formalité, un titre exécutoire.

 

« Les frais de toute nature qu’occasionne la procédure sont à la charge exclusive du créancier.

 

« Un décret en Conseil d’Etat fixe les modalités d’application du présent article, notamment les règles de prévention des conflits d’intérêts lors de la délivrance par l’huissier de justice d’un titre exécutoire. » ;

 

2° L’article 2238 est ainsi modifié :

 

a) La seconde phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « ou à compter de l’accord du débiteur constaté par l’huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l’article 1244-4 » ;

 

b) Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

 

« En cas d’échec de la procédure prévue au même article 1244-4, le délai de prescription recommence à courir à compter de la date du refus du débiteur, constaté par l’huissier, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois. »

 

II.-Le 5° de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution est complété par les mots : « ou en cas d’homologation de l’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l’article 1244-4 du code civil ».

 

III.-Le présent article est applicable à Wallis-et-Futuna. »

 

II – ANALYSE DE L’ARTICLE 208

 

II – 1. L’ordre public

 

Les dispositions de l’article 1244-3 du Code civil n’ont pas été modifiées, de sorte qu’une stipulation pourrait interdire théoriquement le recours à la procédure simplifiée de l’article 1244-4. Il s’agit cependant d’un cas d’école : les contrats sont généralement rédigés par le créancier, en faveur duquel la loi est rédigée.

 

II – 2. La créance

 

A l’instar de la procédure d’injonction de payer de l’article 1405 du Code de procédure civile, auquel il est renvoyé pour la compréhension de ce qui va suivre, l’article 1244-4 s’applique aux créances « ayant une cause contractuelle ou résultant d’une obligation de caractère statutaire ». Par conséquent, les dispositions de l’article 1244-4 s’appliqueront aux litiges contractuels commerciaux et civils, et n’épargnera pas le consommateur. Elles s’appliqueront également (« obligation de caractère statutaire ») au non paiement de cotisations de retraite, d’assurance chômage, d’allocations diverses dues à l’URSSAF, etc.

 

Le recours à la procédure de l’article 1405 du CPC demeurera cependant le seul recours pour les personnes dont la créance excède un certain plafond (1000 / 2000 € ?) qui sera défini par décret en Conseil d’Etat, ou pour les créanciers titulaires uniquement d’une lettre de change, d’un billet à ordre, d’un aval ou d’une cession de créance.

 

II – 3. La procédure

 

II – 31. L’obtention d’un accord des parties par l’huissier

 

Mandaté par son client selon des modalités qui seront peut-être définies par décret, l’huissier instrumentaire notifiera une proposition de règlement amiable du litige au débiteur du client, sans doute après avoir vérifié les conditions d’applications de la présente procédure.

 

Le débiteur disposera d’un mois pour y répondre, ouvrant ainsi trois alternatives :

 

Le débiteur n’y répond pas : la procédure « s’éteint » au terme du délai d’un mois, sans que le texte ne prévoit d’autres formalités ;

 

Le débiteur refuse expressément de participer à la procédure. Il incombe à l’huissier de le « constater », logiquement par procès verbal de constat, qui mettra un terme à ses opérations. L’huissier aura-t-il l’obligation de dresser son procès verbal à réception du refus ou pourra-t-il disposer d’un délai, qui pourrait être l’expiration du délai d’un mois, pour dialoguer avec le débiteur et obtenir la rétractation de son refus ? ;

 

Le débiteur accepte de participer à la procédure. Il reconnaît ou non (ce qui serait contradictoire) le principe de la créance, et en conteste ou non le quantum : les parties disposent d’un mois pour parvenir à un accord sur le montant de la créance et les modalités de remboursement. Ce n’est qu’à l’obtention d’un tel accord entre les parties, qui pourra prévoir des délais de paiements accordés au débiteur, comme en matière de protocole transactionnel homologué par le juge, que le créancier pourra obtenir de l’huissier instrumentaire un titre exécutoire.

 

II – 32. Les effets de l’accord sur la prescription

 

Selon le nouvel article 2238 du Code civil, si le débiteur accepte de participer à la procédure le délai de prescription de la créance est suspendu dès que l’huissier le constate, logiquement par procès verbal de constat. Un oubli de cette formalité pourrait entrainer la poursuite de la prescription voir la mise en cause de la responsabilité de l’huissier.

 

Le délai de prescription recommencera à courir à compter de la date de rédaction d’un procès verbal de l’huissier instrumentaire constatant le refus du débiteur sur les conditions proposées, procès verbal qui devrait, a priori[3], être dressé en toutes hypothèses au terme du délai d’un mois à compter de l’envoi de la notification de la demande de l’huissier.

 

Le délai de prescription restant à courir ne pourra cependant pas être inférieur à 6 mois. En d’autres termes, tout délai inférieur sera allongé.

 

Le texte a donc grandement évolué depuis les débats parlementaires, et souffre sans doute d’un dérapage imprévu, puisque la commission spéciale à l’origine de la réforme[4], tout en portant « de quinze jours à un mois le délai pendant lequel la procédure de recouvrement amiable de créances se déroule », précisait que « le point de départ de l’interruption de la prescription de la créance sera la date de l’envoi par le créancier de la lettre recommandée invitant le débiteur à participer à la procédure ».

 

Or le texte adopté par la commission est clair, mais tout autre : la prescription est suspendue lors de la réunion de deux conditions cumulatives : « l’accord du débiteur [NDLR : de participer à la procédure de l’article 1244-4 du Code civil], constaté par l’huissier ».

 

Le lecteur avisé pourra toutefois s’interroger sur la pertinence de prévoir une suspension de prescription, alors que l’article 2240 du Code civil prévoit que « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ». Néanmoins, hormis le cas d’école du débiteur acceptant de participer à la procédure tout en contestant la créance, le risque que le juge, in fine saisi du litige, refuse de « reconnaitre la reconnaissance » du débiteur, ce qui n’est pas rare en jurisprudence, conduira le créancier à louer cette bizarrerie.

 

II – 33. La délivrance d’un titre exécutoire

 

A réception de l’accord des parties, l’huissier pourra délivrer au créancier un titre exécutoire.

 

Il s’agira d’un titre classique, tel qu’il est délivré par un juge saisi d’une procédure d’injonction de payer qui autorisera les saisies attributions sur comptes bancaire, les recherches ficoba, les saisies rémunérations, …

 

Pour répondre aux inquiétudes du Sénat, les députés ont prévu des règles « de prévention des conflits d’intérêts lors de la délivrance par l’huissier de justice du titre exécutoire » qui seront fixées par décret en Conseil d’Etat, le « garde-fou » élémentaire de l’huissier étant naturellement, in fine, le Juge de l’exécution saisi dans le cadre d’une procédure en opposition, de la difficulté relative à l’utilisation du titre exécutoire.

 

Une difficulté s’impose cependant au lecteur : l’exécution du titre portera-t-elle sur toute la créance, ou uniquement sur le respect de l’échéancier en cas d’octroi de délais de paiements ? L’huissier pourra –il insérer dans son titre exécutoire une clause résolutoire à l’octroi de ces délais ?

 

II – 4. Le coût engendré par la procédure

 

Outre sa rapidité théorique, cette nouvelle procédure, à lire le législateur, moins onéreuse que les procédures existantes, est « à la charge exclusive du créancier », argument phare des porteurs du projet.

 

Néanmoins, rappelons que cet article n’est pas d’ordre public (cf §II – 1), de sorte qu’une stipulation prévoyant que les frais engendrés par la procédure seront supportés par le débiteur, pourrait a priori être insérée dans le titre exécutoire. Une modification de l’article 1244-3 aurait donc été la bienvenue pour dissiper la difficulté.

 

III – CONCLUSION

 

Cette procédure simplifiée est loin d’être simple dans sa compréhension, mais n’a pas été portée devant le Conseil Constitutionnel[5]. Entrée en vigueur depuis le 8 aout 2015, cette procédure ne sera toutefois applicable qu’à compter de l’entrée en vigueur du décret d’application de l’article 208 à prendre par le Conseil d’Etat qui aura peut-être l’opportunité de dissiper les difficultés susmentionnées. Sinon, l’interprétation sera prétorienne.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1] Cf Amendement n°SPE1514 (Adopté) déposé le 14 janvier 2015   [retour au texte]

[2] Cf documents préparatoires à la LOI MACRON   [retour au texte]

[3] puisque la procédure « se déroule dans un délai d’un mois»   [retour au texte]

[4] Cf rapport de la commission  [retour au texte]

[5] Conseil Constitutionnel, décision n°2015-715 DC du 5 août 2015   [retour au texte]

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