Loi Macron : dispositifs aménageant le recours des entreprises au crédit en dehors des établissements financiers

Laurent Turon
Laurent Turon

 

Sources :      

 

Art 167 et 168 de loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

Art L 511-6 modifié du code monétaire et financier

 

I- LE MONOPOLE BANCAIRE EN MATIERE DE CREDIT

 

I-1 le modèles de distribution du crédit aux entreprises en Europe et hors de France :

 

Un premier modèle où le crédit inter-entreprises est libre dès lors que les prêteurs n’exercent pas cette activité de prêt à titre principal. Le critère est ici celui de l’occasionnel. Tel est le cas en Allemagne et en Italie par exemple.

 

Un second modèle consiste à permettre aux entreprises de prêter à des autres entreprises dès lors que cette activité n’est pas exercée à titre professionnel. Ici, le critère est celui du ratio de levier entre les fonds propres et le montant du crédit distribué, propre au système bancaire. C’est le modèle de la Grande Bretagne. Dans une certaine mesure, c’est aussi la situation française pour les prêts participatifs de l’article L. 313-13 du code monétaire et financier.

 

I-2 Le modèle français et ses dérogations

 

La France est aujourd’hui l’un des très rares pays au sein de l’Union européenne à prévoir un régime très restrictif dans l’octroi de crédit par une entreprise à une autre entreprise. Cela tient notamment au fait que l’un des critères d’application du monopole bancaire français est celui de l’habitude (et non le critère de l’activité accessoire ou professionnelle), pour lequel la jurisprudence de la Cour de Cassation a considéré que celle-ci commençait dès la deuxième opération de crédit.

 

Le monopole est posé à l’alinéa 1 de l’article L511-5 du CMF ainsi rédigé :

 

« Il est interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit ou une société de financement d’effectuer des opérations de crédit à titre habituel. »

 

Ce monopole souffre de plusieurs dérogations notamment posées à l’article L 511-6 du même code. Ainsi ‘interdiction relative aux opérations de crédit ne s’applique pas :

 

Aux organismes sans but lucratif qui , dans le cadre de leur mission et pour des motifs d’ordre social, accordent, sur leur ressources propres, des prêts à conditions préférentielles à certains de leurs ressortissants ;

 

Aux sociétés de HLM et exclusivement à titre accessoire à leur activité de constructeur ou de prestataire de services, qui consentent aux personnes physiques accédant à la propriété le paiement différé du prix des logements acquis ou souscrits par elles ;

 

Aux entreprises qui consentent des avances sur salaires ou des prêts de caractère exceptionnel pour des motifs d’ordre social à leurs salariés

 

Aux associations sans but lucratif et aux fondations reconnues d’utilité publique accordant sur ressources propres pour la création, le développement et la reprise d’entreprises dont l’effectif salarié ne dépasse pas un seuil fixé par décret ou pour la réalisation de projets d’insertion par des personnes physiques.

 

Aux personnes morales pour les prêts participatifs qu’elles consentent en vertu des articles L. 313-13 à L. 313-17 et aux personnes morales mentionnées à l’article L 313-21-1 pour la délivrance des garanties prévues par cet article ;

 

Aux personnes physiques qui, agissant à des fins non professionnelles ou commerciales, consentent des prêts dans le cadre du financement participatif de projets déterminés, conformément aux dispositions de l’article L. 548-1 et dans la limite d’un prêt par projet.

 

Aux sociétés de tiers-financement dont l’actionnariat est majoritairement formé par des collectivités territoriales ou qui sont rattachées à une collectivité territoriale de tutelle.

 

II- TROIS NOUVELLES DEROGATIONS AU MONOPOLE

 

Par ses articles 167 et 168 la loi Macron introduit trois nouvelles dérogations :

 

La première concerne le crédit entre entreprises liées par des relations commerciales,

 

 La seconde autorise les structures sans but lucratif dont l’objet est la création le développement et la transmission de petites entreprises de financer leurs besoins à l’aide de prêts consentis par des particuliers ou des entreprises,

 

La troisième autorise les plateformes de crowdfunding à procéder à l’émission de bons de caisses à destination des particuliers et des sociétés de financement participatif,

 

II-1 Crédit entre entreprises en relations commerciales

 

Le crédit entre entreprise n’était pas avant la réforme totalement interdit, mais réservé aux rapports intra groupes[1] ou clients fournisseurs[2].

 

L’alinéa 3 bis nouveau inséré à l’article L 551-6 du CMF fixe les règles principales du crédit inter-entreprises et renvoie « pour les détails » à un décret à paraître :

 

Le prêteur : SA, SAS, SCA ,SARL dont les comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes,     

 

L’emprunteur : micro-entreprises, PME, ETI,

 

Cadre du prêt :

 

 Les deux sociétés doivent entretenir des liens économiques le justifiant.[3] ;

 

L’octroi d’un prêt ne peut avoir pour effet d’imposer à un partenaire commercial des délais de paiement ne respectant pas les plafonds légaux ;

 

La durée du prêt ne doit pas dépasser deux ans  ;

  

Interdiction : les prêts ainsi octroyés ne peuvent être titrisés ou faire l’objet d’un transfert de risque par des fonds d’assurances dédiés

 

Le potentiel de développement de ces crédits est immense .Il touche tous les réseaux de distribution organisés comme la franchise, les centrales d’achat et de référencement ,la distribution sélective ou exclusive ainsi que les partenaires commerciaux et les entreprises en relations commerciales établies etc. .Il reste pour les entreprises éduquées par une organisation monopolistique à la française de s’emparer de ces nouvelles prérogatives .Ce sera à n’en pas douter un champ d’observation privilégié pour les économistes.

 

II-2 Financement de certaines structures sans but lucratif par des emprunts « privés »

 

L’alinéa 5 de l’article L 551-6 du CMF est quant à lui modifié pour permettre aux associations sans but lucratif et aux fondations reconnues d’utilité publique ayant pour objet l’aide à la la création, au développement et la reprise d’entreprises dont l’effectif salarié ne dépasse pas un seuil fixé par décret ou à la réalisation de projets d’insertion par des personnes de financer leurs projets non plus sur leurs seuls fonds propres mais désormais grâce à «  des ressources empruntées, à titre gratuit et pour une durée qui ne peut être inférieure à deux ans, auprès de personnes morales autres que celles mentionnées au présent alinéa ou auprès de personnes physiques, dûment avisées des risques encourus ».

 

II-3 Emission de bons de caisses à destination des particuliers et des sociétés de financement participatif

 

La réforme introduite par l’article 168 de la loi MACRON est sans nul doute une modification majeure dans le mode de financement des PME / ETI en ce qu’elle revient sur plus de 70 ans de contrôle de la distribution du crédit par des établissements régulés (hier, seulement les banques, aujourd’hui, en plus de celles-ci, les sociétés de financement, les assureurs et dans une certaine mesure les fonds de titrisation).

 

Le texte est ainsi rédigé :

 

« Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la présente loi, toutes mesures relevant du domaine de la loi visant à :

 

1° Modifier le chapitre III du titre II du livre II du code monétaire et financier, afin notamment de renforcer la protection des souscripteurs et de préciser les obligations des émetteurs de bons de caisse[4], et à prendre toute mesure de coordination rendue nécessaire ;

 

2° Adapter les dispositions relatives au financement participatif et celles des chapitres Ier et III du titre Ier du livre II, de l’article L. 312-2 et de la section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre V du code monétaire et financier, notamment pour permettre l’intermédiation des bons de caisse définis au chapitre III du titre II du livre II du même code ou faciliter l’intermédiation des titres de créances dans le cadre du financement participatif ».

 

Demain ,c’est à dire après la promulgation du décret les bons de caisse pourront utilement compléter les moyens de financement des plateformes de crowdfunding qui en dehors des apports des associés constituent par excellence le mode financement désintermédié[5], attendu par l’entreprise.

 

Eric DELFLY

Vivaldi-Avocats

 


[1] Via le « cash pooling » c’est à dire des systèmes centralisés de trésorerie avec toutefois des risques trop souvent négligés de requalification des opérations en actes anormaux de gestion (fiscal et responsabilité civile du dirigeant) ou d’abus des biens et des crédits de la société (pénal et responsabilité pénale du dirigeant ).Les grands groupes contournent cette difficulté en créant une filiale bancaire intra-groupe .( Carrefour Banque pour Carrefour , Electrobanque pour Alcatel, PSA finance pour PSA qui a eu en 2012 recours à la garantie de l’Etat ,etc.)

[2] Le crédit fournisseur est accordé à l’acheteur par le fournisseur dans le cadre de son contrat commercial. Selon les pays, les branches d’activité et les accords particuliers passés entre un fournisseur et son client, il peut être convenu – en matière commerciale- que le fournisseur soit payé au terme d’un délai déterminé ( 30 à 90 jours le plus souvent, voire dans certains cas plus longtemps .En France les délais maximum sont posés par l’article L 441-6 du code de commerce .Les organisations professionnelles d’un secteur économique donné peuvent toutefois conclure des accords afin de déroger aux délais maxima fixés par la loi (« accords dérogatoires »).

Ces accords peuvent avoir pour effet de réduire le délai maximal de règlement ou bien de fixer comme point de départ de ce délai la date de réception des marchandises ou bien d’exécution de la prestation de services. Un décret peut étendre cet accord à tous les professionnels d’un secteur économique, même si ils n’en sont pas signataires.

[3] C’est la grande innovation de loi qui substitue la notion de prêt par habitude (à partir du second cela relève du monopole bancaire) par celle de prêt par accessoire à une activité économique principale. Le nombre de prêts consentis n’a désormais plus d’importance dés lors que ces prêts sont l’accessoire à l’activité principale de l’entreprise.

[4] Le bon de caisse est un instrument ancien qui permet à des entreprises de se financer directement auprès d’un prêteur. Il s’agit d’un titre représentatif d’une dette, et non d’un instrument financier (comme une obligation) ou un contrat de prêt (comme une opération de crédit soumise au monopole bancaire). Il est facilement transmissible sans pouvoir faire l’objet d’une cotation en bourse. En fait, il s’agit d’une reconnaissance de dette. Ils sont définis par la loi comme des titres à ordre ou au porteur comportant engagement par un commerçant de payer à échéance déterminée et délivrés en contrepartie d’un prêt. Ils ne peuvent être souscrits à plus de cinq années d’échéance.

[5] Les entreprises accèdent directement aux marchés financiers (émissions de titres ou levée de fonds) sans passer par l’intermédiaire des acteurs habituels que sont les banques.

 

 

 

 

 

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