Lutte contre la corruption « Loi SAPIN II »

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Source : LOI n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite Sapin 2)

La compliance n’est pas un domaine nouveau pour les entreprises de la « bancassurance » et d’une manière générale pour les grandes entreprises cotées. Elle nécessite la mise en place de moyens matériels et humains ainsi que des procédures propres à faire connaitre et à normer les grands enjeux juridiques auxquels l’entreprise est chaque jour un peu plus confrontée.

La nouveauté de la loi Sapin II consiste en définitive à normer un processus d’identification et de lutte contre la corruption qui s’appliquera jusqu’au niveau des entreprises de taille intermédiaire.(ETI)

En voici les principales avancées :

I- les entreprises concernées

Le chapitre III de la loi (article 8 et 9) contient un nouveau corpus de règles qui entrent en vigueur le 09 juin 2017 qui vise à permettre de mieux lutter contre la corruption et les manquements à la probité, en responsabilisant les dirigeants d’entités juridiques d’une certaine taille et en mettant à leur charge une véritable obligation de « pro activité », en la matière.

Sont concernés :

1°) Les présidents, les directeurs généraux et les gérants d’une société employant au moins cinq cents salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont l’effectif comprend au moins cinq cents salariés, et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros.

 

2°) Les présidents et directeurs généraux d’établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) employant au moins cinq cents salariés, ou appartenant à un groupe public dont l’effectif comprend au moins cinq cents salariés, et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros ;

 

3°) Les membres du directoire des sociétés anonymes régies par l’article L. 225-57 du code de commerce et employant au moins cinq cents salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont l’effectif comprend au moins cinq cent salariés, et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros.

Lorsque la société concernée établit des comptes consolidés le périmètre des obligations ci-après définies, est étendu.

II- huit nouvelles obligations

Les personnes visées devront adopter : un code de conduite (1), bénéficier d’un dispositif d’alerte interne (2) réaliser une cartographie des risques (3), organiser des procédures d’évaluation de la situation des clients, principaux fournisseurs et intermédiaires de l’entreprise (4), ainsi que des procédures de contrôles comptables (5), assurer la formations des cadres et du personnel exposés aux risques (6) introduire un régime disciplinaire (7) et un dispositif de contrôle et d’évaluation interne de l’ensemble de ces différentes mesures (8).

II-1 le code de bonne conduite

Intégré au règlement intérieur

Après la procédure de consultation des représentants du personnel prévue à l’article L. 1321-4 du code du travail ;

Il définit et illustre les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence.

II-2 Le dispositif d’alerte interne

Destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société.

II-3 Cartographie des risques

Elle prend la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ;

II-4 Procédure d’évaluation de la situation des fournisseurs et clients

C’est un pendant de la cartographie des risques et ne concerne que les clients et fournisseurs de premier rang.

L’entreprise doit communiquer de manière proactive sa politique éthique – en incluant son engagement anti-corruption – à l’ensemble de ses partenaires : agents, fournisseurs, sous-traitants, clients, joint-ventures, consortiums. L’entreprise doit aussi introduire des clauses anti-corruption dans l’ensemble des contrats passés avec eux.

D’autres procédures destinées à prévenir les risques de corruption doivent être adoptées pour les partenaires les plus à risques, tels que les agents commerciaux (due diligences d’entrée en relation, contrats types, suivi de l’activité, archivage).

Avant d’entrer en relation d’affaire avec un partenaire, l’entreprise doit effectuer des due diligences adaptées et proportionnées à la situation particulière du partenaire. Ces due diligences doivent être documentées et archivées.

Lorsque l’entreprise n’exerce pas de contrôle effectif sur une entité dans laquelle elle a investi ou avec laquelle elle est en affaire, elle doit conduire un dialogue systématique sur la politique et le programme anti-corruption de cette entité

II-5 Procédures de contrôles comptables, internes ou externes

Destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence ;

Ces contrôles peuvent être réalisés soit par les services de contrôle comptable et financier propres à la société, soit en ayant recours à un auditeur externe à l’occasion de l’accomplissement des audits de certification de comptes prévus à l’article L. 823-9 du code de commerce ;

II-6 Un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence ;

II-7 Un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société.

Indépendamment de la responsabilité des personnes mentionnées ci-dessus, la société est également responsable en tant que personne morale en cas de manquement aux obligations prévues ci-dessus.

Par ailleurs la loi crée une l’Agence française anticorruption, qui de sa propre initiative ou à la demande du ministre de la justice ou du ministre chargé du budget, réalisera un contrôle du respect des mesures et procédures mentionnées ci-avant

II-8 Dispositif de contrôle et d’évaluation interne de l’ensemble de ces différentes mesures (8).

  

III Contrôles et Sanctions

 

III-1 – Création de l’Agence française anticorruption (AFA)

III-11. Direction

 

L’Agence française anticorruption ( ci-après l’AFA) est un service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la justice et du ministre chargé du budget, ayant pour mission d’aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. (L 1)

III-12 Composition

 

L’AFA :

est dirigée par un magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire

nommé par décret du Président de la République pour une durée de six ans non renouvelable. Il ne peut être mis fin à ses fonctions que sur sa demande ou en cas d’empêchement ou en cas de manquement grave ;

qui ne reçoit ni ne sollicite d’instruction d’aucune autorité administrative ou gouvernementale dans l’exercice des missions 

comprend une commission des sanctions chargée de prononcer les sanctions mentionnées au IV de l’article 17 (  § II-22) composée :

de six membres :

 

Deux conseillers d’Etat désignés par le vice-président du Conseil d’Etat

 

Deux conseillers à la Cour de cassation désignés par le premier président de la Cour de cassation ;

 

Deux conseillers maîtres à la Cour des comptes désignés par le premier président de la Cour des comptes.

III-13 Missions

L’AFA:

Participe à la coordination administrative, centralise et diffuse les informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme.

Elabore des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme.

Contrôle, de sa propre initiative, la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d’économie mixte, et des associations et fondations reconnues d’utilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme

Exerce les attributions prévues à l’article 17 de la présente loi, à l’article 131-39-2 du code pénal et aux articles 41-1-2 et 764-44 du code de procédure pénale ;

Avise le procureur de la République compétent en application de l’article 43 du code de procédure pénale des faits dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses missions et qui sont susceptibles de constituer un crime ou un délit. Lorsque ces faits sont susceptibles de relever de la compétence du procureur de la République financier en application des 1° à 8° de l’article 705 ou de l’article 705-1 du même code, l’Agence française anticorruption en avise simultanément ce dernier ;

III-14 Les délits entrant dans le champ de compétence de l’agence

 

Délit de corruption constitué en l’abus ou l’utilisation monnayée d’une fonction ou d’une influence, à des fins privées.

Corruption passive, ou le fait pour un agent compètent d’accepter un avantage indu pour accomplir ou ne pas accomplir ses fonctions (article 432-11 du code pénal).

Corruption active est le fait de proposer de rémunérer un agent compètent pour qu’il réalise ou ne réalise pas tel acte (article 433-1 du code pénal).

 

Délit de trafic d’influence qui trouve à s’appliquer dans le cadre d’une relation ou une personne monnaye son influence sur une autorité publique à un tiers.

Le trafic d’influence passif (article 432-11 du code pénal) réprime le fait de céder a des sollicitations de trafic d’influence tandis que le trafic d’influence actif (article 433-2 du code pénal) concerne la personne sollicitant un avantage en échange de son influence.

Délit de concussion (article 432-10 du code pénal) consiste à exiger ou à percevoir des sommes indues ou qui excèdent ce qui est du.

Délit de prise illégale d’intérêt (article 432-12 du code pénal) réprime le fait de prendre ou de conserver un intérêt dans une entreprise ou une opération dont elle a la charge d’assurer l’administration, la surveillance ou encore le paiement.

Délit de détournement de fonds publics (articles 432-15 et 432-16 du code pénal) est constitué par le détournement ou la soustraction de biens ou de fonds publics.

Délit de favoritisme (article 432-14 du code pénal) sanctionne le fait de procurer un avantage injustifié a autrui en méconnaissance des dispositions relatives à la liberté d’accès et a l’Egalite des candidats dans les marches publics ou les délégations de service public.

III-2 Sanctions susceptibles d’être prononcées par la commission des sanctions

III-21 phase administrative

En cas de manquement constaté, et après avoir mis la personne concernée en mesure de présenter ses observations, le magistrat qui dirige l’agence peut :

adresser un avertissement aux représentants de la société ;

saisir la commission des sanctions afin que soit enjoint à la société et à ses représentants d’adapter les procédures de conformité internes destinées à la prévention et à la détection des faits de corruption ou de trafic d’influence ;

saisir la commission des sanctions afin que soit infligée une sanction pécuniaire. Dans ce cas, il notifie les griefs à la personne physique mise en cause et, s’agissant d’une personne morale, à son responsable légal.

III-22 La commission des sanctions:

Peut quant à elle :

enjoindre à la société et à ses représentants d’adapter les procédures de conformité internes à la société destinées à la prévention et à la détection des faits de corruption ou de trafic d’influence, selon les recommandations qu’elle leur adresse à cette fin, dans un délai qu’elle fixe et qui ne peut excéder trois ans ;

prononcer une sanction pécuniaire (sanction administrative à caractère pénal prévue par l’art 131-39-1 du code pénal), proportionnée à la gravité des manquements constatés et à la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée, dont le montant ne peut excéder 200 000 € pour les personnes physiques et un million d’euros pour les personnes morales.

Il s’agit d’une peine complémentaire à celle prévue par la législation actuelle qui punie les faits de corruption et de trafic d’influence d’une amende de 500.000 euros à 1.000.000 euros et d’une peine d’emprisonnement pouvant aller de 5 à 10 ans pour les particuliers. Les sociétés risquent, quant à elles, une amende d’un montant de 2.500.000 à 5.000.000 euros.

L’action de l’Agence française anticorruption se prescrit par trois années révolues à compter du jour où le manquement a été constaté si, dans ce délai, il n’a été fait aucun acte tendant à la sanction de ce manquement.

Eric DELFLY

Vivaldi-Avocats


[1] La définition de la conformité en termes juridiques peut se définir comme un

« Ensemble d’actions visant à rendre les mesures comme les comportements des dirigeants et personnel au sein d’organismes publics ou privés (associations à but non lucratif, entreprises, syndicats, etc.) comme vis-à-vis de tiers conformes à la norme externe et/ou interne applicable au lieu où ils opèrent ».

Par norme, on se réfère aux éléments pertinents du droit (normes de droit, directives, lois, et règlements) sans oublier les normes internes à l’organisation de soft law qui peuvent être assimilés à des engagements unilatéraux

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