Le refus d’agrément d’un héritier de SARL peut vite se transformer en une obligation de racheter ses parts sociales.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Les héritiers d’un associé défunt peuvent demander à tout moment remboursement de leurs parts sociales dans la mesure où l’agrément leur a été refusé. Les associés survivants sont dès lors obligé d’y procéder.

 Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 24 janvier 2024, 21-25.416, Publié au bulletin

I –

Dans un nouvel arrêt qui reçoit les honneurs de la publication au bulletin, la Cour de cassation revient sur l’agrément des héritiers en SARL.

Le cas du décès d’un associé est régulièrement sous le feu des projecteurs de la Cour de Cassation. Par exemple, la jurisprudence a été pleine de rebondissement pour les héritiers des sociétés civiles, il y a quelques mois puisque la Cour de cassation a confirmé la position précédemment optée par une cour d’appel ; et dans une nouvelle affaire, a elle aussi considéré qu’en l’absence de clause d’agrément, les héritiers de l’associé décédé étaient d’offices considérés comme associés, avec les droits politiques y attachés (donc être convoqués en AG).  https://vivaldi-chronos.com/deces-dun-associe-au-cours-de-la-vie-sociale-la-qualite-dheritier-confere-t-elle-automatiquement-celle-dassocie/

Au cas d’espèce, le défunt était associé d’une société commerciale, précisément d’une SARL, laquelle est particulièrement encadrée par le législateur, en pareilles circonstances. L’article L223-14 du code de commerce nous donne la procédure stricte à suivre en matière d’agrément des héritiers.

 II –

A l’origine de ce contentieux, une SARL est détenue par trois associés, dont l’un décède, laissant derrière lui deux filles pour lui succéder.

Une assemblée générale extraordinaire est convoquée, pour statuer sur l’agrément autant prévu par les statuts, que par la loi.  En effet, le premier alinéa de l’article L223-14 du code de commerce prévoit strictement :

« Les parts sociales ne peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société qu’avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié des parts sociales, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte. »

Ainsi donc en cas de décès, les héritiers doivent solliciter cet agrément.

  • S’il est accepté, ils deviennent associés, a proportion des parts sociales détenues par le défunt, qui sont détenues en indivision jusqu’à liquidation de la succession.
  • S’il est refusé, les héritiers ne deviendront jamais associés, mais percevrons la « valeur financière » des parts sociales, qui doivent leur être remboursées.

Dans notre affaire, l’agrément est refusé aux deux héritières.

Le Président du Tribunal de commerce est saisi aux fins d’obtenir la désignation d’un expert judiciaire sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil, pour qu’il puisse valoriser le montant des parts sociales détenues par leur défunt père.

Pour mémoire, le juge est obligé de nommer l’expert judiciaire sollicité (Cf. https://vivaldi-chronos.com/peut-on-faire-appel-de-la-decision-du-juge-refusant-la-designation-dun-expert-charge-devaluer-les-droits-sociaux-art-1843-4-c-civ/ )

L’Expert désigné valorise les droits sociaux à plus de 5 millions d’euros.

Mais la société ou ses associés survivants n’ont pas procédé au rachat ou à la réduction de capital, dans le délai de trois mois prévu par l’article L223-14 en cas de cession de parts sociales refusée suite à la notification de l’associé candidat à la cession.

En effet les alinéas 3 à 5 prévoient :

«  Si la société a refusé de consentir à la cession, les associés sont tenus, dans le délai de trois mois à compter de ce refus, d’acquérir ou de faire acquérir les parts à un prix fixé dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du code civil, sauf si le cédant renonce à la cession de ses parts. Les frais d’expertise sont à la charge de la société. A la demande du gérant, ce délai peut être prolongé par décision de justice, sans que cette prolongation puisse excéder six mois.

La société peut également, avec le consentement de l’associé cédant, décider, dans le même délai, de réduire son capital du montant de la valeur nominale des parts de cet associé et de racheter ces parts au prix déterminé dans les conditions prévues ci-dessus. Un délai de paiement qui ne saurait excéder deux ans peut, sur justification, être accordé à la société par décision de justice. Les sommes dues portent intérêt au taux légal en matière commerciale.

Si, à l’expiration du délai imparti, aucune des solutions prévues aux troisième et quatrième alinéas ci-dessus n’est intervenue, l’associé peut réaliser la cession initialement prévue. »

Compte tenu du refus d’agrément, les héritières assignent la société et les associés survivants en rachat forcé de leurs parts sociales.

Pendant la procédure, les parties ont conclu un protocole transactionnel, au terme duquel les héritières sont reconnues agrées en qualité d’associées, en échange de leur engagement à renoncer à toute action ou toute contestation relative à cette qualité.

Mais les engagements pris au titre du protocole n’ayant pas été respectés, les héritières ont repris leurs diligences en vu d’obtenir paiement des parts sociales évaluées par l’Expert judiciaire.  Elles saisissent alors le juge de l’exécution (ci-après « JEX »), qui les autorise à pratiquer des saisies conservatoires à l’encontre des associés et de la société. Ceux-ci mécontents, assignent à leur tour en rétractation des décisions du JEX.

C’est dans ces circonstances bien particulières que le Haute Cour intervient.

Les demandeurs obtiennent gain de cause auprès des juges du fond, les décisions du JEX sont retractées, les saisies sont levées.

Les héritières se pourvoient en cassation en considérant :

« que la transaction, qui ne met fin au litige que sous réserve de son exécution, ne peut être opposée par l’une des parties que si celle-ci en a respecté les conditions ».

La Cour de cassation plussoie cette affirmation en ajoutant :

« Vu les articles 2044 et 2052 du code civil :

11. Il résulte de la combinaison de ces textes que la transaction, qui ne met fin au litige que sous réserve de son exécution, ne peut être opposée par l’une des parties que si celle-ci en a respecté les conditions.

12. Pour dire que Mmes [D] et [Y] [E] ne justifient pas d’une créance fondée en son principe et ordonner, par suite, la rétractation des ordonnances autorisant les saisies conservatoires et leur mainlevée, l’arrêt, après avoir relevé que le protocole d’accord transactionnel stipule que les parties s’engagent, au titre des concessions réciproques, à signer un pacte d’actionnaires dans un délai de deux mois à compter de la conclusion du protocole, retient que ce protocole a autorité de la chose jugée et que Mmes [D] et [Y] [E] ne démontrent pas que l’absence de signature du pacte d’actionnaires n’est imputable qu’à Mme [J]-[E] et M. [E].

13. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’absence de signature du pacte d’actionnaires stipulé dans le protocole d’accord transactionnel était également imputable à Mme [J]-[E] et M. [E], ce dont elle aurait dû déduire qu’ils ne pouvaient opposer la transaction à Mmes [D] et [Y] [E], la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

En conclusion, les héritières qui ont demandé à être agrées, peuvent exiger à tous moment le remboursement de la valeur des parts sociales du défunt, même après fixation du prix par l’expert, en renonçant à leur demande d’agrément.

Les associés sont tenus de racheter ou de faire racheter, les parts sociales à l’issu du délai légal, au prix fixé par l’expert dans la mesure ou les héritières ont renoncé à leur demande.

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