Anonymat et secret du vote des associés

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Source : Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 12 mai 2021, N°19.21.725

 

I – Le législateur encadre formellement la prise de décision des associés/actionnaires en assemblée générale, tant en matière de sociétés civiles que de sociétés commerciales.

 

Précisément, pour les sociétés civiles, par l’article 44 du décret du 3 juillet 1978[1] prévoit :

 

« Toute délibération des associés est constatée par un procès-verbal indiquant les nom et prénoms des associés qui y ont participé, le nombre de parts détenues par chacun d’eux, les documents et rapports soumis aux associés, le texte des résolutions mises aux voix et le résultat des votes.

 

S’il s’agit d’une assemblée le procès-verbal indique également la date et le lieu de la réunion, les nom, prénoms et qualité du président et un résumé des débats.

 

S’il s’agit d’une consultation écrite la justification du respect des formalités prévues à l’article 42 et la réponse de chaque associé sont annexées au procès-verbal.

 

Les procès-verbaux sont établis et signés par les gérants et, s’il y a lieu, par le président de l’assemblée ».

 

Le « résultat des votes » dont il est fait mention dans l’article, permet de déterminer l’issue du vote, pour (i) vérifier si la résolution visée est adoptée, et (ii) dans l’affirmative, dans quelle proportion des associés (majorité simple, qualifiée, unanimité…).

 

De toute évidence, la détermination de la répartition des votes « Pour » et « Contre » a un intérêt manifeste pour le vote de certaines résolutions très spécifiques, afin d’adopter valablement une décision strictement encadrée par les dispositions légales ou conventionnelles.

 

La pratique la plus courante est certainement celle qui consiste à ne faire figurer que l’issue du vote. Toutefois, certains associés ont tenté d’aller plus loin, en essayant de faire évoluer le droit positif, en obtenant des juges une interprétation plus approfondie de la notion « résultat des votes », ce qui a amené la Cour de cassation à prendre position, dans un arrêt inédit.

 

La question était donc de déterminer si le sens du vote exprimé par chacun des associés, individuellement, devait être connu des autres. En d’autres termes, est ce qu’un associé peut exiger que le sens du vote de ses coassociés soit gravé dans le marbre, par l’inscription dans l’historique de la vie sociale, grâce à sa mention dans le procès-verbal, partie intégrante des registres d’assemblée conservés par la société ?

 

II – Une Société Civile Immobilière (SCI) est constituée entre deux parents et leurs quatre enfants.  Au décès des ascendants, l’un des associés donne à ses propres enfants une partie des parts sociales.

 

Un contentieux apparait, lorsque, mécontents des décisions prises lors d’une assemblée générale, le groupe minoritaire (l’associé donateur, et ses deux enfants), agissent en annulation du procès-verbal.

 

Dès la première instance, les juges rejettent leur demande, considérant que la disposition invoquée (Cf. Art 44 décret 1978 susmentionné) « n’oblige nullement d’indiquer la position de chaque associé votant, dès lors que cela serait contraire au principe d’anonymat et du secret des votes ».

 

La Cour d’Appel, saisie par les parties déboutées, confirme les termes de ce jugement. Convaincu de leur bon droit, ces mêmes parties se pourvoient en cassation.

 

Les juges suprêmes, amenés à prendre position sur la question, ont répondu en ces termes :

 

« 8. La cour d’appel a, abstraction faite de motifs surabondants, retenu à bon droit que l’article 44 du décret du 3 juillet 1978, qui impose de mentionner « le résultat des votes », n’exige pas d’indiquer, sur le procès-verbal de l’assemblée générale, la position de chaque associé votant ».

 

La Cour de cassation valide une position de principe, selon laquelle, outre la simple question de formalisme, le décret évoqué n’obligerait nullement d’indiquer la position de chacun des associés votant, qui peuvent de ce fait rester anonyme.

 

En revanche, si les associés devaient voter à distance, le décret susmentionné prévoit :

 

« S’il s’agit d’une consultation écrite la justification du respect des formalités prévues à l’article 42 et la réponse de chaque associé sont annexées au procès-verbal ».

 

Par déduction, l’anonymat et le secret du vote des associés est d’office écarté lors d’une consultation écrite.

 

Pire encore, lorsque les associés décident de faire usage de l’article 1854 du Code civil prévoyant la possibilité de prendre une décision résultant du consentement de tous les associés, exprimés dans un acte, ce qui, là encore, écarte d’office l’anonymat des votes, puisque de toute évidence, tous les associés doivent y consentir, donc voter favorablement.

 

La position de principe de la Cour de cassation, est donc bien circonscrite aux décisions collectives prises en assemblée générale, mais pourrait être appliquée au sein du droit des sociétés en général.

 

A l’appui de cet arrêt, la doctrine considère qu’il apparaitrait logique, que, dès lors qu’il ne serait question que de faire état, dans le procès-verbal que du « résultat du vote », cet arrêt serait transposable aux autres formes de sociétés, reposant sur d’autres textes spéciaux.

 

Par exemple, pour les SARL, serait applicable à l’article R 223-24 du Code de commerce, qui prévoit :

 

« Toute délibération de l’assemblée des associés est constatée par un procès-verbal qui indique la date et le lieu de réunion, les nom, prénoms et qualité du président, les nom et prénoms des associés présents, réputés présents au sens du troisième alinéa de l’article L. 223-27 ou représentés avec l’indication du nombre de parts sociales détenues par chacun, les documents et rapports soumis à l’assemblée, un résumé des débats, le texte des résolutions mises au voix et le résultat des votes. »

 

Ainsi, sauf clauses statutaires ou extra-statutaires contraires, l’absence d’indication du sens du vote ne pourrait justifier l’annulation d’une assemblée générale.

 

[1] Décret n°78-704 du 3 juillet 1978 relatif à l’application de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du code civil

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