SOURCE : CE 4 mars 2005, n° 360508, 8ème et 3ème SSR
I – LE RECOURS AU CREDIT-BAIL
Le dossier ne date pas d’hier (1996) mais fixe pour la première fois une règle fiscale dont l’application est discutée depuis que les Sociétés Civiles Immobilières ont recours au crédit-bail.
La solution retenue est un véritable piège fiscal, qui ne peut être évité qu’à la faveur de la mise en place de mesures préventives dans l’intérêt du crédit-bail souscrit par une SCI soumise au régime des personnes.
A la base, il s’agit d’une opération initiée par des actionnaires personnes physiques d’une entreprise commerciale qui souhaite procéder à l’acquisition de l’immeuble dans lequel était exploitée l’activité commerciale. Le crédit-bail présente alors un intérêt financier et un intérêt fiscal.
Pour un banquier, l’acquisition d’un tel immeuble dépend nécessairement de l’examen de la solvabilité de la société commerciale. Si celle-ci est incertaine, alors le prêt pourra être refusé ou consenti à des conditions particulièrement sévères telles que garanties hypothécaires, cautions de personnes physiques, intérêts élevés, etc. Le crédit-bail est alors la solution qui permet de sortir de cette difficulté, puisqu’en conservant la propriété du bien jusqu’à la levée d’option, le crédit-bailleur prend nécessairement moins de risque que le prêteur de deniers[1].
D’un point de vue fiscal, l’utilisation d’une SCI à l’IR permet aux associés personnes physiques de déduire le déficit foncier, dans la mesure où les premières années, il ne peut y avoir adéquation entre les redevances payées à la société de crédit-bail dont le montant est calculé en fonction du prix d’achat, des taux d’intérêt en vigueur, et des éventuels droits d’enregistrement, et le loyer demandé au sous-locataire, qui nécessairement ne peut dépendre que de la seule valeur locative des locaux.
Il s’agit bien entendu d’un déficit non commercial sur le revenu global susceptible d’être compensé dans la limite du report, avec les bénéfices non commerciaux, ce qui est le plus souvent le cas, puisque par le jeu de l’indexation du « sous-loyer », il arrive fréquemment qu’au bout de 5 années, le montant de la sous-location soit supérieur à la redevance annuelle de crédit-bail.
II – LA LEVEE D’OPTION
Lorsque ce type de schéma s’est généralisé, l’Administration fiscale a été interrogée sur les conséquences de changement de cédule d’imposition : était-il ou non générateur de plus-values taxables ?
L’Administration fiscale avait dans ce domaine apporté tous apaisements en précisant dans sa réponse ministérielle Trémège[2] :
« … que l’activité de sous-location ne présente pas un caractère professionnel et que dès lors le changement de régime d’imposition consécutif à la levée d’option d’achat de l’immeuble sous-loué n’emporte ni cessation de l’exercice d’une profession au sens de l’article 202 du CGI, ni réalisation d’une plus-value taxable au sens de l’article 93.1 du même Code. »
Trois ans après, et vraisemblablement après la constatation de l’évaporation fiscale liée à l’industrialisation de ce type de montage, l’Administration rapporte à sa doctrine, lors d’une réponse ministérielle Moyne-Bressand[3], qui cette fois-ci déclarait :
« Qu’en cas de levée d’option d’achat, le transfert du bien dans le patrimoine privé du contribuable résultant de la cessation de l’activité de sous-location, est de nature à dégager une plus-value imposable dans les conditions définies aux articles 39 duodecies et suivants du CGI. »
Pressée de rapporter sa doctrine, l’Administration fiscale ne cessera de la confirmer, sauf à s’engager à y apporter des précisions par une instruction à publier… qui perde tout son intérêt lors de l’adoption de l’article 31 de la loi du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle[4] et apportait outre les solutions d’ores et déjà adoptées par les praticiens, un échappatoire de l’incidence fiscale liée à cette doctrine administrative (cf. § III).
Pour autant, la légitimité de cette doctrine administrative n’avait jamais été judiciairement appréciée. C’est chose faite avec l’arrêt commenté, qui a examiné les pourvois formés par des contribuables à propos d’une décision rendue par la Cour Administrative d’Appel de PARIS[5], qui elle-même confirmait une décision rendue par le Tribunal Administratif de PARIS[6], lequel avait refusé de décharger les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu liées aux conséquences fiscales de la levée d’option.
Tout en ne remettant pas en cause le principe selon lequel la levée d’option d’achat d’un contrat de crédit-bail ne peut pas par elle-même faire naître de plus-value, la Haute Cour juge que l’Administration demeure fondée à tirer les éventuelles conséquences fiscales qui s’attachent au transfert de propriété que cette levée d’option emporte. Ainsi, s’agissant d’une personne morale soumise au régime des sociétés de personnes donnant en sous-location l’immeuble qu’elle aurait pris en crédit-bail et qui rentre de cette activité des revenus imposés dans la catégorie des bénéfices commerciaux, l’entrée de cet immeuble dans le patrimoine de la société consécutive à l’adoption de crédit-bail se traduit par un changement de nature de l’activité exercée, la société cessant son activité de sous-location, au profit d’une activité de location directe taxable dans la catégorie des revenus fonciers.
Selon le Conseil d’Etat, quand bien même aucun acte ne matérialiserait le transfert de l’immeuble au patrimoine de la société, la cessation de son activité initiale et le changement de son régime fiscal ont eu pour effet de rendre immédiatement imposable la plus-value susceptible d’avoir été acquise à cette date[7].
Le respect de ce principe par le contribuable lui imposait de déclarer sa plus-value calculée de la manière suivante :
– valeur vénale de l’immeuble calculée à la date de la levée d’option ;
– moins le prix de revient correspondant au prix stipulé dans le contrat de crédit-bail pour l’exercice de l’option d’achat (en général, une somme symbolique) ;
– majorée de l’intégralité de la part des loyers antérieurement déduits, excédant les amortissements qui auraient été pratiqués en cas d’acquisition directe[8].
La combinaison des règles concernant la réintégration d’une fraction financière des loyers à l’échéance et la taxation d’une plus-value à court terme résultant du changement d’activité de la SCI conduisent à ce que les associés de la SCI soient imposés de la même manière qu’ils l’auraient été s’ils avaient acquis en direct l’immeuble revendu à la date retenue pour la levée d’option… sans pour autant percevoir le produit de la cession de l’immeuble qui reste toujours loué à la société commerciale.
Cette décision du Conseil d’Etat, combinée à celles de la Cour de Cassation qui ont pour effet de neutraliser le bénéfice de la procédure collective pour les opérations de crédit-bail, doit inviter tout investisseur potentiel à réfléchir très sérieusement au moyen de son financement et privilégier d’abord un prêt classique.
Comment faire si le mal est déjà fait, c’est-à-dire si l’acquisition ne peut s’opérer qu’au terme du crédit-bail ?
III – LA MESURE A METTRE EN PLACE PREALABLEMENT A LA LEVEE D’OPTION
Deux possibilités s’offrent au contribuable pour éviter la taxation de l’imposition immédiate.
Tout d’abord, le contribuable peut modifier le régime fiscal de la SCI et renoncer ainsi au bénéfice du régime fiscal des sociétés de personnes au profit de celui de l’impôt sur les sociétés. Il est également possible de changer la forme de la SCI au profit d’une forme naturellement soumise à l’impôt sur les sociétés (SA, SAS, SARL, etc.)[9]. A la levée d’option, il suffit alors de faire application de l’article 238 secties B du CGI précité.
Une autre solution consiste à faire application de l’article 93-IV du CGI qui ouvre aux membres de la SCI la possibilité d’opter pour le report d’imposition de la quote-part de la plus-value correspondant à leurs droits dans l’acte constatant la cession de l’immeuble à la société. La plus-value est alors imposée lors de la cession ultérieure de l’immeuble par la SCI ou si elle est antérieure lors de la transmission des parts de la SCI à titre onéreux ou à titre gratuit (c’est l’apport essentiel de l’article 31 de la loi du 11 février 1994 précité).
Eric DELFLY
VIVALDI-Avocats
[1] En effet, l’impayé conduira à la résiliation anticipée de l’opération du crédit-bail. Le crédit-bailleur reprendra la jouissance de son bien et pourra même poursuivre le preneur à bail au titre de l’indemnité de rupture anticipée qui correspond en général aux loyers restant dus jusqu’à leur déduction. La protection est tellement forte que le preneur à bail ne peut même pas trouver le refuge par l’ouverture d’une procédure collective. En effet, selon un principe constamment rappelé par la Cour de Cassation, la levée d’option n’est possible que si le crédit-preneur est à jour de la totalité des loyers, peu importe à cet égard que certains loyers fassent l’objet d’un moratoire au titre d’un plan de redressement par voie de continuation.
[2] JO AN 2 mai 1998
[3] JO AN 15 juillet 1991
[4] Loi n° 94-126 du 11 février 1994
[5] CAA PARIS 26 avril 2012, 10PA02374
[6] TA PARIS, n° 0500949 du 4 février 2010
[7] De fait, le Conseil d’Etat ne fait qu’étendre au crédit-bail immobilier sa jurisprudence selon laquelle la mise en location d’immeubles précédemment affectés à l’exercice d’une activité non commerciale, entraîne le transfert de ces immeubles dans le patrimoine privé de l’exploitant et donc la constatation d’une plus-value imposable : CE 17 février 1984, n° 43024 ou plus près CE, 19 décembre 2008,
n° 304781
[8] Il s’agit ici d’une application directe de l’article 238 secties B du CGI
[9] Dans ce cas, il y aurait lieu de faire application de l’article 809-II du CGI puisque le changement de régime fiscal rend exigibles les droits et taxes de mutation à titre onéreux sur certains biens (apport d’immeubles, de droits immobiliers, de fonds de clientèle, de droit à un bail ou à une personne de bail, mais comme la SCI n’est pas encore propriétaire du bien, l’opération est neutralisée.