SOURCE : 3ème civ, 28 juin 2018, n°17-18756, FS – P+B+I
La Cour de cassation distingue classiquement le congé nul pour inobservation des conditions de forme prévues par l’article L145-9 du Code de commerce (un congé du bailleur donné par acte extrajudiciaire) du congé irrégulier pour défaut de motivation ou motivation insuffisante.
Pour la Cour de cassation, le congé insuffisamment motivé met fin au bail[1], ce qu’elle confirmait à l’occasion du communiqué relatif à un arrêt rendu le 28 octobre 2009[2], en précisant que le congé,
« sans être intrinsèquement irrégulier, comportant un refus de renouvellement sans offre de paiement d’une indemnité d’éviction, soit sans aucune motivation, soit pour des motifs ne répondant pas aux conditions de l’article L. 145-17 du code de commerce, vaut néanmoins comme congé. Autrement dit, le bailleur peut s’en prévaloir pour refuser le renouvellement du bail et reprendre la disposition des locaux, à condition d’offrir, dans ce cas, le paiement d’une indemnité d’éviction.
Il est donc important de souligner que la « sanction » d’une absence ou d’une insuffisance de motivation d’un congé intrinsèquement régulier ne peut être le renouvellement automatique du bail, compte tenu du droit absolu du bailleur d’y mettre fin à son terme, mais seulement l’obligation de principe, pour lui, de payer, au preneur privé de renouvellement, une indemnité d’éviction. ».
Elle réitérait cette affirmation au rapport annuel 2014 concernant l’arrêt du 19 février 2014, commenté dans la présente newsletter[3] :
« La Cour de cassation harmonise ainsi les effets d’un congé refusant sans raison une indemnité d’éviction, en assimilant congé non motivé à congé mal motivé. Elle protège de cette façon les intérêts des deux parties au bail. Le preneur à qui un congé est délivré peut l’exécuter, quelle que soit sa régularité, sans pour autant perdre ses droits, et s’il demande la nullité et une indemnité d’éviction, obtenir l’indemnité. Le bailleur qui veut mettre fin au bail voit sa volonté respectée, à charge pour lui de payer une indemnité, sachant qu’il peut cependant toujours exercer son droit de repentir et proposer le renouvellement si le preneur est encore dans les lieux. »
L’objectif poursuivi par la Cour de cassation était ainsi clair : Fixer les parties sur le sort du bail à réception de l’acte extrajudiciaire, et ainsi :
– Permettre au preneur de préparer son départ, et lui faire bénéficier d’une indemnité d’éviction si celui-ci venait à quitter les lieux ;
– Laisser le bailleur récupérer ses locaux, même si l’évaluation de l’indemnité d’éviction devait le conduire à utiliser son droit d’option, sous réserve que le preneur soit toujours dans les lieux ;
L’arrêt du 28 juin 2018, normatif au regard de la porté de sa publication, vient bousculer la position jusque là adoptée :
« Mais attendu qu’un congé délivré sans motif ou pour motifs équivoques par le bailleur produit néanmoins ses effets et met fin au bail commercial, dès lors que le bailleur est en toujours en droit de refuser le renouvellement du bail à la condition de payer une indemnité d’éviction (3e Civ., 1er février 1995, pourvoi n° 93-14.808, Bull. 1995, III, n° 35 ; 3e Civ., 28 octobre 2009, pourvois n° 07-18.520 et 08-16.135, Bull. 2009, III, n° 234) ; que la nullité de ce congé prévue par l’article L. 145-9 du code de commerce est une nullité relative qui ne peut être soulevée que par le preneur ; que celui-ci peut soit renoncer à la nullité du congé en sollicitant une indemnité d’éviction et en se maintenant dans les lieux en l’attente de son paiement en application de l’article L. 145-28 du même code, soit s’en prévaloir en optant pour la poursuite du bail ; que, par suite, la circonstance que le preneur reste ou non dans les lieux est sans incidence sur les effets du congé irrégulier ;
Et attendu qu’ayant retenu, souverainement, par des motifs non critiqués, que le congé était équivoque et insuffisamment motivé et, à bon droit, que la nullité du congé ne pouvait priver le preneur de son droit à indemnité d’éviction, la cour d’appel en a exactement déduit, abstraction faite d’un motif surabondant et sans être tenue de procéder à une recherche inopérante, que la demande de paiement de l’indemnité d’éviction était justifiée ; »
Désormais, le congé insuffisamment motivé n’entraine plus la résiliation de plein droit du bail, la Cour de cassation laissant à l’arbitraire du Preneur le choix de critiquer le contenu de l’acte, ou l’acte dans son ensemble. Plus clairement dit, la nullité du congé étant relative :
– Soit le Preneur estime que le congé non motivé est un congé répondant aux dispositions des articles L145-9 et L145-14 du Code de commerce de sorte qu’à défaut de motivation, le congé offre le règlement d’une indemnité d’éviction. La Cour de cassation ajoute à cet égard qu’il importe peu que le Preneur demeure dans les lieux ou ait quitté les locaux, cette circonstance étant indifférente à l’octroi d’une indemnité d’éviction ;
– Soit le Preneur estime que le congé non motivé est un congé nul au visa du seul article L145-9 al 5 du Code de commerce. Le congé rejoint alors la catégorie des actes intrinsèquement irréguliers, donc inefficace, permettant au bail de se poursuivre !
Il faut comprendre dans l’espèce commentée qu’en sollicitant la nullité du congé et le paiement d’une indemnité d’éviction, le preneur avait à bon droit critiqué le contenu du congé, et non l’acte en lui-même. Le bailleur est donc tenu de lui verser une telle indemnité, même s’il est toujours dans lieux.
Le Bailleur pourra toutefois, dans ce cas, faire usage de son droit d’option.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] 3ème civ, 15 mai 2008, n°07-12669 ; 3ème civ, 28 octobre 2009, n°07-18520 ; 3ème civ, 25 novembre 2009, n°08-21029.
[2] BICC n°719 du 1er avril 2010 communiqué n°404
[3] Cf notre commentaire du 7 mars 2014 L’insuffisance de motivation du congé et ses conséquences désastreuses pour le Bailleur…