Les conditions d’exercice d’une tierce opposition prévues à l’article R661-2 du Code de Commerce sont exclusives des dispositions de droit commun

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

Source : Cass. Com, 14 juin 2017, pourvoi n°15-25.698, FS-P+B+I

 

L’arrêt ici commenté a selon nous une grande portée, en témoigne notamment ses mentions de publication.

 

En effet, la Cour de Cassation vient de préciser de manière inédite (à notre connaissance), les conditions d’exercice d’une tierce opposition à l’encontre d’un jugement rendu par le tribunal des procédures collectives, et en particulier l’articulation des dispositions de l’article R661-2 du Code de commerce, texte spécial, avec les dispositions de droit commun du Code de Procédure Civile : les dispositions sont exclusives les unes des autres.

 

Et tout particulièrement, la tierce opposition introduite de manière incidente à l’encontre d’un jugement du tribunal de la faillite est également enfermée dans le délai de 10 jours, et n’est pas perpétuelle comme dans le droit commun.

 

Les faits d’espèce sont ici très intéressants :

 

– Une société est placée en sauvegarde, puis en redressement judiciaire.

 

– La date de cessation des paiements fait ultérieurement l’objet d’un jugement de report, qui la fixe plus d’un an en arrière.

 

– Le redressement judiciaire est converti en Liquidation Judiciaire.

 

– Le liquidateur assigne alors une banque ayant déclaré sa créance au passif en nullité du prêt consenti à la débitrice, sur les fondements des nullités facultatives de la période suspecte, utilisant ainsi le report de la date de cessations des paiements, et arguant de la connaissance, par l’établissement bancaire, de cet état de cessation des paiements.

 

– Le prêt est annulé par le Tribunal de Commerce, plus de 3 ans après la publication du jugement de report de la date de cessation des paiements.

 

Le créancier développe alors une argumentation astucieuse : bien que le jugement de report n’a jusqu’à présent jamais fait l’objet d’une voie de recours (et notamment pas d’une tierce opposition introduite par la banque dans les 10 jours de la publication au Bodacc), le créancier introduit une tierce opposition incidente.

 

L’idée est double :

 

– Obtenir l’inopposabilité du jugement de report de la date de cessation des paiements à son égard, et corrélativement l’irrecevabilité de l’action du liquidateur en nullité de la période suspecte ;

 

– Tout en contournant le délai de 10 jours à compter de la publication au Bodacc du jugement de report, en soutenant que la tierce opposition exercée par voie d’incident est perpétuelle. Il s’agit là des dispositions de l’article 586, alinéa 2 du CPC, qui précise que la tierce opposition incidente, c’est-à-dire formée, au cours d’une instance déjà introduite, contre un jugement précédemment rendu dont l’un des plaideurs entend se prévaloir, peut l’être sans limitation de temps.

 

La Cour de Cassation rejette le raisonnement, considérant que les règles de droit commun ne peuvent ici trouver à s’appliquer :

 

« la cour d’appel a exactement retenu que l’article R. 661-2 du code de commerce, qui fixe les conditions d’exercice de la tierce opposition contre les décisions rendues en matière de redressement ou de liquidation judiciaires, est exclusif des règles de droit commun, que la tierce opposition soit principale ou incidente »

 

Ce faisant, le délai de 10 jours à compter de la publication au Bodacc pour former tierce-opposition, prévu à l’article R661-2 du Code de Commerce, trouve à s’appliquer que la tierce opposition soit effectuée à titre principal ou incidente.

 

Cet arrêt est particulièrement important, eu égard à la grande variété de jugements rendus par le tribunal de la faillite, pouvant dès lors faire l’objet de tierce opposition. Gageons qu’il s’agit là d’une question de sécurité juridique des décisions rendues en matière de procédure collective.

 

Pour autant, la solution est particulièrement rude pour les tiers, qui doivent en pratique, non seulement être des lecteurs assidus du BODACC, réagir dans un délai extrêmement court, mais surtout anticiper la stratégie (éventuelle) du débiteur ou des organes de la procédure sous-tendant ou consécutive aux décisions susceptibles d’être frappées de tierce opposition.

 

En l’espèce par exemple, la banque devait, dans un délai de 10 jours, comprendre et anticiper la stratégie (future !) du liquidateur qui consisterait à contester la validité du prêt consenti à la débitrice ! En pratique, un tel comportement de la banque est (pour le moins !) improbable.

 

L’efficacité des procédures collectives est-elle à ce prix ?

 

Etienne CHARBONNEL

Associé

Vivaldi-Avocats

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