Non paiement des loyers postérieurs : le « pari fou » de la procédure collective.

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : Cass com., 15 novembre 2017, n°16-13219, F-P+B

 

Il résulte des articles L622-17 et L631-14 du code de commerce qu’en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, « les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance ».

 

Qu’il bénéficie ainsi d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire, le preneur (ou l’administrateur judiciaire) est tenu d’acquitter ses loyers et charges postérieurs au jugement d’ouverture, mais pas les créances antérieures du bailleur qui ne peuvent que faire l’objet d’une déclaration au passif (articles L622-7 et L631-14).

 

Classiquement, les loyers et charges des deux premiers mois suivant l’ouverture de la procédure sont laissés en souffrance, l’administrateur ou le débiteur bénéficiant d’un moratoire de fait, puisque le Bailleur ne peut agir « qu’au terme d’un délai de trois mois » (Article L622-14 et L631-14). A l’issue de ce délai, l’administrateur opte pour la résiliation du bail ou acquitte les échéances en souffrance de manière à céder le fonds.

 

Il arrive cependant, comme dans l’espèce présentement commentée, que l’administrateur ou le débiteur, à défaut de disposer de fonds suffisants, fasse le « pari » de ne pas acquitter le montant des loyers postérieurs au jugement d’ouverture, même au-delà de la période trimestrielle, en comptant sur une éventuelle cession du fonds de commerce pour honorer les échéances impayées. Le succès ou l’échec de ce pari dépens alors de l’attitude du bailleur, et notamment de la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire.

 

En l’espèce, un bailleur délivre le 20 mai 2008 au preneur, sans en informer le mandataire judiciaire, un commandement visant la clause résolutoire du bail, de payer les loyers postérieurs à l’ouverture du jugement d’ouverture du redressement judiciaire. Le redressement est converti, le 23 mai 2008, en liquidation, et la cession du fonds est autorisée par le juge commissaire.

 

Sans doute confronté à des défaillances du cessionnaire (qui bénéficiera d’une procédure de liquidation judiciaire en 2012), le bailleur saisissait finalement, en mars 2010, le tribunal de grande instance aux fins de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire, au titre du commandement de payer du 20 mai 2008.

 

I – Sur l’argumentation du cédant et du cessionnaire

 

I – 1. Pas d’interruption des poursuites

 

Le liquidateur du cédant et le cessionnaire ne vont pas se défendre sur le terrain de l’arrêt des poursuites et la déclaration des créances au passif[1], et s’abstiendront ainsi d’invoquer les dispositions de l’article L622-21 (L631-14 pour le redressement) du Code de commerce :

 

« Le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant :

 

1° A la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ;

 

2° A la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent.

 

II.-Il arrête ou interdit également toute procédure d’exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture. (…) »

 

En effet, le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire du cédant, rendu le 23 mai 2008, n’a jamais interrompu l’action en recouvrement des loyers et charges postérieurs au redressement, qui sont des créances nées pour les besoins de la procédure collective au sens de l’article L622-17.

 

Le débiteur ou son administrateur devaient donc déférer aux causes du commandement de payer du 20 mai 2008, nonobstant l’ouverture d’une liquidation judiciaire au bénéfice du cédant. L’ouverture de la liquidation judiciaire du cessionnaire en 2012 suit le même régime : elle ne saurait empêcher l’acquisition de la clause résolutoire du bail par l’effet d’un commandement dont les causes, portant sur des créances nées pour les besoins de la procédure collective, sont demeurées inexécutées plus d’un mois.

 

En d’autres termes, à réception du commandement du 20 mai 2008, le preneur n’avait qu’une alternative : payer ou risquer la résiliation du bail et l’anéantissement de tout espoir de cession.

 

Certes, des délais de paiement peuvent être requis[2], sur le fondement des articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil. Mais leur octroi est à la discrétion de la juridiction qui peut les refuser, comme en l’espèce, bien qu’ici de manière singulière : la Cour d’appel d’Agen les a en effet refusés… puisque les causes du commandement avaient été honorées en 2009… ! En d’autres termes, la Cour reproche au débiteur d’avoir demandé une suspension de la clause résolutoire et des délais de paiement au jour de la décision, alors qu’il aurait fallu solliciter une suspension de la clause résolutoire et des délais de paiement jusqu’en 2009.

 

I – 2. Moyen 1 : Le délai d’action de l’article L641-12

 

Les défendeurs à la demande de résiliation du bail vont plutôt invoquer les dispositions de l’article L641-12 2° du Code de commerce :

 

« Sans préjudice de l’application du I et du II de l’article L. 641-11-1, la résiliation du bail des immeubles utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient dans les conditions suivantes :

 

(…)

 

2° Lorsque le bailleur demande la résiliation judiciaire ou fait constater la résiliation de plein droit du bail pour des causes antérieures au jugement de liquidation judiciaire ou, lorsque ce dernier a été prononcé après une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, au jugement d’ouverture de la procédure qui l’a précédée. Il doit, s’il ne l’a déjà fait, introduire sa demande dans les trois mois de la publication du jugement de liquidation judiciaire ;

(…) »

 

Pour les défendeurs, le bailleur devait agir dans les trois mois de l’ouverture de la liquidation judiciaire du cédant. A défaut, sa demande est irrecevable.

 

Pour la Cour d’appel d’Agen, dont la décision est confirmée par la Cour de cassation, la demande du bailleur s’inscrit dans le cadre de l’article L622-14 2° et non dans celui de l’article L641-12 (qui ne concerne d’ailleurs pas les obligations de paiement, qui sont régies par l’article L622-7 applicable à la liquidation selon l’article L641-3).

 

Le bailleur a agit au-delà du délai de trois mois, sur le fondement d’un commandement de payer visant la clause résolutoire (obligatoire[3]) auquel il n’a pas été déféré dans le mois, et sans qu’il ne soit accordé des délais de paiement au débiteur. Logiquement, le bail est résilié.

 

I – 2. Moyen 2 : L’absence de dénonciation du commandement au mandataire judiciaire

 

Les défendeurs à la résiliation prétendaient enfin que le commandement devait, pour être valable, être dénoncé au mandataire judiciaire, ce qui ne ressort pourtant d’aucune disposition légale, comme le précisait encore récemment la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 16 mars 2017 commenté dans Vivaldi-chronos[4]

 

Rappelons à cet égard que le commandement ne doit être adressé qu’au preneur s’il conserve la gestion de l’entreprise ou à l’administrateur judiciaire en cas de dessaisissement.

 

Le non paiement des loyers postérieurs en devient alors un pari particulièrement risqué.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats


[1] articles L622-7 et L631-14 précités

[2] Cass. com., 6 décembre 2011, n° 10-25689, Publié au bulletin

[3] Cass com., 28 juin 2011, n°10-19331)

[4] Cf notre article du 15 mai 2017 Action en résiliation du bail, créanciers inscrits et redressement judiciaire du preneur 

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