L’exécution forcée de la promesse de cession prévue par le Pacte d’Actionnaire : Attention au caractère déterminable du prix.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

La Cour de cassation s’est interrogée dans un arrêt publié au Bulletin, sur la validité d’une promesse de vente et d’achat prévue dans un pacte d’actionnaire, dont le prix de vente était simplement plafonné : Cela suffit il à rendre le prix déterminable conformément aux dispositions de l’article 1591 du Code Civil ?

Cass. com., 21 sept. 2022, n° 20-16.994, Publié au bulletin.

I – Dans un arrêt qui a reçu les honneurs de la publication au Bulletin, la Cour de cassation intervient en matière d’exécution forcée d’un pacte d’actionnaire prévoyant le rachat des titres de l’actionnaire salarié lorsque celui-ci perd sa seconde qualité. 

En l’espèce, un salarié acquiert des actions dans sa société mère, et adhère simultanément au pacte d’actionnaire, lequel prévoit une promesse de vente, et une promesse d’achat.

Comme fréquemment en la matière, le Pacte prévoit donc deux promesses permettant qu’en cas de rupture de son contrat de travail, l’actionnaire salarié s’engage à céder ses actions, et en parallèle, l’un des actionnaires bénéficiaires de la première promesse, ou une autre personne qu’il se substituerait, s’engage à les lui acheter. 

La convention des parties prévoit également qu’en cas de licenciement, le prix des actions cédées ne pourra excéder leur prix d’acquisition lorsqu’elles ont été acquises dans les 24 derniers mois précédent la rupture. Le prix est donc en pareille hypothèse, plafonné par le Pacte d’actionnaire.

Les prémices du contentieux s’illustrent sans surprise, au moment de la rupture du contrat de travail, intervenue par le biais d’un licenciement.

Conformément au Pacte, l’actionnaire bénéficiaire exerce la promesse. Cependant, il se voit  confronté au refus du transfert des titres, opposé par l’ancien salarié.

L’actionnaire déchu assigne alors l’ancien salarié en exécution forcée.

II –  Les juges du second degré considèrent la vente parfaite à la date de la levée de l’option, et ordonnent donc l’exécution forcée du Pacte.

Pour autant, l’ancien salarié se pourvoit en cassation afin d’obtenir la nullité des clauses relatives aux promesse considérant :

«  qu’en affirmant, pour refuser d’annuler la promesse de vente I et la promesse d’achat I, que le prix était déterminable en ce qu’il avait été plafonné, bien que la détermination du prix de cession ait supposé de déterminer préalablement le prix de base, puis de le comparer avec le prix plafonné, de sorte que ce prix de base devait être déterminable, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l’article 1591 du même code. »

L’argument de l’ancien salarié ici était la violation des articles 1134 (ancien) et 1591 du Code civil, lesquels prévoient

  • D’une part, l’article 1134 antérieur à la grande réforme du droit des obligations, prévoit en son premier aliéna :

«  Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».

  • D’autre part, l’article 1591 prévoit :

« Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ».

Ce dernier texte n’intervient pas pour exiger que l’acte porte en lui-même indication du prix, mais seulement que le prix soit « déterminable » (C.Cass, 3ème Civ, 26 septembre 2007, N°06.14.35), et c’est là tout l’enjeu de cette affaire.

Le droit prétorien a d’ores et déjà eu l’occasion d’intervenir pour considérer que tel était justement le cas lorsque le prix était lié à la survenance d’un évènement futur ne dépendant pas de la seule volonté de l’une des parties, ni d’accords ultérieurs entre elles (C.Cass, C.Com, 7 Avril 2009, N°07.18.907).

Ainsi, spécifiquement, en cas de cession de titres, les juges ne considèrent pas nulle pour indétermination, la cession prévue avec un prix défini selon la valeur exacte fixée par le bilan, non encore établi au jour de la signature de l’acte (C.Cass, C.Com, 18 juin 1996, N°94.17.327).

III – Le prix prévu au Pacte d’actionnaire était-il déterminable ?

Au cas d’espèce, si le pacte prévoit avec certitude un plafond au prix de cession des titres lorsque ceux-ci ont été acquis moins de 24 mois avant la rupture du contrat de travail, l’actionnaire licencié faisait grief à la Cour d’Appel de ne pas avoir recherché comme elle y était invitée, si le prix fixé par le Pacte d’actionnaire était bien déterminable.

La Cour de cassation, amenée à vérifier si le plafonnement d’un prix de cession était suffisant pour le rendre déterminable répond pas la négative.

 La Réponse de la Cour de Cassation pourra être reprise in extenso :

« 9. Pour rejeter la demande d’annulation des « promesse de vente I » et « promesse d’achat I » fondée sur l’application de l’article 6.2 relatif au plafonnement du prix, ordonner l’exécution forcée du pacte d’actionnaires, dire que la vente des 500 titres de classe A de la société [M] gestion détenus par M. [S] est parfaite depuis le 1er juillet 2015, date de la levée de la promesse de vente I par M. [M], dire que l’article 6.2 du pacte est applicable, dire en conséquence que le prix de cession s’élève à la somme de 1 501 745 euros, dire que le transfert de propriété est intervenu le 31 août 2015, dire que les dividendes bruts perçus par le séquestre depuis le mois d’octobre 2015 auraient dû être distribués à la société [M] gestion Luxembourg et ordonner la libération du séquestre des titres et des dividendes au profit de cette dernière, l’arrêt, après avoir constaté que l’article 6.2 du pacte d’actionnaires stipule qu’ « en cas de rupture résultant d’un licenciement, d’une révocation ou d’une démission pour quelque cause que ce soit, le prix de cession des titres acquis par le salarié dans les 24 mois précédant la rupture ne pourra excéder le prix d’acquisition des titres en question », retient que M. [S] ayant été licencié, sa situation entre dans le cas prévu à l’article 6.2 du pacte et en déduit qu’il est inutile d’examiner si le prix fixé par l’article 6.1 était déterminable.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le prix fixé par l’article 6.1 du pacte d’actionnaire, dont l’article 6.2 ne faisait que plafonner le montant dans certaines hypothèses, était déterminable, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

Fidèle à sa position en la matière, la Cour de cassation exige que le prix soit déterminé ou déterminable, et la Cour d’Appel aurait du s’en assurer.

En effet, la vente n’est parfaite en droit français, que lorsqu’il y a accord des parties sur la chose et sur le prix. Ainsi, à défaut d’accord sur le prix, ou sur le moyen de détermination de celui-ci, la vente ne peut être que nulle (C.Cass, 1ère Civ, 16 juillet 1992, N°90.19.107). C’était bien tout l’enjeu de cet arrêt.

La Cour de cassation, considérant que la Cour d’Appel n’avait pas vérifié comme elle aurait dû, que le prix était déterminable, casse et annule l’arrêt ordonnant l’exécution forcée compte tenu de la vente parfaite.

Les parties sont renvoyées devant une Cour d’appel autrement composée pour que celle-ci puisse vérifier si le prix, prévu au Pacte d’actionnaire, était bien déterminé ou « déterminable » selon le droit prétorien applicable. Constater l’existence d’un prix plafonné est donc insuffisant.

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